Deux personnages avec un filet en rattrapant un troisième qui tombe du ciel.
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Réservés aux investisseurs fortunés et aux institutions, les placements alternatifs classiques se voyaient jusqu’ici automatiquement attribuer une cote de risque « élevé ». Or, l’arrivée des organismes de placement collectif alternatifs (OPCA), couramment appelés « produits alternatifs liquides », pourrait changer la donne. Ils bénéficieront de cotes moins draconiennes si deux associations spécialisées du milieu des placements alternatifs ont gain de cause.

L’AIMA (Alternative Investment Management Association) et la CAIA (Chartered Alternative Investment Analyst Association) font circuler dans l’industrie financière un document de discussion traitant d’un mode d’évaluation des cotes de risque applicables aux OPCA.

La situation est inattendue. Les organismes de réglementation, au premier chef l’Autorité des marchés financiers (AMF), n’ont aucune objection à approuver des cotes de risque plus favorables aux nouveaux OPCA. C’est plutôt du côté des maisons de courtage qu’on a assisté jusqu’ici au maintien d’une classification de risque résolument cantonnée dans la zone « élevé ». Ces courtiers, devant la nouveauté des OPCA et encore peu informés de leurs particularités, gardent la cote de risque « élevé » qu’ils assignent depuis toujours aux produits de placement alternatifs destinés, par exemple, aux investisseurs fortunés, explique Jeff Ray, vice-président, développement de produits chez Placements Mackenzie.

Ainsi, un conseiller de plein exercice comme Francis Sabourin, de Richardson GMP, n’aura pas d’autre choix en ce moment que de donner une cote de risque « élevé » aux OPCA qu’il envisage de proposer à ces clients, même si, dit-il, « je sais pertinemment qu’ils ne sont pas à haut risque ».

Or, comme l’affirme l’AMF, les OPCA ne doivent pas nécessairement être cantonnés de cette façon. « Les produits d’OPCA ne sont pas automatiquement plus volatils que les OPC dits « classiques », affirme Sylvain Théberge, porte-parole de l’AMF, dans un échange de courriels. Le fait qu’un OPC puisse utiliser des stratégies de placement qui ne sont pas permises à un OPC classique ne fait pas en sorte que son rendement sera plus volatil. La méthode de calcul est fondée sur des écarts-types historiques. » Les maisons de courtage utilisent diverses méthodes de calcul du risque, dont celle des écarts-types historiques, mais elles en gardent les détails secrets (ratio de Sharpe, perte maximale, etc.).

La chose s’est vérifiée dès le lancement par Placements Mackenzie, en mai 2018, du tout premier OPCA au Canada, le Fonds multistratégie à rendement absolu, mis en marché sept mois avant l’approbation officielle de tels fonds par les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM). Dès le départ, Mackenzie a donné une cote de risque « faible à moyen » à son fonds.

Réticences des courtiers

« Les régulateurs n’ont aucun problème avec notre cote de risque, dit Jeff Ray. Nous nous devons de faire approuver notre prospectus par la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, et c’est ce qui s’est passé en effet. »

Par contre, les maisons de courtage, tant les filiales des banques que les indépendantes, ont donné au produit une cote de risque « élevé ». Les quelques maisons de courtage que nous avons jointes ont refusé de commenter.

Cependant, Romain Marguet, vice-président et chef des investissements alternatifs chez Richardson GMP, à Toronto, a été de tous les comités d’étude sur les cotes de risque. « Parce que plusieurs produits sont nouveaux et ne peuvent montrer une feuille de route, dit-il, les banques assignent par défaut une cote de risque élevé. Tout le monde est en train d’étudier le territoire et il en sera ainsi pour les 12 à 18 prochains mois. Quand les produits auront un historique de deux ou trois ans, les cotes de risque vont probablement être révisées. »

Certaines banques sont toutefois plus intransigeantes. « L’une d’elles m’a dit qu’on ne jettera pas un coup d’oeil sur tout ceci avant cinq ans », relate Romain Marguet. Ce dernier craint que l’attitude des courtiers « ne tue la catégorie [des OPCA] dans l’oeuf ».

Le modèle d’évaluation de risque mis en avant par l’AIMA calque celui de l’industrie des fonds communs et des régulateurs. Il propose d’appliquer une cote de risque selon le niveau moyen d’écart-type. Ainsi, chaque catégorie de fonds occupe une tranche de risque selon sa composition.

Par exemple, un fonds d’actions neutre prend place dans la tranche de risque faible à moyen, un fonds de couverture, dans la tranche de risque moyen. Il est intéressant de noter que la grande majorité des stratégies OPCA se situent dans ces deux tranches, aucune n’étant classée dans les tranches « faible » et « élevé ».

Pour comparaison, l’AIMA fait ressortir qu’un fonds commun traditionnel d’actions, sans stratégie alternative de levier ou de couverture, occupe généralement la tranche de risque moyen à élevé ; il en est de même pour un fonds d’actions de marchés émergents.

« Aucun courtier ne croit à notre modèle d’évaluation de risque, affirme Claire Van-Wyk Allen, directrice canadienne de l’AIMA, à Toronto. Nous avons rencontré les 10 principaux courtiers, mais ils ne révèlent pas leur processus d’évaluation de risque, de telle sorte que nous offrons seulement des orientations. »

Pour produire leurs propres cotes de risque, les grands courtiers font appel à des critères différents de ceux du modèle courant d’écart-type moyen. Ils peuvent avoir recours ou non à ce modèle, mais en le complétant avec une analyse de ratio de Sharpe, de perte maximale ou de degré de participation à la hausse ou à la baisse. « Chacun a sa recette qui lui est propre », note Claire Van-Wyk Allen.

Un premier « dégel »

Cependant, les choses sont appelées à changer, si on en croit l’expérience de Mackenzie. À ce jour, une seule maison de courtage « a abaissé la cote de notre fonds au niveau moyen, révèle Jeff Ray. Nous nous attendons à ce que d’autres courtiers suivent. »

Ce spécialiste comprend bien la résistance des courtiers. « Nous avons lancé notre produit longtemps avant l’approbation des régulateurs et cela s’explique que, devant la nouveauté de ces produits, les courtiers aient adopté une position très conservatrice. »

De façon typique, les courtiers membres de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) ne retiennent que les trois grandes catégories de risque des ACVM : faible, moyen, élevé. « Avec le temps qui passe et la possibilité d’observer de plus près l’évolution [du secteur des OPCA], nous nous attendons à ce que les cotes de risque baissent, prévoit Jeff Ray, et nous les verrons probablement s’établir au niveau « moyen » chez une majorité de courtiers. »

Une question s’impose : des cotes de risque moins exigeantes se justifient-elles ? Une étude le confirme, réalisée par Keith Black, directeur pédagogique à la CAIA, à Boston.

En effet, si l’investisseur cherche une surperformance par rapport aux stratégies d’actions classiques, il risque d’être déçu. Par exemple, de janvier 2008 à novembre 2018, une stratégie d’actions long/short, fort populaire, n’a montré un rendement total que de 1,0 % pour les OPCA qui ont cours en Europe, contre une moyenne de 2,59 % pour l’indice Equity Hedge de Hedge Fund Research, de Chicago. De plus, cet indice se compare mal au MSCI World Index, qui, depuis sa création en juin 2009 jusqu’au 31 janvier 2019, affiche un rendement moyen de 12 %. Il se compare mal également au S&P 500, qui affiche un gain moyen annuel de 8,73 % pour la période allant de janvier 2008 à novembre 2018.

Cependant, l’investisseur qui cherche à réduire le risque de son portefeuille et à en renforcer la résistance aux baisses de marché serait sans doute à l’aise avec un bon fonds d’actions long/short. Toujours selon l’étude de Keith Black, cette catégorie de fonds affiche un écart-type de 5 % et n’a connu qu’une baisse maximale de 12,86 % dans les 10 dernières années ; de leur côté, l’indice de Hedge Fund Research a enregistré une chute maximale de 28,9 % et le S&P 500 a culbuté de 37 % dans l’année 2008.