Un homme d'affaire sur un trait qui se divise en arbre de flèche. Il porte un gros signe de dollar qu'il tente de poser sur un des traits.
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Une quinzaine de facteurs ont la faveur des gestionnaires de portefeuille, au premier chef les facteurs «valeur», taille, momentum, investissement, rentabilité opérationnelle, faible bêta, faible liquidité. On en a recensé plus de 400 à ce jour, signale l’étude de RA.

Mais attention, la majorité de ces facteurs sont des créations de laboratoire incapables de survivre dans les conditions réelles de marché. «Ils sont le résultat de forage algorithmique [data mining], indique Christian Felx, directeur, stratégies systématiques, gestionnaire de portefeuille et spécialiste des facteurs chez Desjardins Gestion internationale d’actifs. On prend un facteur, on joue avec plusieurs définitions, on le teste sur diverses périodes, on en tire une multitude de dérivés. C’est certain que sur 25 tests, il va survenir un résultat probant.»

Christian Felx croit à la simplicité d’un facteur, c’est-à-dire qu’il doit «être transparent, s’appuyer sur une solide base économique et montrer une performance sur de longues périodes, à travers plusieurs cycles économiques».

C’est le cas de la quinzaine de facteurs qui ont la faveur des gestionnaires de portefeuille. Cependant, même les facteurs les mieux reconnus doivent être considérés avec un certain scepticisme, affirme l’étude de RA. Un scepticisme que partage en grande partie Richard Guay, professeur de finance à l’ESG UQAM et ancien président de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

RA découvre plusieurs faiblesses aux facteurs, faiblesses dont les investisseurs négligent de tenir compte, y compris de nombreux investisseurs institutionnels qui devraient être plus avertis.

Fléchissement des rendements

En étudiant le parcours qu’ont suivi de 1963 à 2018 les 14 facteurs les plus populaires, RA a constaté que ce groupe a effectivement connu une performance supérieure à celle du marché. Le rendement pour les 6 facteurs les plus populaires est en moyenne de 3,61 % supérieur à celui du marché ; pour les 8 facteurs suivants, il est de 3,91 % supérieur. Le facteur momentum occupe la tête avec un rendement supérieur en moyenne de 5,48 %. Suivent le facteur émission nette d’actions à 5,28 % et celui du ratio trésorerie/prix à 4,82 %. Le facteur valeur, le plus populaire de tous, a obtenu un rendement plus élevé en moyenne de 4,15 %.

Cependant, les choses se gâtent au cours des 15 années les plus récentes, soit de juillet 2003 à juin 2018. Le rendement moyen n’est plus que de 1,2 % supérieur à celui du marché pour le premier groupe de facteurs les plus populaires, et de 1,17 % supérieur pour le second. Et la palme des meilleures performances change de mains. En moyenne, le rendement du facteur momentum n’est plus supérieur que de 0,77 %, tandis que celui du facteur rentabilité opérationnelle est de 4,97 % plus élevé. L’écart de rendement moyen de l’émission nette d’actions tombe à 0,65 % et celui du facteur valeur fléchit à 0,15 % ; de son côté, celui de l’illiquidité monte à 4,23 % et celui du facteur trésorerie/prix se maintient assez bien à 3,45 %.

La dernière crise financière a été particulièrement décevante pour les amateurs de l’investissement factoriel. Peu avant la crise, la corrélation au marché des deux groupes de facteurs les plus populaires était à son plus bas depuis 1963. Mais avec la crise, le groupe des six facteurs les plus populaires est devenu presque parfaitement corrélé au marché, de sorte que ces six facteurs ont fait perdre à leurs investisseurs autant d’argent que les grands indices boursiers. Les autres facteurs ont conservé une certaine indépendance face au marché, bien que très ténue.

Depuis 2008, les 14 facteurs évoluent dans une corrélation très proche du marché, ce qui atténue les avantages de diversification qu’on prête à l’investissement factoriel.

Selon RA, de nombreux investisseurs ignorent que l’investissement factoriel est sensible aux événements extrêmes du marché. «Trop d’investisseurs croient que la création d’un portefeuille de facteurs va éliminer ces risques extrêmes. C’est une erreur dangereuse», écrivent les auteurs de l’étude.

Diversifier dans le temps

L’investisseur doit être attentif aux caractéristiques particulières de chaque facteur et comprendre comment chacun réagit à différents environnements de marché (inflation, volatilité, rendements de crédit, phases du cycle économique), explique Eric Kirzner, professeur émérite de finance à la Rotman School of Management de l’Université de Toronto.

«Un investisseur peut adopter une approche musclée et chercher à miser sur le facteur qui va donner la meilleure performance dans un proche avenir. Ou il peut emprunter une voie moins risquée en se diversifiant sur une période plus longue, celle d’un cycle de marché complet, par exemple», dit-il.

L’étude de RA évoque elle aussi les stratégies de diversification temporelle, mais sans entrer dans les détails. Toutefois, les graphiques qui y sont présentés montrent bien que différents facteurs s’en tirent mieux à certains moments. Par contre, il n’est pas évident de prévoir lesquels prévaudront à quel moment, souligne Eric Kirzner.

Deux explications

Deux problèmes peuvent expliquer que les facteurs ne soient pas à la hauteur de leur réputation.

Pour certains facteurs, notamment le momentum et les petites capitalisations, les coûts de transaction incontrôlés peuvent réduire de beaucoup le rendement, précise Richard Guay.

L’autre grand problème est lié au phénomène de la sursaturation, c’est-à-dire lorsque trop de participants se précipitent dans le marché, juge Richard Guay, qui reprend ainsi certaines affirmations de l’étude. «Quand le marché monte, tout le monde achète, les prix montent et les facteurs se portent très bien. Puis quand le marché tourne, tout le monde veut vendre ; le tail risk [risque extrême] supprime l’avantage de la diversification et les gens perdent beaucoup plus d’argent qu’anticipé», explique-t-il.

Christian Felx n’admet pas l’idée de sursaturation. «C’est une raison souvent évoquée pour expliquer les chutes de performance, mais il n’est pas prouvé de façon empirique que c’est le cas.»

L’étude de RA reconnaît que les chutes de performance des facteurs ne sont pas nécessairement dues à la sursaturation, mais qu’elles pourraient simplement tenir à la «malchance». Elle évite de discréditer les facteurs qui sont en mesure de «procurer des résultats supérieurs».

Cependant, tout investisseur devrait être conscient des limites des stratégies factorielles et adapter ses attentes en conséquence. «Quel que soit le facteur retenu, prenez les résultats des études et coupez-les en deux !» propose Richard Guay.