Un graphique de la Bourse présentant de la volatilité.
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Introduits dans la réglementation en 2019, la catégorie des fonds alternatifs liquides reste marginale, mais en émergence. Néanmoins, son avancée s’avère vigoureuse.

Dans le Focus sur les conseillers 2024 de Finance et Investissement, on constatait que l’investissement alternatif représentait une faible part des revenus bruts moyens de l’ensemble des conseillers.

Ainsi, chez les conseillers liés à des courtiers de plein exercice, 2,7 % en moyenne des revenus proviennent de la catégorie « Autre », laquelle comprend les investissements alternatifs ainsi que les portefeuilles gérés et des fiducies de revenu. Chez les conseillers liés à des courtiers multidisciplinaires, cette portion moyenne d’autres types d’investissement est de 1,5 %.

C’est sans compter que 90 % des répondants n’offraient aucun investissement « Autre ». Ceci indique que ce n’est qu’une minorité de conseillers qui s’intéresse aux fonds alternatifs liquides.

Secteur en croissance

Néanmoins, les choses bougent du côté des investissements alternatifs. Dans son rapport 2024, l’Institut des fonds d’investissement du Canada, maintenant renommé l’Association des marchés de valeurs et des investissements, fait ressortir qu’en 2024, « les fonds communs de placement non traditionnels ont poursuivi leur forte croissance, totalisant 37,1 % des ventes totales de fonds communs de placement ». En 2024, on compte 5,6 G$ en ventes nettes de fonds communs de placement (FCP) alternatifs et 1,2 G$ en créations nettes de fonds négociés en Bourse (FNB) alternatifs. Le rapport fait état de plus de 300 fonds, pour un actif total de 47,7 milliards $ (G$) réparti entre 28,4 G$ du côté des FCP et 19,3 G$ du côté des FNB.

Les chiffres de Second engine, une division de Picton Mahoney qui analyse le marché canadien des fonds alternatifs liquides et leurs performances, met de l’avant des chiffres similaires à ceux de l’AMVI, quoiqu’un peu plus substantiels. À la fin du premier trimestre 2025, rapporte la firme, on trouvait 199 fonds alternatifs liquides au Canada offerts par 61 manufacturiers, avec un actif total de 57,4 G$, en hausse de 35,6 % dans les 12 mois précédents. Il reste que cet actif alternatif demeure minuscule à côté de l’actif total de 2,24 billions $ en FCP canadiens et de 518 G$ des FNB canadiens.

Cependant, le premier trimestre de 2025 présente une percée intéressante des investissements alternatifs. Alors que l’AMVI rapporte des ventes de FCP de 15,2 G $, Second engine rapporte des ventes de 10,1 G$ pour les alternatifs liquides dans l’année qui va du 1er avril 2024 au 31 mars 2025, le premier trimestre de l’année en cours ayant enregistré plus de 40 % de cette montée avec des ventes de 4,5 G$.

Il faut dire que les remous boursiers du premier trimestre de 2025 ont donné aux fonds alternatifs liquides l’occasion de briller. Du côté de Picton Mahoney, le plus important manufacturier de ces fonds, avec 1832 Asset Management (division de Banque Scotia), « au cours du dernier mois et demi de volatilité, nous avons livré la performance que nous promettions, en offrant une très bonne protection à la baisse tout en donnant un rendement raisonnable », fait ressortir Robert Wilson, chef de l’innovation chez Second engine.

Sur les onze indices d’alternatifs liquides que Second engine a produits et suit, l’indice des fonds d’actions marché-neutre (Equity Market Neutral) a produit au cours des trois premiers mois de 2025 un rendement de 0,9 %, l’indice des fonds à rendement absolu (Absolute Return), un rendement de 0,5 %, tandis que l’indice des fonds acheteur/vendeur (Equity Long/Short) a essuyé un recul de -0,8 %. Cela se compare à une baisse de 4 % pour l’indice S&P 500 et une hausse de 1,5 % de l’indice S&P/TSX durant la même période. Les chiffres de performance ne sont pas encore disponibles pour le trimestre subséquent où le S&P 500 a connu sa chute entre les 2 et 8 avril, reculant de 12,3 %.

L’étude réitère par ailleurs l’importance de la sélection du gestionnaire de fonds. En effet, la dispersion des rendements est grande lorsqu’on observe une période de 3 ans se terminant au premier trimestre de 2025. Le rendement annualisé du sous-segment des fonds d’actions acheteur/vendeurs a varié de -9,5 % à 15,9 %, celui des fonds d’actions neutres au marché, de -1,2 % à 7,3 % et celui des fonds alternatifs de revenu fixe, de 2,9 % à 7,7 %.

Distribution difficile

La diffusion des fonds alternatifs affronte par ailleurs d’importants obstacles. Dans le Pointage des courtiers multidisciplinaires 2024, plusieurs répondants blâmaient la lenteur des directions et des services de conformité. « Ils sont aujourd’hui plus lents à réagir. Nous avons été dans les derniers à pouvoir offrir les alternatifs liquides, et selon une liste restreinte », dit un répondant. Un autre entonne : « Certains bons produits ne sont pas disponibles alors qu’ils le sont dans d’autres firmes comme SFL et Investia ».

« Parfois, vous devez expliquer les concepts de risques et comment (ces fonds) diversifient les portefeuilles des clients en les rendant moins risqués, mais le service de la conformité complique les choses », ajoute un sondé.

On constate que les fonds alternatifs liquides sont plus aisément disponibles du côté des conseillers de plein exercice. Le sondage a fait ressortir que ces conseillers ne se plaignaient pas de l’ampleur de leur liste de produits, une plainte plus fréquente du côté des conseillers liés à des courtiers multidisciplinaires.

Vincent Grenier-Cliche, gestionnaire de portefeuille à la Financière Banque Nationale, refuse de jeter le blâme sur les responsables de conformité. Après tout, ce ne sont pas tous les conseillers qui disposent des connaissances nécessaires pour aborder les alternatifs liquides. « Si j’étais dans un département de conformité, je ferais attention aussi parce que la connaissance des conseillers peut être inégale. Veut-on rendre disponibles beaucoup de produits dans un tel contexte ? »

Picton Mahoney, un des plus importants émetteurs de fonds alternatifs liquides au Canada, ne lance pas de blâme non plus. « Pour plusieurs conseillers, c’est une nouvelle catégorie d’actifs et plusieurs courtiers sont très responsables dans leur façon de les offrir, constate Sanjiv Malik, vice-président, comptes nationaux, chez Picton Mahoney. Ils veulent s’assurer de ne pas inonder les conseillers avec des douzaines de produits souvent complexes. C’est pourquoi ils font beaucoup de vérification diligente des produits. »

Vincent Grenier-Cliche nuance la valeur des alternatifs liquides dans un portefeuille, cherchant à expliquer en partie pourquoi plusieurs conseillers les négligent. « Un alternatif liquide n’aide pas tant que ça un portefeuille à avoir un meilleur rapport risque-rendement. Il faut que l’on en mette beaucoup dans un portefeuille pour avoir un impact significatif sur le risque. Les investisseurs institutionnels atteignent vraiment une dé-corrélation importante comparé à des portefeuilles traditionnels parce qu’ils ont d’importantes allocations en produits alternatifs. Pour un investisseur individuel, avoir seulement 10 % ou 15 % en alternatifs liquides aura un effet minime. »

Barrières sur le terrain

Par ailleurs, il y a plusieurs raisons pratiques, sur le terrain, qui expliquent le faible recours aux alternatifs liquides, comme les énumère Alexandre Savoie-Bathurst, représentant en épargne collective chez Investia. D’abord, il y a un obstacle de formation. « Un cours spécifique relié aux valeurs mobilières est requis, signale-t-il. Aussi, du fait que plusieurs alternatifs liquides sont en format FNB, il faut un autre cours. Enfin, ce ne sont pas tous les émetteurs de fonds qui en offrent, et il ne s’agit pas toujours des firmes les plus populaires. »

Un autre obstacle à la pénétration des fonds alternatifs liquides ressort : l’impératif de communication. « Un conseiller veut des manufacturiers de fonds avec lesquels les communications sont faciles, tout particulièrement pour comprendre la pensée des gestionnaires de portefeuille. C’est pourquoi plusieurs conseillers offrent des fonds de fonds : c’est plus facile de communiquer avec un seul interlocuteur. »

Sanjiv Malik constate les obstacles identifiés par Alexandre Bathurst, reconnaissant qu’un fonds alternatif liquide « est plus complexe à vendre qu’un simple fonds équilibré », note-t-il. Il demeure toutefois optimiste : « Je m’attends à ce que les barrières se dissipent dans les prochains six à douze mois », ajoute-t-il. La raison, selon lui, est simple : la demande des clients. « Une bonne partie de la demande vient des investisseurs plus âgés qui veulent maximiser leur pouvoir d’achat à la retraite de même que leurs rendements et la séquence de ces rendements. C’est pourquoi nous voyons une si forte demande. »