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«Le bilan est très positif, affirme-t-il. Depuis son implantation, le nombre de dénonciations a augmenté chaque année. Surtout, il a porté à notre attention des situations qui autrement auraient été difficiles à détecter avec les outils dont nous disposons. Nous sommes donc intervenus sur un plus grand nombre d’infractions.»

De 2016 à 2019, le programme a permis d’obtenir un total de 233 dénonciations. Plus de 40 % d’entre elles ont été l’élément déclencheur d’une nouvelle enquête ou ont contribué à des enquêtes en cours.

Pour l’exercice 2019-2020 qui s’est terminé le 31 mars, l’AMF avait recueilli 88 dénonciations au 15 février dernier. «Elles ont mené à l’ouverture de 16 nouvelles enquêtes, alors que 10 dénonciations étaient liées à des dossiers existants», précise Jean-François Fortin.

Des sanctions imposées

L’information obtenue des dénonciateurs a mené à quelques sanctions. À ce jour, l’AMF a imposé des amendes à 6 personnes à la suite d’infractions commises. De plus, 15 personnes ont fait l’objet d’un ordre d’interdiction d’opérations ou de mesures provisoires intérimaires, le temps de conclure l’enquête.

Ce bilan peut paraître mince. «Le programme est quand même récent, se défend Jean-François Fortin. Il faut comprendre que les procédures peuvent être longues entre le moment où l’on reçoit l’information du dénonciateur, où l’on procède aux vérifications qui s’imposent et où l’on conclut l’enquête. Il faut aussi tenir compte des délais dans le cas de recours judiciaires.»

Confidentialité assurée

L’élément clé pour que le programme de dénonciation donne des résultats réside dans la garantie de confidentialité offerte aux dénonciateurs et aux mesures antireprésailles, soutient Jean-François Fortin. On se rappellera que cette immunité a été confirmée avec l’adoption de la Loi sur l’encadrement du secteur financier («loi 141»), en juin 2018. «Cela est venu bonifier et compléter notre programme pour le rendre plus fort», affirme-t-il.

Des mesures ont été mises en place, comme une boîte de courriel sécurisée pour protéger l’identité des dénonciateurs. Jusqu’à maintenant, cette immunité n’a pas été contestée devant les tribunaux, ce qui est en soi «une bonne nouvelle», selon Jean-François Fortin.

La Loi protège également les dénonciateurs contre des mesures de représailles telles que la rétrogradation, la suspension ou le congédiement. Elle prévoit aussi que la personne ne peut pas être poursuivie au civil pour avoir dénoncé une situation à l’AMF.

Il y a effectivement une «aura de confidentialité» autour des enquêtes de l’AMF qui est très bien préservée, constate Serge Fournier, associé au cabinet d’avocats BCF. «C’est impossible de savoir qui est derrière la plainte, explique-t-il. Le programme était nécessaire, puisqu’il protège les employés à qui on demanderait de commettre des actes répréhensibles.»

Il s’interroge toutefois sur le niveau réel de protection offerte aux dénonciateurs. «S’ils ne peuvent pas être poursuivis au civil, ça ne veut pas dire qu’ils sont à l’abri de poursuites au criminel», dit Serge Fournier.

En effet, les dénonciateurs ne sont pas toujours blancs comme neige. «Des gens pris de remords peuvent vouloir dénoncer des malversations, mais ils pourraient devoir faire face à la justice», dit-il.

À deux reprises, cette possibilité a refroidi certains de ses clients qui envisageaient d’utiliser le programme de dénonciation. Rappelons que l’AMF n’intervient qu’en matière pénale. «Si un dossier devait faire référence à des activités de nature criminelle, nous contacterions nos partenaires des organisations policières afin de le leur transférer», explique Sylvain Théberge, porte-parole de l’AMF.

Pas de récompenses

Au moment d’instaurer son programme de dénonciation, l’AMF a fait le choix de ne pas offrir de récompenses aux dénonciateurs, contrairement aux pratiques d’autres régulateurs, comme la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario et, aux États-Unis, la Securities and Exchange Commission (SEC).

L’idée n’est pas rejetée pour autant. «On continue de regarder ce qui se fait ailleurs et d’évaluer les avantages qu’on retirerait à offrir une récompense», affirme Jean-François Fortin.

À la lumière des résultats obtenus jusqu’à maintenant, il n’est pas sûr que cela ferait croître de façon marquée le nombre de dénonciations. Il faut aussi prendre en considération le processus d’attribution des récompenses, qui pourrait exiger des ressources humaines et financières importantes.

À la SEC, par exemple, l’attribution des récompenses se fait toujours au cas par cas, en fonction notamment du degré d’implication du dénonciateur dans les malversations révélées.

«Les récompenses ne nous apparaissaient pas essentielles, explique Jean-François Fortin. L’élément fondamental de notre programme, c’est la confidentialité et les mesures antireprésailles. Nous poursuivons néanmoins notre veille des mesures mises en place chez les autres régulateurs pour voir si nous pouvons améliorer notre programme. Pour le moment, nous ne prévoyons pas de changement.»