À en croire le Wall Street Journal, la sélection des actions est une activité en voie de disparition. Les gestionnaires adoptant des stratégies de gestion active supervisent encore 66 % des actifs à long terme de l’industrie américaine. Toutefois, il y a une décennie, cette part de marché était de 84 %.

Le fait que les investisseurs continuent à montrer leur mécontentement pour la gestion active même lorsque les marchés vont bien est de mauvais augure. Alors que 1,3 billion $ US ont afflué dans les investissements à gestion passive pendant les trois années qui ont expiré en septembre 2016, 84 milliards $ US ont été retirés des stratégies actives. La gestion active n’est pas encore morte, mais les alternatives passives ont clairement le vent en poupe.

Mais si le spectre de la mort plane sur les gestionnaires actifs américains, leurs homologues canadiens commencent à peine à ressentir quelques douleurs. Les investissements ont joui d’une croissance saine — menée presque entièrement par les fonds négociés en bourse — mais les fonds à gestion active continuent à amasser d’énormes sommes d’argent. Au Canada, les FNB canadiens ont grignoté des parts de marché aux gestionnaires appliquant des stratégies actives au cours de la dernière décennie, mais ils détiennent toujours moins de 10 % des actifs de ce secteur, alors que la part des placements à gestion active a connu une dégringolade aux États-Unis ces dernières années.

Les mêmes maux, des conséquences différentes

Plusieurs conditions auxquelles l’article du Wall Street Journal attribue la réussite des produits indiciels aux États-Unis, le mécontentement envers les rendements à long terme et les frais élevés, sonnent tout aussi justes au Canada, voire davantage. Les fonds canadiens activement gérés n’ont guère mieux réussi que leurs homologues américains à surpasser les indices de référence boursiers en général. Par exemple, en septembre 2016, moins de 20 % des fonds de la catégorie Actions canadiennes existant depuis plus de 10 ans ont survécu et surclassé l’Indice composé plafonné S&P/TSX durant cette période. Une très bonne raison à cela : les frais des fonds de placement canadiens, qui se classent parmi les plus élevés au monde, constituent un gros obstacle à surmonter pour les gestionnaires de portefeuille à stratégie active.

Lorsque le boom de l’énergie au milieu des années 2000 a entraîné la hausse du cours des actions, le coût élevé des fonds a été plus facile à digérer pour les Canadiens. De même, les investisseurs américains faisaient peu de cas des frais dans les années 80 et 90 car les marchés boursiers fournissaient en permanence des rendements à deux chiffres. Après la période de rendements moyens des années 2000, sans compter le traumatisme de la crise financière de 2008, le passage aux placements à stratégie passive s’est accéléré.

Les observateurs de l’industrie canadienne des fonds attribuent en général l’échec de l’indexation au fait que le marché canadien est dirigé par les conseillers. Cela peut expliquer pourquoi la vague d’indexation a débuté plus tôt aux États-Unis, ce sont les investisseurs autonomes qui ont provoqué son ascension dans les années 90, mais cela n’explique pas pourquoi la popularité des actifs à stratégie indicielle s’est accélérée à mesure que les conseillers et autres intermédiaires ont pris de plus en plus le contrôle décisionnel en matière de placement ces dernières années.

Malgré les mérites évidents de la gestion passive, sans compter une robuste industrie des FNB avide de fournir des alternatives à la cherté des fonds actifs, les gestionnaires pratiquant une gestion active traditionnelle ont su résister à la marée grâce aux facteurs boursiers et réglementaires qui ont historiquement favorisé leurs intérêts. Toutefois, le vent semble être en train de tourner.

Ceux qui détiennent le pouvoir ont imposé les règles

Le pouvoir du marché étant concentré sur à peine une poignée de protagonistes, les gestionnaires de portefeuilles canadiens tendent à se concurrencer davantage sur l’ampleur de leurs gammes de produits et la solidité de leur réseau de distribution. Cette dynamique concurrentielle pipe les dés contre les sociétés de FNB et d’autres intervenants éventuels, qui dépendent de tierces parties pour être distribués.

Ce n’est pas un problème pour les six grandes banques canadiennes, qui ont utilisé avec succès le réseau de distribution de leurs propres succursales pour vendre leurs fonds maison. Les banques contrôlent une part de plus en plus grande des actifs des fonds communs de placement à long terme. Selon les données de Morningstar, la part combinée des banques est passée de 39 % à la fin de 2011 à 48 % en septembre 2016. (Le Groupe Investors, qui contrôle 7 % des actifs des fonds à long terme, utilise un modèle de distribution similaire aux banques, ne vendant que des fonds à leur marque par son réseau national de conseillers.)

Ces produits sont presque toujours des fonds à gestion active. TD distribue des options indicielles à coût modéré aux clients de ses services de courtage en ligne, mais aucune par le truchement de ses succursales bancaires. D’autres gestionnaires d’actifs de fonds sous contrôle bancaire font figurer des fonds indiciels dans leurs gammes, mais ils ont une portée limités et leurs prix sont élevés, du moins selon les normes de gestion passive. Même la Banque de Montréal, le deuxième plus grand fournisseur de FNB au pays, enveloppe ses FNB à prix modéré dans des fonds communs de placement à coût élevé avant de les vendre dans ses succursales.

Les fonds indiciels gérés par les banques ne sont pas des aubaines du point de vue des investisseurs, mais ils se traduisent tout de même par des revenus moins élevés pour les conseillers. Il n’est pas étonnant que si peu d’investisseurs en détiennent : à l’exception des Fonds Émeraude de TD, qui visent les investisseurs institutionnels, les actifs indiciels ne représentent que 2 % du total des fonds gérés par les banques. Et des plus de 150 fonds du Groupe Investors, aucun n’est un fonds indiciel.

Assurément, les fournisseurs de fonds indépendants comme Fidelity et Placements CI ont bien réussi sans contrôler les réseaux qui écoulent leurs produits. Cela ne veut pas dire qu’ils ne disposent pas d’avantages de distribution qui leurs sont propres. Les relations solides qu’ils entretiennent avec les conseillers ont pris des années à se développer et il serait difficile pour des novices de les émuler, les isolant ainsi des pressions concurrentielles imposées par les FNB ou d’autres fournisseurs à faible coût. Certains ont même construit leur propre réseau de conseillers, comme l’a fait CI avec sa filiale Assante, acquise en 2003.

Ce sont les mesures incitatives, imbécile

Les mêmes compagnies de fonds qui sont peu incitées à vendre des fonds indiciels ont donné aux conseillers peu de raisons pour les utiliser. Verser aux conseillers de bien meilleures commissions pour vendre des fonds à gestion active à leurs clients désavantage les fonds indiciels. Les commissions qui sont intégrées au ratio des frais de gestion (RFG), communément appelées commissions de suivi, ajoutent généralement un autre point de pourcentage aux frais de gestion versés aux fonds d’actions à gestion active, mais ajoutent la moitié de ce montant (ou moins) au prix des fonds indiciels. (Les séries vendues sur commissions de fournisseurs de FNB comme iShares, PowerShares et Purpose Investments, qui affichent des commissions de suivi de 1 %, y font exception.) Le modèle d’entreprise basé sur les commissions est en déclin, mais historiquement les compagnies de fonds ont payé des conseillers pour vendre des fonds plus chers, et leur souhait a été exaucé.

Les obstacles réglementaires

Il y a une autre raison pour laquelle de nombreux conseillers ne proposent pas de FNB moins coûteux à leurs clients : ils ne le peuvent pas. L’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACCFM), organisme d’autoréglementation supervisant 95 compagnies de courtiers qui représentent plus de 80 000 conseillers et près de 500 milliards $ d’actifs, n’interdit pas explicitement à ses membres de vendre des FNB, mais peu d’entre eux peuvent le faire. L’ACCFM (bien évidemment) exige des conseillers qu’ils satisfassent à un minimum d’exigences en matière d’éducation avant de vendre des FNB, mais elle n’a pas encore fait connaître ses exigences en matière de compétence, bien qu’elle le promette depuis longtemps. (Une période de commentaires sur ces normes a pris fin en septembre.) Même lorsque cet obstacle sera surmonté, la plupart des négociateurs n’auront pas la capacité de faire le commerce des FNB. Il est plutôt surprenant de constater que, plus de 25 ans après que le premier FNB au monde a été lancé à la Bourse de Toronto, une bonne partie des conseillers du pays ne peuvent toujours pas y toucher.

Du changement dans l’air

La menace à laquelle ont été confrontés les gestionnaires canadiens à stratégie active de la part de leurs rivaux a été assez mineure jusqu’à maintenant, mais on voit déjà les signes avant-coureurs d’une tempête.

Alors que les conseillers se dirigent de plus en plus vers des modèles d’entreprise à base d’honoraires, la prise de décision fondée sur les commissions devrait peu à peu disparaître. Les organismes de réglementation canadiens ont toutefois tendu la main à la main invisible du marché. En juillet, ils ont exigé des conseillers qu’ils commencent à divulguer à leurs clients le montant de leurs frais et leurs rendements pondérés en fonction de leur valeur monétaire. Ces règles, appelées phase 2 du Modèle de relation client-conseiller (MRCC2), n’exigent pas des compagnies de fonds qu’elles divulguent le coût en dollars de leur gestion des placements, qui constitue la part du lion du RFG.

La réglementation (à juste titre) fait pression sur les conseillers pour qu’ils prouvent leur valeur aux clients, mais ils ne demandent pas la même chose aux gestionnaires de portefeuille — au moins pas directement. Je m’attends à ce que certains conseillers démontrent leur valeur en passant à des investissements à faible coût, dont le bénéfice qui devrait se concrétiser par des rendements plus élevés. Les gestionnaires d’actifs nous disent que les règlements ont accéléré la tendance à passer d’une rémunération à la commission à une rémunération sur honoraires, cette dernière convenant mieux à la gestion passive pour les raisons évoquées ci-dessus. Coup de pouce indirect à la gestion passive, le MRCC2 semble représenter davantage une force de changement progressif.

Les organismes de réglementation canadiens sont aussi en train d’envisager de nouvelles règles qui pourraient faire avancer les choses. Interdire les commissions de suivi intégrées, le résultat auquel les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) semblent attachées, anéantirait l’un des plus grands obstacles structurels s’opposant à la propagation des FNB et d’autres placements à faible coût. Après que le Royaume-Uni a banni les commissions de suivi en 2012, la petite infiltration des fonds à stratégie passive s’est transformée en raz-de-marée. Comme l’a fait remarquer Michael Wong, analyste d’actions à Morningstar, en octobre 2015, les actifs à gestion passive au Royaume-Uni ont augmenté d’environ 140 % de 2011 à juin 2015, et leur part de marché a augmenté de façon significative, passant d’environ 7,4 % à plus de 12 %.

Tout en s’éloignant des commissions de suivi intégrées, le Royaume-Uni a aussi introduit la norme du meilleur intérêt du client — une autre étape à l’étude par les ACVM. Comme le nom l’indique, cela exige que les conseillers agissent dans l’intérêt de leurs clients, et ils devraient probablement pencher en faveur de la gestion passive. En vertu de la norme moins stricte de la « pertinence » qui régit les conseillers, il est acceptable de vendre un fonds à un prix élevé avec un rendement moyen, sitôt qu’il y a un alignement sur la situation financière du client et sur sa tolérance du risque. Les conseillers n’ont pas à éviter les conflits d’intérêt, comme vendre des produits qui paient des commissions plus élevées, si celles-ci sont divulguées. La norme du meilleur intérêt oblige les conseillers à éviter les conflits d’intérêt et à choisir les placements aux frais raisonnables. Cette norme plus élevée ne limite pas les conseillers aux investissements passifs, et elle ne devrait pas le faire. Mais des coûts inférieurs et des rendements historiques supérieurs à la moyenne sont des points plus faciles à défendre pour les conseillers.

Les critiques des changements de réglementation invoquent (avec raison), que l’abandon des commissions de suivi intégrées pourrait rendre le service des comptes plus petits moins rentable pour les conseillers. Les services automatisés comme les conseillers-robots pourraient combler ce besoin et stimuler le marché des fonds à gestion passive. Il n’y a aucune règle interdisant aux portefeuilles créés par des conseillers-robots de détenir des fonds activement gérés, mais en réalité ils ne le font pas. Les conseillers-robots comme BMO, Wealthsimple, NestWealth et Questrade construisent des portefeuilles en utilisant des FNB. Certains s’en remettent entièrement à des stratégies pondérées selon la capitalisation boursière, alors que d’autres les mêlent à des FNB au bêta stratégique.

La fin viendra, soit par un gémissement, soit par un boum

Assurément, il est possible que la gestion active comme elle existe à l’heure actuelle dure encore longtemps. L’expérience américaine est un point naturel de comparaison pour les Canadiens, mais il n’y a pas de lois naturelles exigeant que le Canada suive les États-Unis. Il semble qu’il y ait des forces mondiales en jeu auxquelles les gestionnaires de portefeuille canadiens ne pourront pas toujours résister, mais qu’ils pourraient contenir pendant encore quelque temps. Interdire les commissions de suivi et imposer une norme du meilleur intérêt sont des questions discutées depuis longtemps par les organismes de réglementation, mais il est possible que ce processus très lent finisse par se bloquer. Les changements interviendraient alors lentement, mais quelle que soit sa vitesse, l’avenir n’a jamais autant brillé pour les investisseurs.