Le consensus des parlementaires qui a mené à la survie de la Chambre de la sécurité financière (CSF) et de la Chambre de l’assurance de dommages (ChAD) est, en quelque sorte, la victoire du pragmatisme.

Si quelque chose n’est pas brisé, pourquoi chercher à le réparer, dit l’adage. Et lorsqu’on tient à réparer quelque chose, comme les Chambres, il faut démontrer, preuves à l’appui, que cette chose est vraiment brisée. Le ministère des Finances du Québec n’a pas été en mesure de faire cette démonstration et c’est pourquoi il a dû retirer du projet de loi 141 l’intégration de la CSF et de la ChAD à l’Autorité des marchés financiers (AMF), à l’issue d’un consensus avec les partis d’opposition.

Devant la Commission des finances publiques de l’Assemblée nationale, les partisans de l’abolition des Chambres n’avaient pas assez d’arguments chiffrés afin de souligner les problèmes relatifs à ces organismes. On voulait les intégrer pour simplifier l’encadrement réglementaire. Sur le plan conceptuel, cet argument se tenait. Le problème est qu’il s’appuyait sur trop peu de faits.

De plus, il était difficile de saisir l’ampleur des reproches qu’on faisait aux Chambres. Par exemple, Carlos Leitão, ministre des Finances du Québec, affirmait que ces dernières causaient de la confusion dans l’esprit du public, qui ne savait pas à qui s’adresser en cas de problème.

«Avez-vous des preuves qu’il y a de la confusion ?» a demandé Nicolas Marceau, député de la circonscription de Rousseau et porte-parole de l’opposition officielle en matière de finances. Ce à quoi Richard Boivin, sous-ministre adjoint aux politiques relatives aux institutions financières et au droit corporatif, a répondu que «personne ne nous a dit qu’il n’y a pas de confusion». Pas de quoi se jeter par terre, comme argument.

Dans les travaux de la commission, certains ont souligné le risque que la CSF, puisqu’elle doit communiquer avec le représentant lorsqu’elle suspend temporairement son permis, nuise à l’AMF, qui préférerait commencer par geler les actifs d’un représentant fautif. Il y a ainsi un risque qu’une personne malhonnête, qui vient de se faire aviser de la suspension de son permis, en profite pour cacher des actifs avant que l’AMF, par l’intermédiaire du Tribunal administratif des marchés financiers, les gèle. Plusieurs intervenants de l’industrie ont répliqué qu’il suffirait d’améliorer les communications entre la CSF et l’AMF pour être plus efficace.

Les discussions sur la survie des Chambres devant la Commission des finances publiques piétinaient. L’argumentaire de Nicolas Marceau était simple : «Vous ne m’avez pas convaincu que l’intégration des Chambres est la meilleure solution. À ce stade-ci, on commence la discussion en disant : « Bon travail, les Chambres, mais on va tout changer ». Il n’y a pas un bilan dévastateur de l’action des Chambres. Tout le monde dit : « Ça fonctionne plutôt bien ». Bien sûr que les gens vont résister à changer quelque chose qui fonctionne bien.»

C’est sur cette impasse que se sont terminés les travaux de la commission à la fin de mai. À la reprise des travaux, le 5 juin, la situation était tout autre et la survie des Chambres était annoncée. Le ministre a fait cette concession à contrecoeur. Il a rappelé qu’il estimait qu’un régulateur intégré était préférable à un dédoublement des compétences, et qu’il craignait que la CSF et l’AMF ne se nuisent lors d’enquêtes menées en parallèle et mettent en danger le public. Malgré cet avis, à la mi-juin, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi 141.

Beaucoup se demandent pourquoi le gouvernement libéral n’a pas profité de sa majorité de députés pour faire adopter le projet de loi 141 selon sa propre vision. Les raisons de la volte-face du ministre Carlos Leitão sont encore méconnues.

Quoi qu’il en soit, le gros bon sens a triomphé sur le plan de l’intégration des Chambres. Et tout cet épisode prouve l’importance pour un gouvernement de bien documenter les failles d’un système d’encadrement avant de vouloir le réformer.

Au-delà du fait que les Chambres doivent une fière chandelle à Nicolas Marceau et à François Bonnardel, député de Granby et porte-parole du deuxième groupe d’opposition en matière de finances, que retenir de ces débats ?

Que l’AMF et les Chambres doivent enterrer la hache de guerre et trouver des manières d’être plus efficaces et plus efficientes dans leur travail conjoint de protection du public.

Que tous ces organismes doivent désormais être en mode solution. Ils doivent améliorer leurs communications afin de calmer les craintes légitimes soulevées devant la Commission des finances publiques et dans les autres débats publics.

Et que, plus que jamais, les représentants ont besoin de trouver un porteur de flambeau pour défendre leurs intérêts. Durant tout le processus qui a mené à l’adoption du projet de loi 141, les représentants sont apparus divisés, sans voix. Ils se sont retrouvés marginalisés par rapport aux lobbys des acteurs plus puissants, comme les institutions financières et les assureurs, qui étaient, eux, clairement positionnés et organisés.