«En optant pour la faillite, ces villes se protégeaient de leurs créanciers et gagnaient du temps pour se restructurer. La solution de rechange ? Des réductions radicales dans les services, y compris la sécurité publique», explique le chercheur.
Et ici ?
Pourrait-on en arriver là au Canada ? Si les villes canadiennes ne sont pas légalement autorisées à cumuler des déficits d’opération, elles sont quand même libres d’émettre des obligations. Par exemple, Montréal et Vancouver se sont lourdement endettées pour financer leurs rêves olympiques, rappelle Brian Kelcey, un consultant spécialisé en politique publique et ancien conseiller budgétaire du maire de Winnipeg, dans une lettre ouverte publiée dans les pages du National Post.
«Il ne faut pas être alarmiste et proclamer que nos villes sont sur le point de devenir des Détroit. Elles n’en sont pas là. Mais on devrait rester prudent et se souvenir qu’elles peuvent faire des erreurs semblables. Les conseils municipaux canadiens peuvent, et ils le font, repousser des travaux de maintenance d’infrastructures qui pourraient leur coûter des milliards tout en émettant de la nouvelle dette pour financer la construction d’arénas et de métros.»
Il ajoute que dans la section 8-204 de la charte de Détroit, il était clairement énoncé que la ville devait présenter un budget équilibré chaque année. Comme toutes les villes canadiennes, Détroit avait donc l’obligation d’adopter un budget équilibré et de résorber les déficits.
«Détroit devait aussi respecter une limite légale sur les coûts liés au paiement de sa dette, indique Brian Kelcey. Le problème, c’est que les revenus de Detroit ont chuté continuellement, tandis que la ville a sous-évalué ou reporté des dépenses. De plus, une grande partie des coûts que doit assumer Détroit sont « hors-budget », comme les régimes de retraite, et n’étaient donc pas soumis aux règles légales sur l’endettement municipal. Comme quoi, les lois budgétaires n’ont pas d’importance s’il n’y a pas d’autorité extérieure pour les faire respecter.»
Autre fait intéressant : contrairement à la croyance populaire et à l’exception de cas bien particuliers, les obligations municipales canadiennes ne sont pas automatiquement garanties par leurs provinces respectives. Selon Pro-Investisseur CIBC, si elles étaient garanties par leur province, les obligations municipales présenteraient une cote de crédit équivalente à celle de la province qui les garantirait. Par contre, une telle garantie aurait pour effet d’abaisser la cote de crédit des provinces.
Certaines limites existent toutefois. Par exemple, selon la Loi sur les emprunts et les dettes municipaux du Québec, «le terme de remboursement d’un emprunt contracté par toute municipalité ne peut excéder 40 ans, sous la réserve que ce terme ne peut dépasser la durée de vie utile des biens que le produit de l’emprunt permet à la municipalité d’acquérir, de réparer, de restaurer ou de construire».
De plus, en cas de besoin, la Commission municipale du Québec peut mettre une ville sous tutelle jusqu’à ce que cette dernière ait redressé ses finances. C’est souvent le cas lorsque le gouvernement du Québec demande à la Commission d’enquêter sur l’administration d’une ville. Dans une telle situation, la Loi sur la Commission municipale édicte que «tout l’argent perçu par sa municipalité doit être déposé dans une banque, au nom de la Commission, en fidéicommis pour cette municipalité et ne peut en être retiré que par chèques […] contresignés par l’un des membres de la Commission.»
Priorité des créanciers
Une chose est certaine : la faillite de Détroit fera école en matière d’obligations municipales et de traitement des créanciers municipaux en cas de défaut. Dans un article publié dans les pages du Financial Times, plus tôt en juillet, les agences de crédit et les investisseurs institutionnels faisaient déjà part de leur intention de revoir leurs recommandations quant aux «general obligation bonds» si la ville de Détroit venait à être autorisée par un juge de faillite à traiter leurs détenteurs comme des créanciers non garantis.
Rappelons que Kevyn Orr, le gestionnaire d’urgence de la ville de Détroit, offrait aux détenteurs de ces obligations de payer 20 cents pour chaque dollar investi. Cette proposition ayant été refusée par les créanciers, Kevyn Orr a décidé de mettre la ville sous la protection de la Loi sur les faillites. Les créanciers essaient depuis de se retrouver le plus haut possible sur la liste des gens qui seront remboursés en premier. Or, s’il y a beaucoup d’appelés, il y aura peu d’élus, comme le rappelle Le Monde.
«Il est vrai qu’ils sont des milliers. Au rang des plus engagés figure le fonds de pension de la Caisse générale de retraite des employés municipaux, auquel la ville doit 2 G$, et celui de la Caisse des retraités de la police et des pompiers, auquel elle doit 1,4 G$. Quant aux obligations municipales et autres « certificats de participation » émis par la ville, diverses banques y ont souscrit pour près de 2 G$», écrit le quotidien français.
En effet, on retrouve près de 20 000 retraités, auparavant employés par les services municipaux, sur les rangs des créanciers de Détroit. Selon le Washington Post, la moitié de la dette de 18,5 G$ de Détroit serait due à des fonds de retraite et à des organismes de soins de santé.