Cette approche est révolutionnaire, car habituellement, après avoir établi le profil de l’épargnant, un portefeuilliste diversifie l’actif, par exemple, entre liquidités, titres à revenu fixe et actions. Il fait ensuite de légers rééquilibrages pour respecter la stratégie de départ.
En investissement adaptatif, la diversification du portefeuille est plutôt adaptée constamment en fonction des facteurs macroéconomiques, étant donné que ceux-ci ont une influence énorme de nos jours.
Ainsi, le portefeuille doit couvrir des secteurs géographiques et un spectre de créneaux d’investissement beaucoup plus vastes, selon le père de la théorie de l’investissement adaptatif, Andrew Lo.
Ce professeur de finance de la MIT Sloan School of Management a expliqué son approche dans un article intitulé «Adaptative Markets and the New World Order» publié en 2012 dans le Financial Analyst Journal.
Théorie du regret
La théorie de l’investissement adaptatif est influencée par les béhavioristes et la théorie du regret de la finance comportementale.
Selon cette école de pensée, les investisseurs réagissent en fonction des conditions du marché, et non du désir logique de maximiser leur bien-être face à un choix financier.
Selon les béhavioristes, les investisseurs seraient donc irrationnels, et par conséquent, les marchés inefficients. Cette conclusion porte un coup fatal aux hypothèses de base de la théorie de portefeuille moderne développée dans les années 1950 par Harry Markowitz, et qu’on enseigne depuis aux étudiants en finance.
Les béhavioristes recensent deux types d’épargnants : ceux qui ont une aversion pour la volatilité (le risque traditionnel) et ceux qui ont une aversion pour le regret.
L’investisseur qui a une aversion pour le regret préfère subir plus de volatilité que le «regret» de n’avoir pas participé, par exemple, à une poussée boursière importante. Il ne cherche aucunement à maximiser le rapport entre le risque et le rendement, tel que l’enseigne la théorie de Harry Markowitz.
Diversification inefficace
La théorie de l’investissement adaptatif s’inscrit dans le contexte où «la diversification traditionnelle ne fonctionne pas», affirme Karl Gauvin, président d’OpenMind Capital, une nouvelle firme d’investissement.
En période de crise, les corrélations entre plusieurs catégories de titres financiers et les marchés boursiers augmentent. Ainsi, la diversification est inefficace au moment même où elle serait utile, soutient-il.
Au cours des dernières années, bien des pistes de diversification ont été explorées pour remédier à ce problème. Par exemple, bon nombre de conseillers en services financiers ont diversifié davantage la portion revenu fixe de leurs portefeuilles.
Plusieurs se rendent compte aujourd’hui que cela a eu pour effet d’exposer le portefeuille à un autre risque que celui des taux d’intérêt : le risque de crédit. «Il s’agit du même risque que celui de la partie actions du portefeuille», précise Christian Richard, gestionnaire de portefeuille chez REGAR Gestion privée.
En cas de choc boursier, une partie des placements à revenu fixe sera donc touchée, s’inquiète Christian Richard.
Ce constat est un retour à la case départ pour bien des portefeuillistes, car il signifie qu’ils ne peuvent pas gérer efficacement le risque simplement en diversifiant les placements à revenu fixe.
Le monde à l’envers
D’ailleurs, le marché boursier haussier qui a suivi la récente crise financière laisse les portefeuillistes perplexes. Le contexte est inédit.
Traditionnellement, dans un marché haussier, ils n’hésitent pas à accroître le risque du portefeuille pour obtenir de meilleurs rendements, puisque l’actif risqué est favorisé. Ils font le contraire dans un marché baissier.
Aujourd’hui, de nombreux portefeuillistes cherchent à réduire le risque en plein coeur du marché haussier, car ce dernier ne leur inspire pas confiance. «C’est le monde à l’envers», juge Christian Richard.
«On craint que le marché haussier actuel n’ait été créé de toutes pièces par la Réserve fédérale américaine (Fed)», souligne Vincent Fournier, gestionnaire de portefeuille chez Gestion de placements Claret.
Les portefeuillistes ont l’impression que ce contexte les oblige à réduire la prise de risques. Le hic, c’est que les limites de la méthode de répartition entre les catégories d’actif pour le faire semblent avoir été atteintes.
De là à conclure qu’un problème d’ordre théorique se pose, il n’y a qu’un pas…
Une question de dosage
Selon Andrew Lo, un gestionnaire ne peut donc plus simplement se contenter de dire qu’il maximise le risque par rapport au rendement. C’est insuffisant, puisque l’évolution du contexte économique et financier mondial depuis 2000 a court-circuité l’efficacité de la répartition d’actif traditionnelle.
Sa théorie fait de plus en plus d’adeptes. Bien qu’ils n’utilisent pas l’expression «investissement adaptatif», certains portefeuillistes appliquent cette approche.
«Quand on investit, le meilleur concept est d’abord de se demander comment on va faire de l’argent», résume Vincent Fournier, de Claret.
Il ne s’agit pas d’ignorer la volatilité. Par exemple, la théorie du regret suggère que la volatilité et le regret sont des risques partiellement substituables.
Le niveau d’aversion face au regret fait simplement augmenter ou diminuer le niveau optimal d’exposition au risque, comparativement à une stratégie centrée sur le risque traditionnel.
On comprend alors qu’en investissement adaptatif, tout est affaire de dosage.
Ainsi, dans une situation de marché haussier, l’épargnant voudra minimiser le regret de ne pas avoir participé à la hausse, et dans un marché baissier, le regret d’avoir subi des pertes.
C’est en fonction de cet objectif que le portefeuille doit être conçu ou adapté, selon les tenants de l’investissement adaptatif. Autrement dit, aujourd’hui «c’est essentiellement la peur de manquer une occasion qui fera en sorte que l’investisseur s’exposera dans les marchés», conclut Karl Gauvin.