L’objectif de la planification financière est d’aider les investisseurs à financer leurs objectifs financiers. Pour beaucoup de personnes, cela veut dire avoir suffisamment d’argent aux bons moments pour financer divers besoins ou désirs : l’éducation d’un enfant, un événement familial spécial comme un mariage, ou l’achat d’un nouveau véhicule.

Mais ce qui est de loin l’objectif le plus ambitieux est de pouvoir financer un certain train de vie à la retraite. Cet objectif n’est pas seulement pluriannuel, mais parce que personne ne peut prévoir la date de sa mort au début de sa retraite, la longueur de la période est inconnue.

Bien que les objectifs financiers soient presque toujours présentés sous forme de montants d’argent requis à certains moments, les conseils financiers reviennent en majeure partie à sélectionner des placements spécifiques, comme des fonds communs et des actions, et les réunir au sein d’un portefeuille.

Ces activités sont souvent conditionnées par la tolérance de l’investisseur au risque et d’autres préférences régissant son portefeuille, comme une prédilection pour les titres canadiens, ainsi que sa capacité d’assumer le risque. Le rapport entre le portefeuille choisi et les objectifs financiers qu’il est censé financer n’est pas toujours évident.

L’accent mis sur la sélection des titres et sur la construction de portefeuille est souvent exprimé selon les concepts d’alpha et de bêta. En ce qui concerne les placements gérés comme les fonds communs, le bêta désigne la partie du rendement escompté d’un portefeuille que produisent ses participations aux différentes catégories d’actifs, alors que l’alpha est le degré auquel le rendement escompté d’un fonds dépasse le rendement escompté de ses participations aux diverses catégories d’actifs. Par conséquent, un processus de construction de portefeuille axé sur l’alpha et le bêta consiste d’abord à décider d’une répartition d’actifs (sur la base de la tolérance au risque, la capacité de l’assumer et d’autres facteurs éventuels) puis à sélectionner les produits gérés qui, selon le conseiller, vont produire de l’alpha.

En 2013, David Blanchett, chef de la recherche sur la retraite à Morningstar et moi-même avons publié une étude intitulée L’alpha, le bêta, et maintenant… le gamma dans laquelle nous introduisions une mesure du degré auquel les diverses stratégies de planification financière peuvent améliorer le revenu au cours de la retraite, et ainsi comment la planification financière influe sur l’atteinte des objectifs financiers. Nous avons effectué des simulations de rendements avec les catégories d’actifs (actions, obligations, etc.), construit des portefeuilles et repéré comment leurs rendements, en combinaison avec d’autres facteurs, affectent le revenu disponible au cours de la retraite. Nous appelons « gamma » (la troisième lettre de l’alphabet grec après alpha et bêta) le pourcentage d’amélioration du revenu causé par les stratégies de planification financière.

Notre constatation principale est que la combinaison de cinq stratégies financières spécifiques pourrait conduire à un revenu-retraite supplémentaire de 22,6 %, équivalant à un alpha sur l’ensemble du portefeuille de 1,59 % par an. Les cinq stratégies que nous avons modélisées sont les suivantes :

Utiliser la richesse totale comme cadre de référence pour déterminer la répartition d’actifs. La richesse totale comprend le capital humain, qui est la valeur actualisée du revenu futur. Plus on a de capital humain, plus on a de capacité d’assumer le risque. Au fur et à mesure que le capital humain diminue, la capacité d’assumer le risque baisse, et la répartition d’actifs devient donc plus prudente.

Utiliser une stratégie de retrait dynamique plutôt que retirer des montants fixes des comptes de placement. Le niveau des retraits dépend de la richesse financière, qui fluctue avec les mouvements des marchés des capitaux, et de l’espérance de vie, qui baisse avec le temps, et permet donc des retraits plus importants.

Acheter des rentes pour générer un niveau plus élevé de revenu garanti.

Prendre des décisions d’affectation et de retraits fiscalement efficientes. Pour tirer le meilleur parti de comptes à imposition différée comme des REER et les FERR, les investisseurs devraient placer leurs investissements les moins fiscalement efficients, comme les obligations, dans leurs comptes à imposition différée, et les y conserver aussi longtemps que possible. Cela signifie qu’au cours de la retraite, les retraits devront porter d’abord sur les comptes imposables, puis être prélevés des comptes à imposition différée lorsque la loi le demande ou que les besoins s’en font sentir.

Utiliser une technique de répartition d’actifs qui tient compte de la nature des obligations de l’investisseur (ses besoins de dépenses futures), qui, dans le cas des retraités, est principalement leur sensibilité à l’inflation.

Puisque nous mettons l’accent sur le revenu, la principale source de risque dans notre modèle est l’incertitude quant au revenu. La capacité qu’a un investisseur d’assumer ce risque dépend de la portion de son revenu-retraite qui est garantie par des sources comme les programmes gouvernementaux d’assurance sociale et les rentes achetées avant la retraite. La tolérance au risque est fonction du sentiment de l’investisseur vis-à-vis de l’incertitude de son revenu, notamment dans l’éventualité où il serait faible.

Toutefois, parce qu’un investisseur peut avoir besoin de revenu pendant de nombreuses années, il ne suffit pas de modéliser les attitudes de l’investisseur vis-à-vis de l’incertitude d’un revenu. Il nous a aussi fallu modéliser les attitudes de l’investisseur vis-à-vis du temps. David et moi-même l’avons fait en utilisant deux paramètres courants de la théorie économique :

Le taux d’actualisation subjectif

L’élasticité de la substitution inter-temporelle

Un postulat de la théorie économique est que les gens sont impatients de recevoir un revenu (ou plus précisément, de jouir des biens et services que ce revenu leur apporte). Par conséquent, un dollar aujourd’hui a plus de valeur qu’un dollar demain. Le taux d’actualisation subjectif mesure le degré d’impatience. Plus le taux d’actualisation subjectif est élevé, et plus élevé sera le taux de rendement que l’investisseur attendra des placements pour l’inciter à repousser son revenu dans le temps.

La théorie économique nous dit aussi que lorsque les taux de revenu attendus du marché augmentent, les investisseurs vont repousser leur consommation à une date ultérieure parce qu’ils sont mieux récompensés s’ils investissent leur argent que s’ils le dépensent tout de suite. Le degré auquel ils sont disposés à le faire est mesurable et s’appelle élasticité de la substitution inter-temporelle. Plus ce chiffre est élevé, et plus l’investisseur sera disposé à repousser son revenu dans le temps lorsque le taux de rendement attendu dépasse le taux d’actualisation subjectif.

David et moi avons cherché à quel point nos résultats en matière de gamma dépendaient des changements intervenus dans les trois paramètres qui définissent les préférences de l’investisseur : tolérance du risque, taux d’actualisation subjectif et élasticité de la substitution inter-temporelle. Une de nos constatations a été que le gamma des investisseurs dont l’élasticité de la substitution inter-temporelle était très faible était beaucoup plus élevé que celui des investisseurs dont l’élasticité de la substitution inter-temporelle était élevée.

Selon nous, cette constatation a d’importantes implications pour la planification financière, notamment en ce qui concerne le type d’informations que les conseillers obtiennent dans les questionnaires de leurs clients. En effet, alors que les questionnaires sur la planification financière sont pour la plupart conçus pour se procurer des informations sur l’horizon temporel d’un client et sur sa tolérance au risque, nous n’en trouvons aucun qui cherche à déterminer l’élasticité de sa substitution inter-temporelle. Nous espérons que nos recherches contribueront à incorporer cet aspect des préférences des investisseurs aux pratiques de la planification financière.

Somme toute, le concept de gamma permet non seulement de quantifier dans une certaine mesure la valeur des conseils financiers, mais aussi d’amorcer une vision plus exhaustive de ce que les conseillers financiers devraient savoir sur leurs clients.