Un homme en costume d'affaires avec un casque de chevalier, un bouclier et une épée sur un fonds urbain.
lassedesignen / 123rf

Une pluie de critiques s’est abattue sur les fonds indiciels au cours des derniers mois. L’une des plus virulentes est venue du gestionnaire de portefeuille américain Michael Burry, l’un de ceux qui avaient prédit l’effondrement du marché des prêts hypothécaires à haut risque (subprimes) en 2008.

Michael Burry, qui gère la firme Scion Asset Management, en Californie, a fait fortune en misant sur cet effondrement. Son histoire a été portée au grand écran dans le film The Big Short.

Dans une entrevue accordée à Bloomberg, il a comparé les ventes nettes de fonds indiciels avec les entrées d’argent d’avant 2008 dans les titres garantis par des créances (TGC), ou collateralized debt obligations (CDO). Les fonds indiciels créeraient une distorsion dans le prix des actions et des obligations de la même manière que les TGC ont créé une distorsion dans les prix des subprimes, il y a une décennie.

«Comme toutes les bulles, plus elles durent, pire est le krach qui suit», a indiqué Michael Burry dans un courriel à Bloomberg. C’est pourquoi ce portefeuilliste préfère les titres de petite capitalisation : ils tendent à être sous-représentés dans les indices.

Selon Michael Burry, les fonds indiciels peuvent aussi connaître des problèmes de liquidité, en raison du volume quotidien de transactions relativement petit de nombreux titres. La faible liquidité des actifs sous-jacents des fonds indiciels le préoccupe, compte tenu de la quantité d’actifs qui sont investis dans ces titres. «La salle de cinéma devient de plus en plus remplie, mais la porte de sortie est la même», utilise-t-il comme analogie.

Quelques membres de l’industrie se sont levés afin de répondre à ces allégations. D’abord, comparer les fonds indiciels ou les fonds négociés en Bourse (FNB) avec les CDO est une erreur.

Mauvaise comparaison

«C’est une mauvaise comparaison et une mauvaise information», juge Kevin Gopaul, chef – Fonds négociés en Bourse chez BMO Gestion mondiale d’actifs.

«Les CDO qui ont contribué à la crise de 2008 se démarquaient par leur complexité, la misérable qualité de leurs actifs sous-jacents, leur manque de transparence et par le rôle des agences de notation de crédit, qui ont lamentablement échoué dans leur évaluation des risques. La plupart des fonds passifs ne revêtent aucune de ces caractéristiques», a souligné Raymond Kerzérho, directeur de la recherche chez PWL Capital, dans un article publié récemment dans notre infolettre Focus FNB.

Les fonds indiciels, dont les FNB courants, n’investissent que dans des actions inscrites en Bourse et des obligations. Ces actifs sous-jacents sont soumis à de rigoureuses normes de divulgation de l’information et sont relativement liquides.

«Comme catégorie au sens le plus large, les FNB ont toujours présenté la transparence comme l’une de leurs caractéristiques les plus attrayantes», dit Yves Rebetez, conseiller exécutif principal chez Credo Consulting et ancien rédacteur pour ETF Insight.

«C’est quelque chose qui n’aurait pu être plus éloigné de la vérité en ce qui concerne les obligations adossées à des créances, et Michael Burry serait certainement d’accord là-dessus», ajoute-t-il.

Cible ratée

L’argument à propos de la faible liquidité des titres sous-jacents rate sa cible, selon Guy Lalonde, conseiller en placement et gestionnaire de portefeuille à la Financière Banque Nationale.

Le problème ne vient pas de l’outil de placement en soi, mais bien du fait que «trop d’investisseurs ont la malheureuse tendance de se ruer vers la sortie tous en même temps et au mauvais moment lorsque les émotions prennent le dessus, qu’ils détiennent des FNB, des fonds communs ou des actions chez un courtier à escompte», soutient-il dans un texte publié dans l’infolettre Focus FNB.

Les marchés n’ont jamais eu besoin de FNB ou de fonds indiciels pour créer des bulles ou pour subir des périodes de ventes massives, ajoute Guy Lalonde : «Pensons aux corrections de 1987, 2001, 2002 et même 2008.»

«Les FNB sont liés au marché et évoluent avec le marché, et par conséquent, n’entraînent pas de transformation du marché, ce qui signifie que les changements de prix des FNB sont un signe de volatilité du marché, pas une cause», soutient l’Association canadienne des FNB (ACFNB) en réponse aux affirmations de Michael Burry.

Argument non fondé

Par ailleurs, Raymond Kerzérho juge que Michael Burry ne fournit aucun fait qui prouve la thèse selon laquelle les fonds indiciels créeraient une distorsion dans le prix des titres financiers.

Selon Morningstar Direct, la part de marché des fonds communs de placement et des FNB dits «indiciels» à l’échelle mondiale était de 26,5 % en juillet 2019, note Raymond Kerzérho. Un autre rapport publié par CREATE Research attribue une part de marché de 34 % aux fonds indiciels parmi les caisses de retraite interrogées, précise-t-il.

«Il reste donc au moins les deux tiers des capitaux qui sont gérés activement. De plus, les prix des actions et des obligations ne sont pas fixés par vous et moi, mais bien par les grands investisseurs institutionnels, qui représentent la majorité des volumes de transaction», explique Raymond Kerzérho.

«Affirmer que les prix des actions et des obligations sont faux, c’est juste… faux», tranche-t-il.

L’argument voulant que les fonds indiciels créent une distorsion du prix des titres financiers fait abstraction du fait que les marchés financiers sont justement un marché où se rencontrent acheteurs et vendeurs, d’après Guy Lalonde.

«Le vendeur peut être un gestionnaire qui veut cristalliser une partie de ses profits en vendant une partie de sa position. Il peut être un investisseur qui a besoin de fonds pour l’achat d’une voiture, pour se payer un voyage ou pour toute autre bonne raison qui n’a rien à voir avec la Bourse. C’est à ce niveau que le price discovery [détermination des prix] a lieu», souligne-t-il.

«La détermination des prix se porte très bien, affirme l’ACFNB. Une déclaration générale sur la disparition de l’analyse fondamentale et de la détermination naturelle des prix n’est tout simplement pas raisonnable.»

L’ACFNB convient toutefois que l’intervention sans précédent des banques centrales au cours des dernières années a eu un effet sur la détermination des prix, et que la liquidité des actions individuelles varie.

«La détermination des prix pourrait-elle à un certain moment présenter des défis ? Oui, mais il est important de noter que cela pourrait toucher quelques actions, parfois, ce qui constitue un défi vraiment très différent de l’affirmation « la détermination des prix telle que nous la connaissons a disparu »», indique l’ACFNB.

L’Association souligne que Michael Burry est un gestionnaire de portefeuille actif axé sur les titres de petite capitalisation et que ses intérêts créent un biais potentiel. «L’intelligence brillante en matière de finance de Michael Burry ne l’exempte pas d’avoir d’autres intentions», conclut-elle.