Homme d'affaire assis sur une chaise qui boude.
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Popularité grandissante des fonds négociés en Bourse (FNB), hausse des taux d’intérêt, volatilité du marché, vieillissement de la population : les raisons semblent multiples, mais, chose certaine, les fonds communs de placement (FCP) passent ces temps-ci un mauvais quart d’heure. L’industrie a enregistré des ventes nettes de seulement 109 M$ en 2018, selon les données colligées par l’Institut des fonds d’investissement du Canada (IFIC). En y regardant de plus près, on constate que les ventes nettes de fonds a long terme de 2018 ont ete inferieures de 105,7 % a celles de 2017, et que de leur côté les fonds equilibres n’ont guère mieux réussi, accusant une baisse de 98,3 %.

Or, rappelons que les ventes de fonds communs se sont chiffrées à 44,2 G$ en 2017, alors qu’elles atteignaient 30,1 G$ en 2016. Ces ventes étaient déjà nettement inférieures à celles de 2015 (57,9 G$) et de 2014 (57,6 G$).

Signe des temps

«Les ventes de fonds fluctuent en fonction du rendement de l’ensemble du marché. Si, récemment, elles ont été moins élevées que par les années passées, c’est en raison de la volatilité accrue et du climat d’appréhension sur le marché», estime Lisa Hall, conseillère principale, Communications et Affaires publiques, à l’IFIC.

Dan Hallett, vice-président et responsable, gestion d’actifs, à la firme HighView Financial Group, fait écho à ces propos. «Les rendements du marché boursier n’ont pas été à la hauteur ces derniers mois et, historiquement, cela se traduit toujours assez rapidement par une baisse des ventes de fonds communs», constate-t-il.

Signe des temps et des récentes performances du marché boursier, les ventes nettes de fonds du marché monétaire se sont pour leur part établies à 1,1 G$ en décembre 2018. Résultat : les ventes nettes de ces types de fonds ont totalisé 2,6 G$, soit un bond de 1 513 % par rapport à celles de la période correspondante de 2017.

«Dans un marché boursier difficile, les investisseurs se tournent généralement vers des produits plus sécuritaires, soit dans l’univers même des fonds communs de placement, soit dans des produits comme les certificats de placement garanti, [CPG] ou les comptes à intérêt plus élevé», indique Dan Hallett.

«On voit un rééquilibrage entre différents types de placement. Cependant, l’important, c’est que les investisseurs puissent justement choisir entre plusieurs instruments de placement. Chacun a sa place dans un portefeuille», renchérit Annamaria Testani, vice-présidente, Ventes nationales, de Banque Nationale Investissements.

Popularité des FNB

La popularité grandissante des FNB ne serait pas étrangère au déclin des ventes de FCP ces dernières années. «C’est clairement une des raisons. Les parts de marché des FNB ne cessent d’augmenter et des fournisseurs de fonds communs ont même lancé leur propre gamme de FNB pour ne pas se laisser distancer», note Michel-Olivier Marcoux, conseiller en sécurité financière au sein du cabinet de services financiers Gestion de Patrimoine ASF, qui se spécialise dans la vente de FCP.

Le secteur canadien des FNB poursuit en effet sa forte croissance, comme en témoigne son actif sous gestion de 156,78 G$ en décembre dernier, comparativement à 147 G$ à la fin de 2017 et à 113,7 G$ en 2016, indique l’Association canadienne des FNB. Il y a 10 ans, les actifs sous gestion des FNB atteignaient à peine 30 G$. Les ventes nettes de FNB canadiens ont d’ailleurs établi un record de 25,8 G$ l’an dernier, soit une hausse de 56 % comparativement à celles de 2016. Même si les fonds dans les FNB ne représentent qu’un peu plus du dixième du marché des FCP, ils gagnent du terrain : les investisseurs canadiens ont accumulé 1,42 T$ (billion, ou mille milliards) dans des FCP au 31 décembre 2018, en baisse par rapport à 1,48 T$ en janvier dernier.

Hausse des taux

La hausse des taux d’intérêt qui s’est amorcée depuis l’été 2017, jumelée à la chute récente des marchés boursiers, pourrait aussi nuire aux ventes de FCP. «Certains produits qui ont longtemps été défavorisés, comme les CPG, commencent à redevenir intéressants pour une population qui vieillit et dont la tolérance au risque est donc moins grande», note Annamaria Testani.

De même, l’augmentation des coûts d’emprunt a un impact sur les dépenses des ménages. L’endettement de ceux-ci est déjà très élevé et, les prix de l’immobilier étant aussi à la hausse, ils doivent notamment consacrer une plus grande partie de leurs avoirs à l’achat d’une maison, ajoute Annamaria Testani.

«Les gens peuvent moins économiser à court terme et vont devoir prendre leur argent dans leurs placements à long terme, ce qui peut nuire aux fonds d’investissement», précise-t-elle.

Par ailleurs, la récente déroute du marché boursier, de même que le ralentissement économique qui se pointe à l’horizon, pourrait donner un nouveau souffle à l’industrie des FCP, croit Michel-Olivier Marcoux. «À l’exception des derniers mois, les marchés boursiers ont eu de très bonnes performances ces dernières années. Il était même assez facile, sans faire de grandes analyses de titres, d’obtenir d’excellents rendements. D’ailleurs, le risque est toujours plus tolérable quand les marchés sont en hausse. Cependant, le ralentissement de l’économie, ou même une possible récession, va changer la donne et serait bénéfique au marché des fonds communs», précise-t-il en soulignant justement que les fonds du marché monétaire sont notamment plus populaires en période de baisse des marchés.

L’argent des clients va peut-être à un autre endroit, soit au remboursement de leurs dettes, selon Sébastien Lavoie, économiste en chef de la Banque Laurentienne.

«On voit dans les chiffres que la croissance du crédit des ménages canadiens, la dette non hypothécaire, augmente très faiblement, donc ça veut dire qu’il y a beaucoup de remboursements. Ça signifie qu’au Canada on est en train de faire quelque chose que les Américains n’ont jamais eu le temps de faire en 2006-2007, avant la crise financière, c’est-à-dire rembourser notre dette ou en alléger le poids», affirme-t-il.

La hausse des taux d’intérêt aurait alourdi le service de la dette, ce qui a réduit la demande et la capacité des ménages à contracter de nouveaux crédits. Cela a incité les gens à épargner suffisamment pour réallouer une partie ou la totalité de leur épargne au remboursement de leur dette.

«Avec la montée des taux d’intérêt, généralement, les consommateurs mettent davantage l’accent sur la réduction de leur dette et font plus attention aux nouvelles dépenses qui pourraient majorer leur endettement», soutient Gaétan Veillette, fellow Administrateur agréé et planificateur financier associé à IG Gestion de patrimoine. Selon lui, ces derniers mois, les ménages ont réduit les dépenses de consommation qui ont un effet significatif sur leur budget, comme l’achat d’une auto ou d’un bien immobilier.