L’incertitude croissante concernant l’imposition des commissions sur les polices personnelles vient d’un bulletin de l’Agence de revenu du Canada (ARC) sur les avantages sociaux des employés.
Cette position administrative mentionne que «lorsqu’un vendeur d’assurance vie acquiert une police d’assurance vie et qu’il touche une commission sur cette police, celle-ci n’est pas imposable pourvu que le vendeur soit propriétaire de la police et qu’il soit tenu de verser les primes exigées».
Or, en juin 2009, un jugement de la Cour canadienne de l’impôt est venu nuancer cette politique. La Cour a déterminé que les commissions de 43 115 $ reçues par Jacques Bilodeau, un conseiller qui avait souscrit à deux polices d’assurance vie universelles, constituent un revenu imposable. «S’il n’avait pas été courtier, il n’aurait pas reçu cette commission», écrit la juge Lucie Lamarre.
«Le jugement nous apprend que la position administrative n’a pas de fondement légal. La Loi de l’impôt sur le revenu (LIR) stipule, noir sur blanc, qu’un dollar de revenu de commission est imposable. Ce que faisait l’ARC, c’est qu’elle n’appliquait pas la loi», explique Jamie Golombek, directeur de la planification fiscale et successorale chez Gestion privée de patrimoine CIBC.
Selon ce dernier, la lourdeur administrative liée à la perception de montants peu importants a probablement motivé l’ARC à ne pas observer la loi et à accorder cet allègement.
«C’est la même chose que les employés d’un Starbucks qui peuvent boire du café gratuitement. Ils en profitent parce qu’ils travaillent chez Starbucks. Il ne fait aucun doute que c’est un avantage imposable et qu’ils devraient payer de l’impôt sur la valeur de leur café gratuit, illustre-t-il. Mais comment gérer ça du point de vue administratif ?»
Dans ce jugement, la magistrate Lucie Lamarre souligne également que le bulletin de l’ARC «ne peut se substituer à la LIR» et que ce document «ne constitue que l’opinion du ministre, et ne peut lier ni ce dernier, ni le contribuable, ni les tribunaux.»
«La leçon de ce jugement, c’est que les politiques administratives n’ont pas force de loi», soutient Luc Lacombe, associé en fiscalité, Raymond Chabot Grant Thornton.
Des explications
Après ce jugement, des précisions ont été demandées à l’ARC. Celle-ci a soutenu que la position administrative du bulletin «ne serait pas appliquée lorsque le montant du revenu de commission est élevé». L’autorité fiscale ne précise pas ce qu’elle entend par «élevé».
L’ARC a aussi ajouté que l’interprétation administrative serait ignorée lorsque «la police d’assurance vie comporte une composante de placement ou vise une fin commerciale». Dans une autre interprétation technique, le fisc a soutenu que l’allègement fiscal ne s’applique pas aux polices d’assurance habitation et automobile.
Patrice Forget, associé en fiscalité chez Deloitte, souligne que l’ARC révise actuellement sa position administrative : «Avec ce jugement, l’ARC a le gros bout du bâton. Si j’étais agent d’assurance, je me limiterais à ne pas m’imposer sur des revenus de commission reliée à des polices d’assurance vie temporaire. Je ferais très attention aux polices d’assurance vie universelle avec composante de placement».
Il subsistera toujours un risque que les commissions des conseillers soient imposables, soutient Luc Lacombe, car l’ARC se laisse une certaine latitude pour interpréter ce qu’est un revenu de commission «élevé».
«Il n’y a pas d’ordre de grandeur. Sauf qu’on se rend compte que les gouvernements ont de plus en plus soif d’argent et que cette notion relative perd du terrain. C’est le genre de situation où on est à leur merci», estime-t-il.
De plus, l’ARC pourrait juger déraisonnable l’ampleur du capital assuré par rapport au besoin en assurance du conseiller, d’après lui. Le fisc pourrait aussi contester la nature «personnelle» de ce besoin, en soutenant qu’il s’agit d’un revenu «commercial».
«À partir du moment où le vrai besoin est là et que vous couvrez un besoin temporaire, vous n’avez aucun problème», note Luc Lacombe, qui soutient que l’analyse de besoin devrait être documentée au cas où une vérification fiscale adviendrait.
Daniel Fortin, comptable et associé en fiscalité chez PwC, suggère quant à lui de se protéger et d’inclure dans ses revenus la commission, même si la police est temporaire.
La Cour tranche encore
En janvier 2012, un autre jugement est venu confirmer la nature imposable des commissions, tout en soulignant au passage qu’un conseiller peut seulement déduire la prime payée à l’encontre d’un revenu à certaines conditions.
Selon le jugement, le conseiller André Bégin souscrivait des polices d’assurance vie individuelles pour lui-même, sa conjointe et son père. Il acquittait les primes durant 24 mois, puis laissait expirer les polices sans avoir à rembourser les commissions reçues.
La juge Johanne D’Auray a considéré ce genre de pratique comme une activité commerciale. Le revenu de commission était donc imposable.
De plus, dans ce contexte, la juge a refusé la déduction des primes rattachées auxdites polices. Selon la loi, pour que des primes soient déductibles à l’encontre du revenu, l’institution financière doit exiger que le contrat d’assurance vie soit utilisé comme garantie de prêt.
«La prime, en cas de décès, doit compenser le prêt. On ne peut pas emprunter 1 M$ et prendre une police de 2 M$, explique Francis Picard, comptable directeur des services fiscaux chez PwC, à Montréal. C’est souvent à risque, car, des fois, les gens n’ajustent pas l’assurance vie en fonction du capital assuré au fur et à mesure que le prêt se rembourse. Il peut y avoir un décalage. Si vous avez un prêt de 900 000 $ à la fin de l’année, mais que votre police couvre encore 1 M$, un dixième de votre prime n’est pas déductible.»
Le jugement Bégin souligne l’importance de documenter le besoin en assurances du représentant pour qu’il puisse justifier le motif d’annulation de la police.
«Par exemple, vous avez hérité d’un montant important ou vous avez perdu un montant important, et il faut que vous renouveliez votre assurance, illustre Luc Lacombe. Plus on est dans une zone grise ou plus on se fie à une politique administrative, plus la documentation est importante.»
Changements en vue ?
Dans les mois prochains, Daniel Fortin s’attend à ce que le ministre fédéral des Finances réforme de façon majeure le secteur de l’assurance vie, y compris l’imposition des commissions sur l’assurance vie personnelle des conseillers.
«L’assurance vie est favorable aux contribuables fortunés. Ça déplaît aux autorités fiscales, remarque Daniel Fortin. Pour les clients, il est hyper important de profiter des produits qui existent aujourd’hui sur le marché. Il y a plusieurs produits qui vont disparaître.»