
Dans un monde du travail dominé par l’automatisation, l’intelligence artificielle (IA) et la robotisation, les compétences humaines (soft skills) deviennent plus importantes que jamais, selon les résultats d’une étude publiée par Harvard Business Review.
Alors que la technologie progresse à toute vitesse, des aptitudes comme l’empathie, la communication, la créativité ou la capacité à résoudre des problèmes complexes s’imposent comme des avantages compétitifs, montre l’étude réalisée par Raffaella Sadun et Joseph Fuller, professeurs à Harvard, et Matt Sigelman, président du Burning Glass Institute.
L’IA propose de remplacer certaines tâches répétitives et certaines fonctions intellectuelles, allant de la rédaction automatisée de rapports au traitement massif de données, en passant par la traduction de documents. Or, ce sont précisément les compétences relationnelles et cognitives qui prennent de la valeur dans ce contexte, indiquent les auteurs.
Leurs recherches montrent que les emplois combinant maîtrise technique et intelligence émotionnelle affichent une croissance plus rapide et des salaires supérieurs à la moyenne. « Les travailleurs qui sauront marier compétences techniques et savoir-être auront un avantage durable sur le marché du travail », signalent-ils.
Les chercheurs ont analysé des données américaines couvrant plus de 1 000 professions entre 2005 et 2019, incluant 70 millions de transitions professionnelles. Ils ont distingué les compétences de base, comme la compréhension écrite, le calcul, le travail en équipe, des compétences avancées comme la maîtrise de la blockchain.
Résultat : Les travailleurs dotés de solides compétences de base gagnent généralement des salaires plus élevés, accèdent plus facilement à des postes avancés et acquièrent plus vite de nouvelles compétences spécialisées. Ces aptitudes ne les aident pas seulement à décrocher un premier emploi : elles déterminent leur progression de carrière à plus long terme. Par exemple, la firme américaine de courtage Jane Street Capital, basée à New York, recrute des profils à haut potentiel non pas pour leur maîtrise de produits financiers complexes, mais pour leurs bases solides en maths qui leur permettent d’apprendre et d’évoluer rapidement.
L’étude montre aussi que les travailleurs possédant un large éventail de compétences de base s’adaptent plus facilement aux changements sectoriels. Cette capacité d’adaptation est cruciale, car certaines compétences spécialisées apparaissent et disparaissent continuellement. Des technologies comme Adobe Flash ont été rapidement remplacées par HTML5 et JavaScript, tandis que des compétences de niche comme Hadoop ou la blockchain connaissent des cycles rapides de popularité.
La « demi-vie » des compétences techniques, c’est-à-dire le temps au bout duquel la moitié des connaissances devient obsolète, est passée de dix ans dans les années 1980 à quatre ans aujourd’hui, et pourrait bientôt tomber sous les deux ans, signalent les chercheurs. Dans ce contexte, les compétences fondamentales servent de repères : elles facilitent l’apprentissage, permettent d’adapter les talents rapidement et aident à maintenir la performance malgré les bouleversements.
Dans les organisations où le roulement de personnel est élevé et le niveau de confiance bas, l’étude montre que les dirigeants misent peu sur le long terme et délaissent ces compétences fondamentales. En revanche, pour les organisations qui planifient à plus long terme, ces aptitudes déterminent non seulement la trajectoire d’un individu, mais aussi son plafond de progression.
Parmi les compétences fondamentales, les compétences sociales se révèlent déterminantes. Selon une étude sur l’emploi aux États-Unis, entre 1980 et 2012, les fonctions nécessitant de fortes interactions sociales ont progressé de près de 12 points de pourcentage, tandis que les postes techniques, mais peu interactifs ont diminué. Les emplois combinant compétences cognitives et sociales sont également les mieux rémunérés. Cette tendance est encore plus nette dans le management : depuis 2007, les offres d’emploi pour cadres valorisant la collaboration, le coaching et l’influence ont triplé, tandis que celles centrées sur la supervision traditionnelle ont décliné.
Des entreprises cheffes de file dans leur secteur ont intégré cette logique. Amazon investit en 2025 plus d’un milliard de dollars dans un programme visant à développer les compétences techniques et relationnelles de son personnel, tandis que Google utilise désormais les compétences relationnelles comme critères de promotion.
Au-delà des aptitudes sociales, plusieurs compétences sont particulièrement recherchées. Parmi celles-ci : l’intelligence émotionnelle, la communication claire, la créativité, la pensée critique et la collaboration.
Le défi pour les entreprises est double : repenser les critères d’évaluation et donner aux employés des occasions de développer ces compétences. Pour y parvenir, les dirigeants peuvent intégrer l’évaluation des soft skills dès l’embauche, même pour des postes spécialisés, en s’intéressant à la résolution de problèmes, à l’adaptabilité et à la communication. Ils peuvent également investir tôt dans la communication, la collaboration et l’agilité d’apprentissage plutôt que se concentrer uniquement sur les seules compétences techniques. Enfin, ils doivent montrer l’exemple et renforcer ces compétences au quotidien, en valorisant la communication réfléchie, la résolution collaborative et l’apprentissage transversal. Les outils comme le mentorat, la rétroaction par les pairs et les bilans d’équipe peuvent aider à enraciner cette culture.