Paradis fiscaux : États et contribuables jouent à l'autruche
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Le Québec est en pleine austérité financière. Au Canada et ailleurs dans le monde, les pertes fiscales privent aussi les États d’importants revenus qui pourraient être consacrés à l’amélioration des finances publiques et des services aux citoyens. Pourquoi les gouvernements ne s’attaquent-ils pas à ce système légalisé, mais jugé inéquitable ?

« Les gouvernements agissent en toute complaisance. Ils poussent des hauts cris, mais c’est de l’hypocrisie », répond Éric-St-Cyr qui vient de publier « À l’ombre du soleil », un livre qui montre l’envers des paradis fiscaux et explique ses propres démêlés avec la justice américaine. Celui qui a travaillé dans les hautes sphères de la finance, d’abord pour une banque canadienne, puis pour une compagnie située dans le paradis fiscal des îles Caïmans, avait été accusé de blanchiment d’argent en 2014.

Alain Deneault fait écho à ces propos. « Le système a été lui-même mis en place par les États qui adoptent des lois et des échappatoires pour plaire aux entreprises et aux plus riches », souligne l’auteur de plusieurs ouvrages sur les paradis fiscaux, dont Une escroquerie légalisée et Paradis fiscaux : la filière canadienne.

La divulgation des Panama Papers a remis la question des paradis fiscaux sur la sellette. Elle a aussi mis au jour des stratagèmes d’évasion fiscale utilisés justement par des chefs d’État et des hauts fonctionnaires, entre autres. « On peut douter de la réelle volonté des États de mettre un frein aux paradis fiscaux », estime Alain Deneault.

Le Canada, précise-t-il, rend notamment possible la création de fiducies de revenu qui permettent d’éviter tout impôt. Sans oublier les « conventions fiscales, signées par le Canada avec des paradis fiscaux, qui permettent d’éviter la double imposition », ajoute Éric St-Cyr.

En avril dernier, le gouvernement du Canada s’est engagé à lutter contre l’évasion fiscale et l’évitement fiscal. Ottawa annonçait du même coup des investissements de quelque 450 millions de dollars (M$) pour améliorer la capacité de l’Agence du revenu du Canada (ARC) de détecter et de vérifier les cas d’évasion fiscale et lui permettre de poursuivre ceux qui s’y adonnent, tant au Canada qu’à l’étranger.

« La grande majorité des Canadiens de la classe moyenne paient leur juste part d’impôt, mais certains particuliers fortunés cachent leur argent dans des abris fiscaux à l’étranger pour éviter de payer de l’impôt. Ce n’est pas équitable et cela doit changer. Ces Canadiens fortunés ne devraient pas être en mesure de ne pas payer l’impôt qu’ils doivent », soulignait alors la ministre du Revenu national, Diane Lebouthillier.

Cette injection d’argent doit permettre à l’ARC d’embaucher plus de vérificateurs et de spécialistes. Elle pourra ainsi faire passer de 600 à 3 000 par année le nombre d’examens ciblant les contribuables à haut risque. Ces nouveaux fonds devraient rapporter 2,6 milliards de dollars en recettes pour la Couronne sur cinq ans.

« C’est de l’argent mal dépensé. On s’attaque aux plus petits alors que les entreprises et les institutions financières ont des armées d’avocats et de fiscalistes pour les aider à payer moins d’impôt en toute légalité », estime Éric-St-Cyr, en citant des géants comme Apple et Google. Les gouvernements ont « simplement à taxer les profits là où ils sont générés », ajoute-t-il.

Alain Deneault doute aussi de la réelle volonté de mettre un terme à l’évasion fiscale et l’évitement fiscal. « On met plus de polices dans la rue, mais on permet le crime », illustre-t-il.

Depuis janvier 2015, les intermédiaires financiers – y compris les banques, les coopératives de crédit, les entreprises de transferts de fonds et les casinos – sont tenus de déclarer à l’ARC les télévirements internationaux entrants et sortants de 10 000 $ ou plus.

« Pour les institutions financières, il est contre-nature de contrôler les faits et gestes de leurs clients, d’autant plus quand ça leur profite », affirme Alain Deneault.

Sans compter, comme le rappelle-t-il dans son récent livre Une escroquerie légalisée, que le Groupe consultatif sur le régime canadien de fiscalité internationale constitué en 2008 était constitué de hauts dirigeants et de membres de conseils d’administration de banques, de grandes entreprises ou encore de firmes comptables.

Enfin, les contribuables qui poussent des hauts cris envers les paradis fiscaux devraient aussi faire leur examen de conscience. « Les paradis fiscaux profitent à tout le monde. Ceux qui ont des actions ou des REER sont bien contents quand les compagnies s’enrichissent encore plus », observe Éric St-Cyr.