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La règle générale est claire : un client ne peut pas déduire de son revenu imposable les primes d’un contrat d’assurance vie. Cependant, pour les gens d’affaires, une exception primordiale atténue cette règle fiscale lors de la cession d’un contrat d’assurance vie en garantie d’un prêt.

En effet, un contribuable qui emprunte dans le but de toucher un revenu et dont l’institution financière exige que sa police d’assurance vie soit cédée en garantie pourra déduire ses primes si les conditions prévues à l’alinéa 20(1) e.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu sont respectées. Mais quelles sont ces conditions ? Et la cession de sa police d’assurance vie en garantie constitue-t-elle une stratégie avantageuse ?

Gaétan Veillette, planificateur financier et conseiller en sécurité financière dans un cabinet de services financiers de Brossard, en Montérégie, et Diane Hamel, vice-présidente adjointe, Service fiscalité, retraite et planification successorale chez Manuvie, sont d’accord pour affirmer que la cession d’un contrat d’assurance vie en garantie est une stratégie intéressante pour les gens d’affaires.

En effet, le contribuable qui donne en garantie sa police pour obtenir un prêt dans le but de gagner un revenu pourra déduire le moindre des montants constitués par les primes qu’il paye ou le coût net d’assurance pure (CNAP). Cependant, le contribuable devra respecter les quatre conditions imposées par la Loi.

Analyse des conditions

La première condition consiste à céder sa police au créancier ! Le client qui le fait conserve ses droits, comme c’est le cas d’une hypothèque sur sa maison. Il donne ainsi au créancier la valeur du contrat, soit la valeur de rachat ou le capital-décès, jusqu’à concurrence du montant du prêt. Ce n’est que le solde impayé qui sera versé au créancier en cas de défaut ou de décès, et non pas le capital-décès ou la valeur de rachat. Une fois le prêt remboursé, le produit de l’assurance au décès de l’assuré sera versé au bénéficiaire désigné ou à la succession.

Diane Hamel apporte une précision intéressante : « On peut céder une police dont on n’est pas le bénéficiaire. Ce qui compte, c’est que l’on soit le titulaire ou le propriétaire de la police. » Ainsi, une société pourra céder en garantie une police sur la tête d’un actionnaire. Diane Hamel ajoute aussi que la police peut en être une qui est déjà en vigueur.

La deuxième condition stipule que le prêt doit être accordé par une « institution financière véritable ». « Il s’agit des banques, des sociétés de fiducie, des caisses d’épargne, des sociétés d’assurance, et des sociétés ayant pour principal objet le prêt ou l’acquisition de créances », explique Diane Hamel.

On peut en déduire que les prêts consentis par une société à un actionnaire n’ouvrent pas la porte à la déductibilité des primes.

Une incertitude persiste toutefois advenant qu’une institution transférerait par la suite ses prêts à une autre institution. « La lettre d’interprétation technique du 14 janvier 2013 (no 2002 – 067 085) de l’Agence du revenu du Canada (ARC) soulève un doute parmi les planificateurs financiers sur les intentions du législateur en matière de déductibilité des primes en exigeant que le créancier soit l’institution initiale qui a accordé le prêt », explique Gaétan Veillette.

« En effet, il y a un risque que la déductibilité des primes soit retirée si l’institution financière transfère le prêt (titrisation) à une autre institution, et ce, même si le débiteur poursuit toujours sa relation avec l’emprunteur initial pour ce qui est des paiements, des relevés, etc. », ajoute-t-il.

La troisième condition exige que l’intérêt sur l’emprunt soit déductible du revenu pour l’année. « En général, pour que l’intérêt soit déductible, il faut qu’il y ait une obligation légale de payer l’intérêt, l’intérêt est payé ou payable l’année de la déduction, le montant de l’intérêt est raisonnable, et les sommes empruntées sont affectées à l’exploitation d’une entreprise ou à des placements », explique Diane Hamel, de Manuvie. Gaétan Veillette souligne l’importance d’éviter toute confusion avec le patrimoine personnel afin de préserver la déductibilité des intérêts.

Donc, si les intérêts du prêt ne sont pas déductibles, les primes du contrat donné en garantie ne le seront pas non plus. Une difficulté se présente cependant lorsque les intérêts ne sont déductibles qu’en partie, car ils ont été ramenés à un « montant raisonnable » par l’ARC. Une interprétation littérale de la Loi laissait entendre que les primes ne seraient alors pas déductibles.

Toutefois, lors de la conférence de l’Association de planification fiscale et financière en 2004, l’ARC a précisé que « les intérêts payables sur l’emprunt sont déductibles, même si une partie seulement des intérêts étaient déductibles, car ils avaient été limités au revenu d’une rente non prescrite souscrite au moyen des sommes empruntées. » Cette interprétation a été maintenue (Interprétation technique no 2005-0 116 651C6) lors de la Table ronde sur l’imposition des contrats organisée par la CALU en 2005 ainsi que dans un avis préalable (no 2005-01 432 881R3). « Il n’est pas certain que ce raisonnement s’appliquerait si la déduction des intérêts était limitée pour quelques autres raisons, mais il est quand même rassurant de penser que cela pourrait être possible », lit-on dans le document de vulgarisation de Manuvie intitulé « Cession d’un contrat d’assurance vie en garantie d’un emprunt ».

La quatrième et dernière condition veut que l’institution exige expressément la cession du contrat et qu’il ne s’agisse pas d’un simple souhait. Un écrit stipulant que le contrat soit cédé constituerait une preuve suffisante, selon le document de Manuvie. Il semblerait que cette condition doive être maintenue chaque année.

Généralement, la déduction des primes n’est permise que contre le revenu d’entreprise. De plus, l’année d’imposition diffère parfois de l’année contractuelle. Dans ce cas, il faudra recourir à une méthode de répartition des primes au prorata de l’année d’imposition. Dans un bulletin d’interprétation, l’ARC a déjà mentionné que la Loi parle de primes payables et non de primes payées. Il ne faut donc pas s’appuyer sur les modalités de paiement des primes.

Donc, si les primes sont payées avec les valeurs accumulées au contrat (participations ou comptes de placement), le libellé du contrat prend toute son importance. « Dans le cas des contrats vie entière avec participation, les primes sont souvent stipulées au contrat et les primes payables sont alors probablement celles prévues au contrat. Ce n’est pas le cas pour les assurances vie universelles pour lesquelles les primes ne sont souvent pas prévues au contrat. Il n’y a alors pas d’obligation contractuelle et il se peut que l’ARC ne considère pas la prime payable », explique Diane Hamel. Dans le cas d’une assurance universelle approvisionnée au maximum, si le titulaire prend un congé de primes, il n’y aura pas de prime payable pour l’année et une déduction ne pourra pas être demandée selon l’ARC (Interprétation technique no 9 901 875).

Une autre limite est liée au pourcentage des primes qui servent réellement à garantir le prêt. Par exemple, on ne pourra déduire que 20 % du moindre montant constitué par les primes de l’année ou le CNAP si l’on cède en garantie d’un emprunt de 100 000 $ une police de 500 000 $. Ce calcul est difficile, car le solde du prêt évolue chaque mois. En pratique, l’ARC accepterait toutefois les calculs basés sur le solde moyen de l’année (solde au milieu de l’année ou la moyenne des douze mois).

Imposable, le capital-décès ?

Si l’assuré meurt avant le remboursement du prêt, l’institution financière touchera à même le capital-décès la somme qui lui est encore due. C’est justement pourquoi le créancier avait réclamé que la police soit en garantie.

Qu’en est-il du fisc ? L’un des avantages de l’assurance vie est la non-imposition du capital-décès, mais le fisc ne sautera-t-il pas sur l’occasion pour imposer le capital-décès puisque les primes ont été déduites ? « Au décès de l’assuré, l’institution financière se remboursera et le solde restant du capital-décès sera versé aux bénéficiaires, mais le capital-décès ne sera pas imposable », rassure Diane Hamel. Soulignons que les valeurs accumulées sont incluses dans le capital-décès exonéré.