Dans ce contexte, des achats à fréquences mensuelles pourraient s’avérer une stratégie plus prudente qu’un seul achat à un moment donné, selon les gestionnaires interrogés par Finance et Investissement.

L’impact de la Fed

Ainsi, les marchés émergents ont été récemment malmenés, depuis mai 2013 lorsque la Fed a signalé son intention de diminuer graduellement son programme d’achat d’actifs.

Cette nouvelle a provoqué un recul des marchés obligataires dans ces pays, qui s’est ensuite répercuté sur le marché des actions.

Les reculs ont été plus prononcés dans cinq pays dits «fragiles» (Fragile Five), soit la Turquie, l’Inde, l’Afrique du Sud, le Brésil et l’Indonésie, ces pays étant largement tributaires de capitaux étrangers pour financer leur croissance, leurs devises en ont pâti.

L’indice boursier MSCI Marchés émergents a affiché un rendement négatif (en $ US) de 2,3 % en 2013. C’était la deuxième fois en trois ans que l’indice MSCI reculait, ce qui s’est soldé par un rendement annualisé de – 5,6 % sur trois ans. Depuis le début de 2014, l’indice affiche un rendement de – 4,5 % (au 5 mars).

Absence de réformes

Les investisseurs ont réagi à la mauvaise répartition du capital entraînée par l’absence de réformes dans certains pays, selon Ashish Swarup, gestionnaire du Fonds Fidelity Marchés émergents.

Il explique qu’après 2009, les gouvernements de certains pays émergents, notamment le Brésil, l’Inde, la Russie et la Chine, ont tenu pour acquis que les entrées massives de capitaux étrangers se poursuivraient indéfiniment et ont escamoté des réformes attendues par les investisseurs.

«Dès que la croissance de la productivité dans ces pays a chuté et que cela s’est reflété dans une baisse du rendement de l’avoir des entreprises, le marché boursier s’est mis à reculer», relate Ashish Swarup.

Cette baisse s’est accélérée dans la foulée de la brusque remontée du rendement des obligations à long terme, poursuit-il.

«Cette remontée a entraîné une hausse du coût du capital des entreprises et donc une réduction de leur rentabilité. Cependant, le ton a changé dans ces pays au cours des six derniers mois et les propositions de réformes sont revenues à l’avant-plan», note-t-il.

Les investisseurs attendent particulièrement les réformes qui visent à nettoyer les systèmes bancaire et financier en Chine où l’important programme de stimulus économique de 2009 a été investi dans des actifs improductifs pour maintenir la croissance du PIB, selon le gestionnaire de Fidelity Canada.

Creux cette année ?

Ashish Swarup souligne qu’il faudra plusieurs années pour que les conséquences positives d’éventuelles réformes dans les pays en développement se fassent sentir. C’est pourquoi, en tenant compte des faibles évaluations actuelles, les perspectives de rendement des ME sont attrayantes sur un horizon de trois à cinq ans.

Entre-temps, deux conditions devront cependant être remplies avant que les ME reprennent une trajectoire ascendante ferme.

La première, les problèmes de réglementation du système financier chinois devront être résolus. Quant à la seconde, les investisseurs devront conclure que le rendement des obligations du Trésor américain de 10 ans a fini de grimper.

C’est pourquoi Ashish Swarup recommande une politique d’accumulation graduelle au cours des prochains mois, car le creux de marché pourrait être atteint durant l’année.

Décélération

La liquidation des obligations des ME qui a suivi l’annonce du retrait graduel des mesures d’assouplissement de la Fed, en mai dernier, a pesé lourd dans la performance des actions.

Cependant, le ralentissement des taux de croissance dans ces pays y a aussi largement contribué, souligne Rasmus Nemmoe, cogestionnaire du Fonds des marchés en développement BMO.

«Ils sont encore substantiellement supérieurs à ceux des pays développés, mais ils ont baissé notamment en Chine, en Inde, en Indonésie, en Turquie, au Brésil et en Afrique du Sud. De plus, on remarque une baisse de la rentabilité telle que mesurée par le rendement de l’avoir des actionnaires», constate-t-il.

À cet égard, les rendements sur l’avoir dans les ME sont désormais à des niveaux faibles par rapport aux marchés développés.

Dans les années qui ont suivi leurs creux des années 1990, les ME ont connu une performance supérieure, alors que les marges bénéficiaires ont commencé à se rétablir, selon le portefeuilliste.

Rasmus Nemmoe insiste pour distinguer les effets perçus des effets réels de la politique monétaire de la Fed.

«Nous ne contestons pas qu’un retrait de liquidités du système monétaire aura un impact sur nos positions. Toutefois, plusieurs des sociétés que nous détenons ont l’habitude de composer avec un environnement de taux d’intérêt à la hausse, et jusqu’à présent, les hausses de taux n’ont pas eu un impact important sur les résultats de nos entreprises», défend-il.

«Par exemple, les plus récents résultats d’Universal Robina Corporation, notre titre en portefeuille le plus important, montrent une progression de 22 % des revenus en un an. La correction qu’a subi le titre en Bourse ne reflète pas vraiment les fondamentaux que nous observons sur le terrain», défend-il.

Rasmus Nemmoe concède que certains marchés émergents sont vulnérables, particulièrement ceux de Chine, du Brésil et de la Russie, qui comptaient récemment pour 19,8 %, 10,7 % et 6,2 % de l’indice MSCI ME (en $ US).

Toutefois, d’autres ME ont des perspectives de croissance solides, fondées sur une expansion démographique, un faible taux de pénétration du crédit et une productivité en hausse, et la plupart d’entre eux ne dépendent pas de matières premières bon marché, d’après le gestionnaire de portefeuille.

Les meilleurs exemples sont les Philippines et le Mexique, mais il ne faut pas pour autant négliger l’Inde et l’Indonésie.

Les élections prévues dans ces deux dernières à la fin de mai et au début de juillet, respectivement, vont certes accroître la volatilité à court terme. Toutefois, les investisseurs ont une opinion positive des gagnants pressentis.

«La piètre performance des marchés boursiers de ces deux pays est directement liée à leur manque de volonté à mettre en place des réformes pour faire en sorte que le taux de croissance soit plus durable, notamment en équilibrant le budget et en se fiant moins au flux de capitaux étrangers pour financer leurs déficits. Les candidats favoris veulent mettre en place ces réformes. L’élection de réformateurs peut mener à une performance boursière supérieure, comme cela a été le cas au Mexique», remarque Rasmus Nemmoe.

Vision à long terme

Des 16 ans qu’il a passés à gérer des portefeuilles de titres de ME, Jeff Feng, gestionnaire de la Catégorie marchés émergents Trimark, tire qu’on ne peut prévoir les fluctuations à court terme de ces marchés.

Cependant, à long terme, les données fondamentales des entreprises sont le facteur déterminant, d’après le portefeuilliste de Trimark.

«Si vous comprenez les avantages concurrentiels à long terme d’une entreprise et les conditions économiques de son industrie, vous êtes beaucoup plus susceptible de générer des rendements positifs, pourvu que vous ne la payiez pas trop cher», affirme-t-il.

Même si l’approche de placement de Trimark est ascendante, Jeff Feng reconnaît qu’on ne peut ignorer les données macroéconomiques à long terme lorsqu’on investit dans les pays émergents.

À cet égard, ces pays demeurent dans une meilleure situation financière que celle des pays avancés.

«Même dans le cas des Fragile Five, c’est un peu trompeur de les qualifier ainsi. Leurs ratios de la dette par rapport au PIB sont bien plus bas que ceux de la France, de l’Italie ou de l’Espagne, par exemple», défend-il.

Jeff Feng rappelle que divers organismes, dont le Fonds monétaire international (FMI), prévoient que les pays émergents devraient être les principaux contributeurs à la croissance économique mondiale sur un horizon de sept à dix ans. Et que, même réduite, leur croissance fait pâlir d’envie des économies avancées en Europe.

Les populations plus jeunes et l’urbanisation sont des leviers de croissance à long terme puissants et durables.

Les problèmes qui font surface dans le système bancaire parallèle (shadow banking) en Chine ne l’inquiètent pas outre mesure. En fait, les crises créent des occasions pour celui qui peut discerner les entreprises viables.

De plus, le gouvernement chinois a des ressources financières pour faire face à de telles crises, selon Jeff Feng.

«N’oubliez pas que, techniquement, toutes les terres appartiennent au gouvernement chinois. De plus, ce dernier détient encore le contrôle de plusieurs grandes sociétés. Enfin, ses réserves en devises étrangères, principalement en obligations américaines, sont suffisantes pour acheter une participation de 10 % dans toutes les sociétés du S&P 500. Ni l’Allemagne, ni le Japon et encore moins les États-Unis ne peuvent prétendre à de telles ressources financières», soutient-il.

Il souligne que l’indice MSCI ME se négocie désormais à un ratio/cours-bénéfices projetés de 2014 de 10,57, par rapport à 15,38 pour l’indice MSCI mondial, soit une différence de plus de 30 %.

«Le ratio plus bas peut s’expliquer par une gouvernance moins stricte des entreprises, les craintes au sujet de l’élargissement des déficits de la balance des transactions courantes et le changement de politique monétaire de la Fed. Mais ces raisons ne peuvent justifier un si grand écart», défend-il.

Par ailleurs, le ratio cours/valeur comptable de l’indice MSCI ME oscille autour de 1,45, ce qui est près de son niveau le plus bas en 10 ans, si l’on exclut la crise financière de 2008.