Il y a deux périodes dans la carrière de Denis Ricard, successeur d’Yvon Charest au poste de président et chef de la direction d’iA Groupe financier : la période «inconsciente» et la période «consciente». Entré chez iA Groupe financier en 1985, Denis Ricard a occupé tout un éventail de fonctions au sein de l’assureur.

«La période inconsciente, c’est celle qui s’étend de 1985 à 1999. Tout ce que je voulais, c’était apprendre, apprendre et apprendre. Je voulais constamment de nouveaux défis, explique-t-il. J’ai beaucoup changé de poste et j’ai été guidé par mes gestionnaires, dont Yvon Charest, qui m’encourageaient là-dedans.»

C’est à partir de 1999 que Denis Ricard commence à être plus stratégique dans ses choix professionnels. «Je suis tombé dans un mode plus conscient. Lorsque je changeais de poste, ça me prenait une bonne raison, c’est-à-dire pour développer mon sens des affaires et pour m’aider à atteindre mon objectif d’être actuaire en chef. Dès 1999, je savais que j’avais ce qu’il me fallait pour occuper ce poste.»

Il faut savoir que, plus jeune, le futur grand patron d’iA Groupe financier avait deux passions : les mathématiques et la musique. «Ce qui m’a décidé à choisir l’actuariat, c’est lorsque mon père m’a dit : « Tu pourras toujours faire de la musique en étant actuaire, mais tu ne pourras pas faire de l’actuariat si tu deviens musicien »», relate celui qui a étudié le saxophone au Conservatoire de musique de Trois-Rivières.

En 2000, il quitte son poste de directeur de l’actuariat, un peu à contrecoeur, pour se joindre au service du marketing, où il occupera les fonctions d’assistant vice-président puis, en 2003, de vice-président.

«J’ai dit à Yvon Charest, mon patron à l’époque : « Si je dois aller au purgatoire avant d’aller au ciel, je suis prêt à le faire ». En réalité, mon passage au marketing n’a pas été un purgatoire, ç’a été le ciel ! J’avais une mauvaise perception et j’ai beaucoup aimé travailler avec les gens des ventes. Grâce à ce passage au marketing, je suis devenu un meilleur actuaire lorsque je suis revenu dans ce service en 2004.»

Tous les gestionnaires ne sont pas prêts à laisser de côté leurs préférences professionnelles pour le bien de leur organisation, rappelle Yvon Charest, président et chef de la direction d’iA Groupe financier depuis 2000 : «Denis est quelqu’un qui a vu beaucoup de secteurs d’activité. Notre philosophie chez iA Groupe financier est très simple : nous ne voulons pas avoir autour de la table des gens qui ont seulement fait du développement des affaires ou de la gestion du risque. Il faut des gens qui savent quand accélérer et quand freiner.»

Or, pour développer cette connaissance fine de l’organisation, il faut accepter de sortir de sa zone de confort. «Parfois, c’est difficile pour les gens qui ont un ego et des préférences personnelles de les sacrifier pour le bien de l’organisation, ajoute celui qui prendra officiellement sa retraite le 1er janvier 2019. Denis a montré à plusieurs reprises qu’il était prêt à oublier son confort personnel.»

En 2004, Denis Ricard atteint son objectif et devient actuaire en chef d’iA Groupe financier. Il conservera ces fonctions jusqu’en 2010, soit jusqu’à la fin de la crise financière. «La crise de 2008 a été un choc pour tous les assureurs, dit-il. Une crise financière, c’est un peu comme la plage : lorsque l’eau se retire, c’est là que tu vois si la vague a emporté ton maillot de bain ou pas. Comme tous les assureurs, nous avons souffert de la crise parce que nous avions pris des risques à long terme, mais certains de nos concurrents se sont retrouvés moins habillés que nous.»

Croître intelligemment

Après la crise financière, iA Groupe financier a mis en place certaines mesures afin de réduire le risque de ne pas atteindre les rendements futurs espérés. «Nous avons abaissé notre exposition aux actions de sociétés publiques afin d’être moins touchés en cas de baisse du marché boursier, indique Denis Ricard. Nous avons aussi augmenté nos investissements dans des projets de capitaux privés, comme les infrastructures, et augmenté la proportion de nos investissements consacrée à l’immobilier. Nous avons aussi un programme de couverture très sophistiqué dans les fonds distincts. L’Autorité des marchés financiers [AMF] l’examine actuellement et, si elle l’approuve, nos exigences de capital pourraient être abaissées.»

En 2017, iA Groupe financier occupait le premier rang des parts de marché parmi les assureurs de personnes au Québec en ce qui concerne les primes directes souscrites avec 17,8 %, devant Desjardins (16,5 %) et Sun Life (13,7 %), selon le plus récent «Rapport annuel sur les institutions financières» de l’AMF. Pour fins de comparaison, en 2015, iA Groupe financier possédait une part de marché de 17,7 %, contre 18,2 % en 2016.

Fort de son expérience en développement des affaires – il a occupé les fonctions de vice-président senior et de vice-président exécutif de ce secteur de 2010 à 2015 -, Denis Ricard connaît l’importance de conjuguer prudence et croissance. Il garde donc un oeil attentif sur les pertes liées aux nouvelles ventes (le drain), maintenues chez iA Groupe financier dans une fourchette trimestrielle de 0 à 15 %.

«Il y a cinq ans, les pertes en pourcentage des primes pouvaient atteindre 50 %. Donc, quand on vendait pour 140 M$ en primes par année, on encaissait 70 M$ de pertes. Si on vendait deux fois plus de primes, on avait deux fois plus de pertes. Bien sûr, on le récupère à long terme, mais ce sont quand même des coûts importants. Aujourd’hui, nous avons entre 5 et 10 % de drain», dit-il.

Pour arriver à limiter les coûts liés à la croissance des ventes en assurance vie, iA Groupe financier a décidé de laisser aller certains produits : «Par exemple, un produit d’assurance vie entière à primes limitées. Nous avons augmenté de façon importante les primes, ce qui fait qu’on en voit beaucoup moins. Nous avons fait le choix d’être plus agressifs dans les produits moins exigeants en pertes et moins agressifs dans les produits plus exigeants en pertes.»

Le marché de l’assurance vie a aussi changé. «Il faut comprendre que plus le marché est agressif, plus les prix sont bas et plus les pertes sont élevées, note Denis Ricard. Nous avons vu des entreprises quitter le marché, Standard Life par exemple, et d’autres assureurs décider, comme nous, de monter leurs prix. Cette meilleure discipline de marché a fait chuter le drain.»

Distribution

La distribution est au coeur de la stratégie d’iA Groupe financier. Denis Ricard avoue d’ailleurs d’emblée qu’il ne croit pas à la vente d’assurance sur Internet sans l’intervention d’un représentant.

«Dans le type de produits que nous visons, nous pensons que la valeur du conseil est là pour rester. Jusqu’ici, les ventes complètement en ligne en Amérique du Nord n’ont pas de succès. Les statistiques le montrent. Les organisations qui ont testé ce marché, même les plus avancées, ont vu que ce n’est pas quelque chose qui remporte du succès. Celles qui réussissent sont celles qui jumellent la vente en ligne avec l’intervention d’un représentant.»

Jusqu’ici, en 2018, iA Groupe financier a fait l’acquisition de deux agents généraux : PPI Management en février et ABEX National Brokerage en avril. Acquérir des agents généraux fait partie de la stratégie d’iA Groupe financier et lui permet de protéger ses parts de marché dans une industrie en changement.

«Nous faisons affaire avec une multitude d’agents généraux, certains depuis longtemps. Lorsqu’un agent général qui place 75 % de ses ventes chez nous prend de l’âge et décide de vendre parce qu’il n’a pas de relève, nous avons tout intérêt à l’acheter. Nous évitons ainsi une érosion de nos parts de marché», illustre Denis Ricard.

Il s’attend d’ailleurs à ce qu’un modèle de supervision s’apparentant à celui qui existe en placement émerge en assurance : «Lorsque les courtiers vont devoir faire affaire avec un seul agent général, il faudra être bien positionné. C’est pourquoi nous cherchons à être l’agent général de choix pour les courtiers. Je crois que Great-West a aussi compris cela en faisant l’acquisition du Groupe Financier Horizons. Cette annonce a confirmé que notre stratégie était la bonne.»

Denis Ricard n’est toutefois pas prêt à faire des acquisitions à tout prix : «Nous n’avons pas intérêt, comme industrie, à ce qu’il ne reste qu’un ou deux agents généraux à la fin. Si un gros agent général se met en vente, je vais être à la table, mais je ne suis pas prêt à payer n’importe quel prix. J’ai un appétit fort pour les token acquisitions.»

Une fois l’acquisition faite, il faut encore réussir à l’intégrer correctement. Rappelons qu’iA Groupe financier a mis la main, en 2017, sur Patrimoine Hollis. Selon la plus récente édition du Top des courtiers québécois de Finance et Investissement, le taux de satisfaction des conseillers d’Industrielle Alliance Valeurs mobilières (IAVM) était en baisse. L’Indice FI, qui le mesure, a diminué de 0,2 point en un an, pour atteindre 7,5 points sur 10, soit le plus bas Indice de satisfaction parmi les courtiers évalués. Malgré tout, ce résultat n’inquiète pas Denis Ricard.

«Passer d’une organisation (IAVM) qui gère 10 G$ à une qui a près de 34,5 G$ en actif sous administration, ça ne se fait pas sans perturbation, et ce, même si on a mis les bouchées doubles pour s’assurer que les conseillers sont satisfaits, avoue-t-il. Nous avons toutefois un taux de rétention de 97 % chez les conseillers de Patrimoine Hollis. Nous avons eu beaucoup moins de départs que ce à quoi nous nous attendions.»

Vers l’avenir

En 2018, iA Groupe financier a prévu mettre 80 M$ dans des immobilisations pour le développement de plateformes technologiques afin d’aider ses clients distributeurs, soit près de trois fois plus qu’en 2015.

«Notre dirigeant technologique a pris sa retraite récemment et je suis en train de chercher un stratège pour ce secteur sur lequel je veux mettre davantage l’accent. Présentement, dans le top 8 des dirigeants d’iA, il n’y a personne en technologies de l’information. Je veux quelqu’un de haut calibre en technologie pour se joindre à notre haute direction», déclare Denis Ricard.

Chef de l’exploitation depuis 2017, il prendra officiellement la relève d’Yvon Charest en septembre 2018. Son mentor, qui prendra sa retraite le 1er janvier 2019, travaille depuis longtemps sur son plan de succession.

«Il y a cinq ans, j’ai déposé au conseil d’administration la structure organisationnelle de 2018, souligne Yvon Charest. Nous cherchions à voir ce que pourrait être notre structure et nos figures dirigeantes ainsi que ce que nous pourrions faire pour les développer. Dans une industrie comme l’assurance, la capacité à résoudre des problèmes financiers complexes sera toujours importante. Je ne dis pas que le président doit être un expert, mais il y a tellement d’expertises différentes à conjuguer qu’il faut quelqu’un qui a une bonne connaissance du secteur et qui est capable de poser les bonnes questions.»

Au-delà de sa connaissance approfondie de l’entreprise, Yvon Charest salue aussi les qualités de chef de Denis Ricard : «Il a un excellent jugement et c’est aussi un bon meneur d’équipe. Il est capable de rassembler des gens très différents autour d’une table et d’écouter même ceux qui sont un peu plus révolutionnaires que les autres. Avec les transformations qui s’en viennent dans l’industrie, on aura besoin de quelqu’un comme lui.»

Père de quatre enfants, Denis Ricard conseille aux jeunes qui démarrent dans l’industrie financière de trouver un mentor le plus rapidement possible. «Vous aurez besoin d’un mentor pour vous remettre en question et vous aider à progresser. Moi, j’ai juste été chanceux», souligne celui qui a pu compter sur l’aide d’Yvon Charest tout au long de sa carrière.