Le phénomène est encore récent ; seulement quelques petites entreprises étrangères réussissent à tirer leur épingle du jeu.

«Est-ce que ça va décoller ? On ne peut pas le dire encore. Par contre, il est certain que ces plateformes apportent un vent de changement dans le marché de l’assurance», indique Léonie Gagné, avocate chez Lavery, De Billy.

L’APP (en anglais, peer-to-peer insurance, ou P2P Insurance) cherche en quelque sorte à redonner ses lettres de noblesse au modèle original de la mutualisation, explique Patrick Vice, associé chez Insurance-Canada.

Les promoteurs de l’APP suivent ainsi les traces d’Edward Lloyd, fondateur de la célèbre Lloyd’s. Au 17e siècle, dans un café de Londres, Edward Lloyd avait réuni des transporteurs maritimes afin qu’ils mutualisent leurs ressources pour assurer les marchandises qu’ils expédiaient à l’étranger, raconte Patrick Vice. Ce modèle a connu beaucoup de succès, commente-t-il.

Sauf que depuis, la majorité des compagnies d’assurance se sont démutualisées et sont devenues gigantesques et anonymes. Au point que le modèle d’assurance actuel est basé sur la méfiance et sur un conflit d’intérêts entre assureur et assuré, soutenait récemment dans Bitcoin Magazine Alex Paperno, fondateur de Teambrella, une firme d’APP qui démarre ses activités en Russie.

«Quiconque a demandé un remboursement sait que les assureurs ne souhaitent pas du tout payer : aider leurs clients n’est pas dans leur intérêt», affirme-t-il.

Le but des assureurs personne-à-personne est d’éliminer ce conflit d’intérêts et de rendre le processus d’assurance juste et transparent, précise Alex Paperno.

Les firmes d’APP comptent aussi réduire le nombre d’intermédiaires dans la chaîne d’assurance et, par ce fait même, «réduire les coûts, notamment ceux qui sont liés aux commissions des courtiers, aux frais d’administration et aux honoraires des experts en sinistres», souligne Léonie Gagné.

Tout commence souvent lorsque de petits groupes de personnes se rassemblent le plus souvent par l’intermédiaire d’un réseau social comme Facebook. Ils mettent en commun des sommes d’argent et compensent tout membre qui soumet une réclamation pour dommages subis.

Évidemment, plus le cercle de participants s’élargit, plus les sommes en jeu peuvent être élevées.

C’est le noyau essentiel qui définit tous les acteurs en APP. À partir de là, les façons de procéder diffèrent d’un acteur à l’autre.

Chez l’APP allemand Friendsurance, le pionnier du secteur qui a démarré ses activités en 2010, les participants paient une prime régulière, comme avec une assurance classique. Mais si les réclamations soumises n’ont pas épuisé les sommes contribuées, chaque participant reçoit une ristourne représentant une proportion des primes accumulées. C’est là une grande différence par rapport au modèle traditionnel.

C’est le modèle que veut reproduire Besurance au Canada, mais son site reste toutefois «inactif depuis son lancement en janvier 2016», indique Léonie Gagné.

Lemonade, un nouvel acteur américain qui a reçu 13 M$ en capital, demande un droit de participation unique de 20 % des primes souscrites. Une partie des sommes non réclamées sont ensuite distribuées aux organismes à but non lucratif choisis par les personnes assurées.

L’anglaise Guevara utilise une partie des primes non réclamées pour réduire les primes demandées l’année suivante, signale Patrick Vice.

Courtage déguisé

Les sommes accumulées ne permettent pas encore d’offrir des polices élevées. Les réclamations ne représentent souvent que la franchise d’une police d’assurance traditionnelle.

Pour les couvertures excédentaires, les plateformes comme Friendsurance et Lemonade font appel à des assureurs classiques, ce qui fait d’elles des distributeurs ou des courtiers d’assurance déguisés.

C’est Teambrella qui applique l’APP dans son esprit le plus pur, en ne recourant pas aux services d’assureurs traditionnels. Seuls les participants – qui utilisent des portefeuilles bitcoin -, participent aux opérations.

Sur plusieurs des plateformes, ce sont les participants eux-mêmes qui déterminent les montants de réclamations admissibles.

Teambrella utilise un système de vote sophistiqué entre participants pour déterminer l’admissibilité d’une réclamation et son montant. Elle prévoit également des mécanismes de vote par procuration qui font en sorte que des «experts» en réclamation puissent émerger et être rémunérés pour leur travail de spécialiste.

Par ailleurs, l’APP pourrait avoir un certain effet sur l’emploi en assurance, qui est toutefois difficile à évaluer pour l’instant.

«Si on se fie aux intentions annoncées des plateformes de contourner les intermédiaires, c’est très probable qu’il va rester moins de travail pour les courtiers et les représentants», reconnaît Léonie Gagné.

Par contre, elle voit mal comment l’industrie pourrait se passer d’experts en sinistres et en réclamations, quitte à ce que ces derniers soient recrutés par les plateformes elles-mêmes, ou par les groupes d’assurés. Sinon, les assurés passeraient leur temps à voter sur l’admissibilité des réclamations.

Les «si» et les questions abondent, insiste l’avocate. Une plateforme d’APP émergera-t-elle au Québec ? La formule attirera-t-elle suffisamment d’adeptes ?

Attention, dit l’AMF

On peut aussi se demander comment réagira l’Autorité des marchés financiers (AMF).

En avril, l’organisme a émis un avis de prudence à l’égard des «plateformes de partage de risque entre particuliers» (http://bit.ly/2dS0jsW).

L’AMF ne craint pas tant les fraudes que les cas où «les consommateurs pourraient s’exposer à des pertes potentielles, par exemple si les participants à un pool refusaient indûment d’acquitter une réclamation ou si le pool ne disposait pas de moyens financiers suffisants».

«De plus, en cas d’insolvabilité, les pertes ne seraient pas couvertes par les régimes d’indemnisation actuellement en vigueur», souligne l’AMF.