En effet, la deuxième étape a été amorcée. Et elle est d’une importance critique pour l’avenir.
Appelée IFRS 4 phase II, cette étape porte sur les contrats d’assurance et sur la façon d’évaluer les passifs actuariels à long terme. Le but : évaluer ces passifs de la même manière partout dans le monde, en Europe comme en Amérique du Nord.
Or, les assureurs québécois pensent que la méthodologie proposée ne représente pas adéquatement la valeur de leurs engagements.
«Les méthodes avancées par les IFRS produiraient tellement de volatilité dans nos résultats qu’elles remettraient en cause les produits qui offrent des garanties à moyen et long terme», martelait René Hamel, président-directeur général de SSQ Groupe financier, en novembre dernier, lors de la dernière édition du Rendez-vous annuel avec l’Autorité des marchés financiers (AMF).
En entrevue avec Finance et Investissement, René Hamel a précisé que SSQ Groupe financier préfère attendre l’issue des IFRS avant de «bonifier» des protections à long terme existantes, notamment les produits de type vie entière, temporaire 100 ans ou d’assurance invalidité.
Vice-président exécutif et actuaire désigné chez UV Mutuelle, Luc Pellerin ne cache pas non plus son appréhension.
«Si elle est retenue, l’hypothèse actuelle de calcul des réserves actuarielles des IFRS nous fera mal à tous», dit-il.
Où ira la locomotive ?
L’organisme qui établit les normes, l’International Accounting Standards Board (IASB), a entamé l’automne dernier une consultation à l’échelle mondiale auprès des assureurs, actuaires et autorités de réglementation.
Après avoir analysé les commentaires reçus jusqu’au 6 janvier 2014 (http://tinyurl.com/mynoyve), l’IASB devra ensuite définir les fameuses IFRS 4 phase II.
«La finalisation des normes pourrait exiger plusieurs mois. Par la suite, les assureurs auront trois ans pour se conformer», résume Glenn Rioux, vice-président à la normalisation chez les Comptables professionnels agréés du Canada (ou CPA Canada), l’organisme qui regroupe les membres de la profession comptable au Canada.
Cet exercice de consultation changera-t-il les hypothèses de l’IASB ? La locomotive pourra-t-elle être stoppée avant de causer des dégâts irréparables à l’industrie ?
Les risques de déraillement sont élevés, explique René Hamel, parce que les assureurs canadiens ont peu d’alliés.
Leurs homologues européens ne partagent pas le point de vue canadien, puisqu’ils ne vendent à peu près pas de produits à long terme. Quant aux assureurs américains, ils sont restés discrets, parce que l’oncle Sam conserve ses propres normes comptables, les principes comptables généralement reconnus (PCGR) américains.
«Le Canada représente moins de 4 % de la capitalisation boursière mondiale. Nous aurons de la difficulté à faire pencher la balance de notre côté», constate René Hamel.
Toutefois, les assureurs et les organismes canadiens qui ont participé à la consultation de l’IASB ont été «très éloquents», selon les termes de Michel Bergeron, associé et leader des services aux institutions financières au Québec chez EY (anciennement Ernst & Young). «Le message envoyé a été très, très fort. Les participants canadiens ont souligné que les IFRS 4 phase II doivent absolument tenir compte de leur contexte particulier», dit Michel Bergeron.
Selon lui, le message est si clair qu’il pourrait susciter un changement de cap. «Dans le passé, l’IASB a déjà eu la sagesse de reculer sur certains dossiers. Cela pourrait être la même chose cette fois-ci», dit-il.
Michel Bergeron croit que l’IASB pourrait choisir d’examiner davantage les impacts de sa méthodologie avant de prendre sa décision finale.
«Jusqu’à présent, seuls quelques produits ont été étudiés. Si l’IASB décide d’analyser l’impact de sa méthodologie sur les produits à long terme, cela pourrait changer l’issue», dit-il.
C’est également ce que pense Glenn Rioux. «En faisant des tests avec les assureurs canadiens, l’IASB pourrait cerner les problèmes et avoir le temps de les corriger. Ces tests pourraient faire partie de l’étape de réflexion de l’IASB», remarque-t-il.
L’intervention des organismes de réglementation canadiens et québécois pourrait également inciter l’IASB à se donner davantage de temps avant de prendre sa décision finale.
L’AMF de la partie
Dans son commentaire, le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) a indiqué sa préférence pour le maintien de la méthode canadienne d’actualisation des actifs. Pour sa part, l’AMF a demandé que d’importants aspects de la méthodologie des IFRS 4 phase II soient optionnels.
Ces propos sont considérés par René Hamel comme un «élargissement» des appuis aux assureurs.
Luc Pellerin estime que «le BSIF et l’AMF se sont enfin réveillés, en disant qu’ils ne pourraient pas appliquer les normes IFRS 4 phase II telles que présentées à l’heure actuelle».
Certes, les assureurs canadiens se sont fait entendre et ils bénéficient d’appuis plus nombreux de leurs organismes de réglementation.
Cependant, qu’arriverait-il si l’IASB décidait malgré tout d’appliquer ses normes telles quelles, sans changement majeur ?
Les assureurs pourraient-ils alors, comme le suggère René Hamel, produire deux états financiers parallèles, l’un en vertu des IFRS, et l’autre en vertu de principes relevant du système comptable actuel, les PCGR canadiens ?
Dans une communication par courriel adressée à Finance et Investissement, le porte-parole de l’AMF, Sylvain Théberge, laisse la porte ouverte à cette solution.
«Depuis plus de 20 ans, l’AMF utilise les états financiers préparés par les assureurs en vertu des PCGR canadiens aux fins de sa surveillance et du calcul du capital réglementaire. Nous croyons que cela constitue une bonne pratique et nous souhaitons poursuivre en ce sens», dit d’abord Sylvain Théberge.
Le porte-parole ajoute toutefois que «si la norme finale IFRS 4 était adoptée sans tenir compte des représentations que nous avons effectuées, l’AMF pourrait alors apporter des ajustements aux états financiers comptables afin qu’ils puissent répondre adéquatement à nos besoins en tant qu’organisme de réglementation et de surveillance».
Cette possibilité pourrait ainsi devenir réalité si le conducteur du train ne ralentit pas sa locomotive.
Elle représente également un moyen de pression visant à inciter l’IASB à prendre tout son temps lors de l’étude des impacts de sa méthodologie sur la pérennité des produits d’assurance à long terme au Canada.