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Les FCP d’obligations de sociétés seraient particulièrement vulnérables en raison de l’asymétrie de liquidité qui existe entre les actifs et les passifs, puisque ces fonds offrent aux investisseurs le rachat quotidien de leurs parts. Or, les titres détenus dans ces fonds sont en moyenne plus risqués, note la Banque du Canada. Non seulement leur encours est plus concentré en obligations de sociétés, mais ces titres ont également des cotes de crédit inférieures et une plus longue durée. En d’autres mots, les détenteurs sont plus exposés au risque de liquidité, de crédit et de taux d’intérêt.

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Soulignons d’abord la progression rapide des FCP canadiens à revenu fixe, qui ont crû depuis 10 ans à un rythme annuel de 15 % comparativement à 2,6 % pour les fonds d’actions. Quant aux FCP canadiens d’obligations de sociétés, leur nombre est passé de 53 en 2007 à 111 en 2016, constate la Banque du Canada. Et leur taille moyenne a plus que triplé, passant de 520 M$ à 1 600 M$ durant cette période. Ces fonds géraient, à la fin de 2016, 8 % de tous les titres de créance de sociétés émis au Canada, par opposition à 3 % en 2007.

Voilà pour les faits. Maintenant, y a-t-il lieu de s’alarmer ? Dans la conclusion de l’étude, la Banque du Canada estime que, dans l’ensemble, la fragilité des FCP canadiens d’obligations de sociétés demeure faible, bien que ceux-ci soient en hausse et nécessitent une surveillance étroite. En effet, ces fonds détenaient en moyenne suffisamment de comptant et d’actifs liquides pour faire face aux pires scénarios de rachat depuis 2007.

Cependant, en Bourse, le passé n’est pas garant de l’avenir. Plusieurs grands médias, notamment The Economist, soulignaient récemment la possibilité que la prochaine crise financière frappe du côté de la dette des entreprises. Dans un contexte de remontée rapide des taux d’intérêt et de retrait des mesures de stimulation monétaire, les conditions pourraient changer. Cela dit, qu’en est-il chez nous ?

Un contexte délicat

«Cette décision de la part des gestionnaires d’assumer plus de risques n’est pas nécessairement volontaire. Il y a tout un contexte qui explique ces changements», affirme Richard Beaulieu, économiste principal de la firme montréalaise Addenda Capital. Depuis la crise financière, les banques centrales ont été ultra accommodantes et ont maintenu les taux d’intérêt très bas. Les émetteurs ont profité de cette situation pour emprunter à long terme. Cela a pu inciter certains gestionnaires à allonger la durée du portefeuille afin de générer un rendement absolu plus élevé.

Autre constat : les changements dans la duration et la composition de l’indice obligataire universel FTSE TMX Canada. «Depuis la crise financière, la duration de l’indice est passée de 6,2 années à 7,6 années à la fin de 2017. Cet allongement de presque une année et demie est considérable», remarque Carl Pelland, gestionnaire de portefeuille et cochef, obligations de sociétés, d’Addenda Capital.

Un grand nombre de gestionnaires canadiens ont le mandat de répliquer ou de battre cet indice. La duration de leur fonds a donc augmenté, soit la moyenne pondérée de la durée des différentes obligations détenues en portefeuille. Notons que la duration, exprimée en années, est une mesure de sensibilité au taux d’intérêt. Plus elle est longue et plus les titres en portefeuille réagiront fortement à un mouvement à la hausse ou à la baisse des taux.

Quant à la composition de l’indice, la qualité du crédit en a également pris pour son rhume. Ainsi, au début des années 2000, un peu plus de la moitié de l’indice était constitué d’obligations du gouvernement du Canada (le meilleur crédit au pays). «Aujourd’hui, ce taux n’est que de 37 %», constate Richard Beaulieu.

Le redressement des finances publiques fédérales depuis presque 25 ans y est sûrement pour quelque chose. «Cela a limité les émissions de titres de dette gouvernementale au Canada. Puisque la nature n’aime pas le vide, cette réduction d’obligations fédérales a poussé les investisseurs à se tourner vers les obligations de sociétés», constate Raymond Kerzérho, directeur de la recherche chez PWL Capital. On a donc remplacé ce crédit AAA par des obligations provinciales, municipales et de sociétés. D’ailleurs, plusieurs provinces ont subi pendant cette période des déficits importants, notamment l’Ontario, qui ont été financés par des émissions de dette.

Finalement, la qualité des obligations de sociétés composant l’indice a également pâti. «Les agences de notation n’accordent plus aussi facilement des cotes AAA. Elles ont de plus été très critiquées suivant la crise financière de 2008», remarque Carl Pelland. Leurs méthodes d’évaluation se sont affinées et sont aujourd’hui plus sévères. «Cela a modifié le portrait de la structure du crédit sans nécessairement signifier que la qualité du crédit des nouveaux émetteurs soit plus faible», tient à souligner Richard Beaulieu.

Prenons le cas des banques qui ont ces dernières années augmenté la qualité et la quantité de leurs fonds propres en raison d’exigences réglementaires. Pourtant, certains titres de dette subordonnée bancaire ont été décotés, alors que la cote de crédit de l’institution elle-même n’a pas changé.

Mécanismes de protection

Lorsqu’une crise financière ou de crédit survient, les gestionnaires de fonds recevront des signaux d’alerte. Ils vont s’attendre à une éventuelle augmentation des demandes de rachat. «Chaque fonds a ses propres critères internes de gestion de risque. On a des limites par type de crédit [BBB, par exemple], par secteur d’activité. Certains fonds ne pourront pas détenir de placements privés ou, du moins, le pourcentage en sera limité», explique Carl Pelland.

Raymond Kerzérho fait un parallèle avec la construction du nouveau pont Champlain. «Tu veux connaître l’historique des facteurs qui peuvent endommager le pont – vent, courant, verglas, séismes, circulation intense, combinaison de plusieurs de ces éléments, etc. Tu le construis pour qu’il soit plus résistant que les pires chocs connus, et ce, avec une certaine marge de sécurité.» L’investisseur doit donc se renseigner, en lisant le prospectus et l’aperçu du fonds. Il voudra s’assurer que l’instrument choisi est bien diversifié et qu’il détient une portion d’actifs liquides.

Par ailleurs, le niveau des taux d’intérêt a également son importance. Bien qu’ils aient amorcé une remontée, ils sont toujours historiquement bas. «Pour de nombreux conseillers et investisseurs, une hausse rapide des taux d’intérêt est plus préoccupante que la prise de risque de crédit», affirme Dan Hallett, CFA et vice-président de High View Financial Group. Cette crainte en a poussé beaucoup, ces dernières années, à rechercher des outils de placement avec une plus faible durée, tels que des fonds d’obligations à taux variable. Plusieurs de ces fonds investissent non seulement dans des obligations de sociétés, mais aussi dans des titres moins liquides et plus risqués, comme des prêts bancaires ou des obligations à haut rendement, déplore-t-il.

Les fonds communs de placement (FCP) d’obligations de sociétés font partie du shadow banking, appelé aussi secteur financier parallèle. Il est ici question d’activités de financement qui ont cours en dehors du système bancaire traditionnel. Pensons aux activités d’intermédiation du crédit comme la titrisation, où des actifs autrefois financés par des banques ne le sont plus. Il peut s’agir d’hypothèques résidentielles et commerciales, de contrats de location d’automobiles, de comptes à recevoir de cartes de crédit, etc.

Ces intermédiaires financiers permettent aux liquidités des épargnants d’être dirigées vers les emprunteurs, mais sont soumis à des règles moins strictes que les banques, notamment en matière de fonds propres et de liquidité. «Cette désintermédiation du flux d’épargne fait que les investisseurs détiennent moins de dépôts bancaires et plus de titres en portefeuille», explique Richard Beaulieu, économiste principal de la firme montréalaise Addenda Capital.

Dans le cas des FCP à revenu fixe, c’est l’asymétrie entre les actifs et les passifs qui pose problème, puisque le détenteur peut quotidiennement demander le rachat de ses parts. La crise financière de 2007-2008 a démontré que beaucoup de ces entités n’étaient pas suffisamment capitalisées, n’ayant pas accès à de l’assurance-dépôts, par exemple, ou encore à des lignes de crédit reliées à une banque centrale. Selon le Conseil de stabilité financière (Financial Stability Board en anglais, ou FSB), le shadow banking représentait 45 200 G$ US à la fin de 2016, en croissance de 7,6 %. L’organisme surveille et tente de prévenir l’accroissement des risques systémiques.