Des mesures concrètes devraient être prises par le législateur afin de réduire le risque pour les consommateurs, selon les intervenants interrogés par Finance et Investissement.

Le contenu du rapport de l’ACFC, rendu public le 20 mars dernier, inquiète Fabien Major, conseiller en épargne collective, conseiller en sécurité financière, associé principal et fondateur de Major Gestion Privée.

«C’est urgent, il faut s’occuper de ça», indique l’auteur de Petits secrets et gros mensonges de votre banquier (VLB, 2017). «Les banques ont lamentablement échoué à s’autoréglementer.»

Me Élise Thériault, avocate et conseillère budgétaire chez Option consommateurs, a une lecture semblable du rapport de l’ACFC : «Il ne faut pas toujours se fier à l’autoréglementation, parce que manifestement dans le cas des banques ça ne marche pas.»

Elle ajoute d’ailleurs que les conclusions de l’ACFC ne la surprennent pas : «Ce n’est pas du jamais vu, on se doutait déjà de ce qu’on lit dans ce rapport. Rien là-dedans ne me surprend, mais je suis contente qu’on puisse le constater. Option consommateurs se doutait de cet état de fait depuis longtemps, notamment grâce aux contacts que nous avons avec les consommateurs.»

Rappelons que, dans la foulée du scandale qui avait frappé la Banque TD l’an dernier, l’ACFC fait partie d’un groupe de plusieurs organismes qui mènent actuellement des enquêtes sur les pratiques bancaires au détail. Le Bureau du surintendant des institutions financières (BSFI) et le Comité permanent des finances de la Chambre des communes se penchent également sur les pratiques des banques.

«Plusieurs enquêtes sont menées en même temps sur les pratiques bancaires. Celle de l’ACFC a le mérite d’avoir analysé des milliers de plaintes et fait des centaines d’entrevues avec des employés de banques, rappelle Fabien Major. J’aimerais que les résultats de cette enquête débordent à l’Autorité des marchés financiers [AMF]. Il faut enquêter sur les pratiques similaires ailleurs dans l’industrie.»

Rappelant les cadres législatifs mis en place autour du secteur des télécommunications, mais aussi la plus récente révision de la Loi sur la protection du consommateur au Québec, Élise Thériault souligne qu’il est possible pour le législateur d’intervenir. Option consommateurs milite d’ailleurs depuis plusieurs années pour l’inclusion dans la loi de la notion de prêt responsable, c’est à dire l’obligation pour les banques de vérifier non seulement que le client a un bon dossier de crédit, mais également qu’il est capable de rembourser le prêt que l’institution financière souhaite lui faire.

«Ç’a été inclus dans la Loi sur la protection du consommateur. On a instauré l’idée du prêt responsable pour toutes les entreprises qui font du crédit parallèle, donc tout le monde sauf les banques et les Caisses. C’est bien, sauf que la majorité des prêts sont faits par les banques et les Caisses. Or, rien n’empêche le gouvernement fédéral d’inclure une disposition semblable dans la Loi sur les banques», explique-t-elle.

«Ce ne sont pas les moyens qui manquent, c’est la volonté, ajoute Élise Thériault. Ça fait des années qu’on le réclame au provincial et au fédéral.»

Difficile suivi des plaintes

Dans le cadre de son enquête, l’ACFC a mené 500 entrevues, révisé plus de 100 000 documents fournis par les six grandes banques canadiennes et examiné 4 500 plaintes. L’agence fédérale recommande d’ailleurs aux banques d’améliorer la surveillance et la gestion des plaintes des consommateurs ainsi que la production de rapports sur le sujet.

«À l’heure actuelle, les banques règlent de 90 à 95 % des plaintes des consommateurs au premier point de contact, dans le souci d’assurer un bon service à la clientèle, écrit l’ACFC dans son rapport. Or, les plaintes résolues à ce stade ne sont généralement pas considérées dans la base de données centrale, en raison de contraintes technologiques ou de politiques et procédures inadéquates. C’est ce qui explique que les banques n’ont qu’un portrait partiel de la situation à l’égard des plaintes et des problèmes des consommateurs et sont moins à même de déceler les tendances.»

L’ACFC ajoute que, bien que les banques soient tenues de lui faire rapport des plaintes transmises à un échelon supérieur (donc celles qui ne sont pas réglées au premier niveau), les ressources mises en place pour assurer le suivi de ces plaintes sont limitées et «il est difficile de tirer des conclusions du faible nombre de plaintes transmises aux échelons supérieurs afin de déterminer si elles sont représentatives de l’expérience des consommateurs en général».

Par conséquent, l’ACFC avoue ne pas disposer de toute l’information nécessaire pour surveiller les risques liés aux pratiques de vente.

Fabien Major s’inquiète de cette statistique : «C’est un chiffre inquiétant : de 90 à 95 % des plaintes sont réglées au premier niveau et ne sont pas comptabilisées parce qu’elles n’ont pas été transmises à l’échelon supérieur. En ce qui concerne les cabinets inscrits à l’AMF, toutes les plaintes doivent être divulguées. En l’absence de fichier de centralisation de toutes les plaintes, on n’a pas de moyen d’en analyser la portée.»

Argument culturel

Le rapport de l’ACFC met également en lumière le fait que «les contrôles visant à atténuer les risques liés aux pratiques de vente sont insuffisants». L’agence fédérale note que les banques invoquent régulièrement leur culture organisationnelle comme outil de contrôle permettant d’atténuer les risques associés aux pratiques de vente.

«Pour étayer le bien-fondé de leur culture de vente, elles s’appuient sur de solides résultats en matière de satisfaction des employés et de la clientèle et sur le nombre relativement faible d’infractions à leur code de conduite», écrit l’ACFC dans son rapport.

Fabien Major ne mâche pas ses mots sur le sujet de la culture organisationnelle comme outil de défense pour les consommateurs : «Cet argument, c’est comme mettre une alarme de piscine pour protéger les enfants du voisinage sans assurer de surveillance autour de la piscine.»

L’agence fédérale insiste par la suite sur deux choses. Premièrement, «l’examen de l’ACFC révèle que les cultures organisationnelles que favorisent les banques ne présentent pas le degré de développement nécessaire pour contribuer efficacement à la détection et à l’atténuation des risques de vente abusive et de manquement aux obligations en matière de pratiques commerciales».

Deuxièmement, l’ACFC rappelle que les sondages sur la satisfaction de la clientèle «ne sont pas conçus pour déterminer si les consommateurs trouvent que les produits et les services qu’ils ont achetés sont adaptés à leurs besoins».

C’est probablement en raison de la façon dont les sondages de satisfaction de la clientèle sont menés qu’ils récoltent des résultats aussi positifs, croit Élise Thériault.

«Les gens ne se rendent pas compte tout de suite qu’ils n’ont pas acheté le bon produit. Si on me sonde deux jours après que j’ai parlé à un employé de banque, je vais être contente du produit que j’ai acheté, explique-t-elle. Je ne le connais pas encore. C’est lorsque je vais faire ma réclamation d’assurance, dans 10 ans, que je vais me rendre compte que je ne suis pas nécessairement satisfaite.»

Réponse des banques

L’Association des banquiers canadiens (ABC) rappelle que, dans le cadre de son examen, l’ACFC n’a pas constaté que la vente abusive était une pratique généralisée.

«Le rapport ne critique pas des pratiques abusives, mais identifie plutôt des domaines où les banques peuvent apporter un changement qui pourrait atténuer le risque de pratiques abusives», écrit Peter Marisette, spécialiste des communications à l’ABC, dans un courriel adressé à Finance et Investissement. «Comme le constate le rapport de l’ACFC, les banques introduisent actuellement des modifications afin de saisir ces occasions d’amélioration et de bonifier leur surveillance et leur gestion des risques liés aux pratiques de vente.»

Contactée dans le cadre de cet article, la Banque Nationale a rappelé qu’elle «n’avait pas fait l’objet des plaintes soulevées l’an dernier dans les médias, mais elle a néanmoins pleinement collaboré avec l’ACFC durant les travaux menant au dépôt de son rapport».

Jean-François Cadieux, directeur principal, Affaires publiques à la Banque Nationale, explique dans un courriel adressé à Finance et Investissement que «la Banque est claire à ce sujet : c’est l’intérêt du client qui prime et le consentement du client aux services que nous offrons doit être éclairé».

De son côté, la Banque TD a remercié l’ACFC pour son travail en indiquant aussi être heureuse que le rapport reconnaisse que «les consommateurs réalisent des millions d’opérations bancaires chaque jour sans incident, et [que] les banques et leur personnel s’efforcent dans l’ensemble de se conformer aux obligations en matière de pratiques commerciales».

«Cette constatation confirme les conclusions de l’examen rigoureux que nous avons nous-mêmes effectué à l’interne. Des milliers de banquiers de la TD se présentent au travail tous les jours pour servir des millions de clients avec excellence et intégrité et nous sommes fiers de ce qu’ils accomplissent», a souligné Mathieu Beaudoin, directeur, Affaires internes et publiques au Groupe Banque TD, dans un courriel adressé à Finance et Investissement.

Quant à la Banque Royale, son directeur, Médias et relations publiques, Denis Dubé, rappelle que «l’expérience client demeure l’une de nos principales mesures de rendement. Nous avons en place des programmes de surveillance complets et proactifs qui permettent de cerner les points à améliorer, et nous encourageons les clients à nous transmettre leurs commentaires afin de mieux comprendre leur expérience avec RBC.»