Liquider une entreprise lorsqu'elle ne détient que des placements
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À l’heure actuelle, la compagnie détient des placements ayant une valeur marchande de 200 000$ et un coût de 150 000$. Jean a accumulé ces sommes au cours des 10 dernières années. Le solde a même grimpé à un certain moment à près de 500 000$. Mais certaines années ont été moins bonnes que d’autres et Jean a parfois eu recours au retrait d’un dividende pour combler son salaire annuel d’environ 80 000$.

Avec du recul, Jean ne regrette rien même s’il n’est pas clair à savoir si la décision de s’incorporer était la meilleure. Aujourd’hui, Jean se questionne sur ce qu’il devrait faire avec sa compagnie? Il a modifié le code d’activité économique figurant au registraire des entreprises pour y inscrire « société de portefeuille (holding) ». Il se demande maintenant s’il doit liquider sa compagnie le plus rapide possible ou s’il doit la conserver jusqu’à son décès?

Au cours des prochaines années, Jean et sa conjointe toucheront des revenus annuels d’environ 30 000$ chacun. Jean affirme ne pas avoir vraiment besoin des placements de sa compagnie pour combler son train de vie. Cependant, il n’est pas impossible qu’il fasse un retrait pour un besoin particulier, par exemple, une réparation importante à la résidence ou un voyage pour ses 50 ans de mariage.

Par opposition, Jean se questionne à savoir s’il est justifié de conserver une société pour une si petite somme, soit 200 000$. Les frais comptables annuels d’environ 2 000$ représenteront une somme importante s’il doit maintenir sa compagnie pour les 20 ou 30 prochaines années.

De plus, Jean se dit qu’à un certain moment, la gestion de sa compagnie commencera à être un fardeau. Et s’il devait lui arriver quelque chose, Jean ne souhaite pas compliquer les choses inutilement pour ses héritiers. Ceux-ci n’ayant pas vraiment de connaissances du fonctionnement d’une compagnie.

Scénario # 1 : Jean conserve sa compagnie jusqu’à son décès

Pour prendre la bonne décision, Jean aimerait comprendre les implications fiscales pour ses héritiers si lui et/ou son épouse décédaient demain. Si Jean décède le premier, il pourra rouler les actions de Les services marketing Jean Inc. à son épouse, et ce, sans implication fiscale. Cependant, au moment où les actions seront transmisses aux héritiers, un gain en capital sera déclenché sur la plus-value des actions puisqu’un contribuable est présumé avoir disposé (vendu) ses actifs au moment de son décès.

Puisque les actions ont été souscrites pour 100$ au moment de l’incorporation et que les placements ont aujourd’hui une valeur marchande de 200 000$, un gain en capital de près de 200 000$ serait réalisé au moment du décès. Rappelons qu’un contribuable se trouve habituellement imposé dans la fourchette la plus élevée à ce moment puisqu’il doit s’imposer à la fois sur ses revenus annuels habituels, mais en plus sur le solde de ses REER ou FERR. Par conséquent, si on ajoute la portion imposable du gain, soit 100 000$, aux autres revenus pour l’année du décès, la facture fiscale relative à la compagnie serait à elle seule de 53 310$ au taux d’imposition le plus élevé.

Par ailleurs, s’ils ne font rien, les héritiers déclencheront une double imposition. En effet, sans planification fiscale, lorsque les héritiers voudront retirer aussi peu que 100$ de la compagnie, ils devront vendre une partie des placements et toucher les liquidités sous forme d’un dividende qui sera en grande partie imposable. Par conséquent, sans planification fiscale, les mêmes 200 000$ de placements sont à la fois imposés dans la déclaration du défunt sous forme d’un gain en capital et dans la déclaration de la succession ou des héritiers sous forme d’un dividende imposable en quasi-totalité.

Il existe deux planifications fiscales généralement utilisées pour mitiger la double imposition au décès. L’une d’elles est la technique du « pipeline ». Cependant, cette planification serait trop coûteuse et complexe considérant qu’il ne s’agit que d’une somme de 200 000$ et que les héritiers n’ont aucune connaissance du fonctionnement d’une compagnie.

Par conséquent, il faut se rabattre sur la deuxième technique, soit celle de la liquidation de la compagnie et du report de perte à la déclaration du défunt en vertu de l’alinéa 164(6) LIR. Selon cette planification, la compagnie Les services marketing Jean Inc. devra être dissoute durant la première année suivant le décès. Pour ce faire, les placements détenus par la compagnie devront être vendus. Il en résultera en un gain en capital de 50 000$ . Ce gain déclenchera des impôts payables de 12 643$ , une inclusion de 25 000$ au compte de dividende en capital (« CDC ») et un impôt en main remboursable au titre de dividende (« IMRTD ») de 7667$ .  Les liquidités payées à la succession seront de 195 024$ . De ce montant, 25 000$ pourra faire l’objet d’un choix afin d’être versé à même le CDC.

Le solde, 170 024$, sera un dividende imposable non déterminé. Ce dividende pourrait déclencher des impôts pouvant atteindre 74 539$ pour la succession, et ce, selon le taux d’imposition effectif de la succession. Par conséquent, les liquidités nettes pour les héritiers seraient d’au moins 120 485$ , soit un peu plus que le montant que le défunt aurait reçu sur un dividende imposable non déterminé de 200 000$. D’autre part, la dissolution de la compagnie déclenchera une perte en capital pour la succession de 200 000$ qui pourra être reportée, en vertu de l’alinéa 164(6) LIR, contre le gain en capital du défunt, éliminant ainsi la double imposition.

Scénario # 2: Jean liquide sa compagnie le plus tôt possible

Afin de conserver sa pension de la sécurité de la vieillesse qui est actuellement de 570.52$ par mois, Jean devrait maintenir un revenu imposable de moins de 73 756$ en 2016.Puisqu’un dividende non déterminé fait l’objet d’une majoration de 17%, Les services marketing Jean Inc. devra verser un dividende maximum de 37 398$ .

À ce rythme, cela prendrait plus de 5 ans (c.-à-d. selon le rendement) pour liquider la société de Jean de manière fiscalement avantageuse. Par conséquent, Jean aura intérêt de retarder la conversion de ses REER en FERR jusqu’à l’âge de 71 ans. S’il procède ainsi, les impôts payables annuellement par Jean sur le dividende non déterminé seront imposés à un taux largement inférieur à 43.84% et il fera ainsi des économies de quelques dizaines de milliers de dollars.