Les dirigeants des courtiers en sont conscients et encadrent de diverses façons ces directeurs, dont le style de gestion donne souvent une couleur à une succursale. Cependant, il est toujours possible de s’améliorer, révèle le sondage mené dans le cadre du Top 8 des courtiers québécois. Les conseillers répondants accordent une note moyenne de 7,9 sur 10 à leur directeur, ce qui est au-dessus de la moyenne des notes pour l’ensemble des critères. Industrielle Alliance Valeurs mobilières et RBC Dominion valeurs mobilières ont toutes les deux obtenu 8,6 sur 10 à ce critère.

Pour un directeur, il semble cependant difficile de faire l’unanimité, comme l’atteste un conseiller sondé de RBC : «Mon directeur est dépassé. Avant d’appeler, il n’a pas fait ses devoirs. Il est toujours en mode réaction au lieu d’aider. Il est blasé et mûr pour la retraite.»

Un de ses collègues déplore le manque de clarté des attentes de son directeur, alors qu’un autre conseiller de RBC envisage même une retraite hâtive à cause d’un soutien insuffisant.

«Un directeur qui travaille avec 30 ou 40 conseillers n’aura pas autant de fans, dit Paul Balthazard, directeur général régional, Québec, RBC Dominion. Je ne suis pas content d’avoir ces commentaires, mais ça me motive à continuer à améliorer cet aspect.»

Paul Balthazard et quelques autres dirigeants de courtiers présentent les ingrédients de leur recette pour bien encadrer un directeur de succursale.

D’abord, plusieurs chemins mènent à ce poste. «Des conseillers en placement nous montrent de l’intérêt. Des gens de conformité ont le goût de faire le saut et d’autres, des directeurs adjoints, deviennent directeurs de succursale», explique Luc Papineau, vice-président et directeur général chez Valeurs mobilières Desjardins (VMD).

Souvent promus de l’interne, les aspirants directeurs suivent la formation obligatoire du CSI Institute et, généralement, un programme de formations propre à leur firme.

«Il y a un jumelage qui se fait avec un directeur qui est senior. Dans un monde parfait, on aimerait qu’une personne devienne directeur adjoint en premier lieu, puis « gradue » en devenant directeur de succursale, après que le travail a été bien assimilé pendant deux à quatre ans», indique Sylvain Brisebois, directeur général, premier vice-président chez BMO Nesbitt Burns.

Main-d’oeuvre recherchée

Main-d’oeuvre demandée sur le marché, les directeurs viennent parfois de réseaux concurrents. «C’est vrai que c’est rare», dit Charles Martel, directeur exécutif – Québec chez CIBC Wood Gundy, qui note que le poste de directeur au développement de succursale, anciennement nommé directeur des ventes, est le poste tremplin pour devenir directeur de succursale. «C’est le rôle du directeur régional de savoir ce qui se passe», dans le marché.

La direction des courtiers a des attentes élevées concernant les directeurs de succursale. Leur succursale doit être rentable et croître. Ceux-ci doivent bien «coacher» et soutenir leur équipe de conseillers, et favoriser le recrutement de représentants talentueux. Également, ils doivent superviser ces derniers en suivant les règles de conformité.

«Leur rôle est aussi la gestion de risque. C’est notre nom, notre réputation. C’est tellement fragile. On voit ce qui se passe dans les nouvelles [de l’industrie bancaire] : la gestion de risque, c’est critique», souligne Paul Balthazard.

Conscient que l’intelligence artificielle risque de bouleverser le rôle du conseiller, Paul Balthazard s’attend à ce que ses directeurs favorisent le changement : «Les conseillers qui ont un énorme succès ne veulent pas changer. On veut les amener vers un autre modèle d’affaires, celui de conseiller relationnel à l’ère numérique, qui intègre à sa pratique les innovations technologiques.»

Paul Balthazard accorde une importance élevée au coaching. «Il faut bien se connaître : tes forces, tes faiblesses, tes valeurs, qui sont ta raison d’être, ce qui peut inspirer, dit-il. Et les directeurs doivent avoir le goût d’aider leur monde. C’est à eux de bien gérer leur temps.»

Lorsqu’ils ont été interrogés sur la principale faiblesse de leur firme, quelques conseillers de BMO Nesbitt Burns ont montré du doigt leurs gestionnaires. Selon Sylvain Brisebois, cela pourrait avoir un lien avec les responsabilités de conformité du directeur : «La réglementation nous demande de plus en plus de paperasse. Ça cause des frustrations chez les conseillers.»

Quelques conseillers de VMD sondés déplorent également le manque de communication avec leur patron. À l’écoute de ses conseillers, Luc Papineau cherche à en savoir plus, croisant les commentaires des conseillers avec, entre autres, la rétroaction venant des sondages internes de satisfaction des employés. «Si un conseiller a un conflit de personnalité avec un directeur de succursale, il se peut qu’on change juste le conseiller de succursale», dit Luc Papineau, qui souligne que ses directeurs font bien leur travail, mais qu’ils ont aussi droit à l’erreur.

«Si un directeur de succursale fait beaucoup d’interventions de conformité avec quelqu’un, est-ce que ce quelqu’un sera moins content ? Il faut toujours regarder le contexte du commentaire», note Luc Papineau.

Performance scrutée

Généralement, les directeurs régionaux des courtiers rencontrent et supervisent leurs directeurs de succursale à l’occasion d’appels, de rencontres et de formations périodiques. Ils s’assurent qu’ils ont les ressources nécessaires, par exemple un directeur adjoint et un responsable de la conformité, si la taille de la succursale le justifie.

Selon Sylvain Brisebois, il est plus difficile aujourd’hui de bien communiquer la stratégie de la firme ou sa vision que par le passé. C’est pourquoi il encourage une conversation mensuelle entre les gestionnaires seniors et les gestionnaires locaux, de laquelle devrait découler une conversation analogue en succursale. «On encourage une communication beaucoup plus active que par le passé. La complexité de l’industrie fait que ça s’explique moins bien par courriel», dit Sylvain Brisebois.

Chez CIBC Wood Gundy, un conseiller sondé s’est plaint du manque de préparation du directeur aux rencontres avec les conseillers, alors que d’autres ont déploré le manque de réceptivité aux commentaires, entre autres lors des récents changements à la rémunération des conseillers.

«C’est dur de convaincre des gens des mérites d’une nouvelle grille de commission si le leadership local n’est pas convaincu lui-même», dit Charles Martel, qui estime qu’un directeur a peut-être mal vendu ces changements.

Les directeurs régionaux disposent d’une multitude d’outils pour mesurer la performance d’une succursale : sondages auprès des clients, des conseillers et des employés, indicateurs de rentabilité et de croissance, rapport de vérification en conformité, etc.

En plus d’utiliser ces outils, Charles Martel évalue, par exemple, l’atteinte d’objectifs en matière de croissance des revenus, d’entrées de fonds nettes, de référence aux partenaires bancaires. En tout, 25 % de la compensation d’un directeur découle de cibles plus qualitatives, dont l’implication communautaire, la participation à la stratégie de la firme, la formation de ses employés et la qualité des plans de relève et de succession pour ses directeurs adjoints et ses conseillers en placement.

Luc Papineau évalue aussi la croissance des actifs par conseiller, la performance de leur gestion de portefeuille et l’actif moyen par client. «Le coaching quotidien, c’est plus difficile à évaluer, mais les conséquences du coaching, on les voit, dit-il. S’il n’y a pas de coaching, le conseiller moyen ne s’améliore pas.»

En général, les directeurs font leur travail. Parfois, leurs patrons peuvent toutefois découvrir qu’un d’entre eux n’est pas à la bonne place et le réorienter. Charles Martel estime que, dans ces rares cas, la rétroaction des conseillers en placement est révélatrice.

«Si les conseillers passent constamment par-dessus leur directeur de succursale pour obtenir des réponses à leurs questions, c’est qu’il n’est pas présent, qu’il ne passe pas les bons messages. Je vois dans les questions que je reçois des conseillers si l’information descend vers eux», dit Charles Martel.

«Si les résultats ne sont pas là, on va « tirer la plogue ». On l’a déjà fait», dit Luc Papineau, qui analyse quand même l’ensemble de la situation avant d’agir.

Avant de réorienter un directeur, Charles Martel lui donne tous les outils pour redresser le tir. «J’ai déjà offert du coaching qui coûtait de gros montants à un directeur, parce qu’il avait un énorme potentiel. Après cela, on a décidé autrement, note-t-il. On va être patient et on va essayer de l’aider. C’est perturbateur de changer un directeur de succursale.»

Comme on ne peut être tout pour tout le monde, un directeur de succursale réussit aussi grâce à son équipe responsable de la gestion, indique Sylvain Brisebois : «C’est impossible de tout faire seul comme autrefois, étant donné les exigences de conformité et la complexité de l’industrie aujourd’hui.»