Cancer: savoir chiffrer l'impact réel
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L’étude «Santé et travail dans la famille : les données probantes liées au diagnostic de cancer d’un conjoint» (http://bit.ly/2bx3jf7) constitue ainsi un bon outil pour les professionnels en services financiers, juge Nathalie Tremblay, chef de produits, Prestations du vivant, chez Desjardins Sécurité financière. «Ils ont maintenant une source crédible sur laquelle s’appuyer pour discuter avec le client de l’impact financier d’un diagnostic de maladie grave», se réjouit-elle.

Un argument de poids, renchérit Martin Dupras, président de ConFor financiers : «Cela fait un certain temps que je couvre le domaine, et j’ai donc pu constater l’effet dramatique du cancer au cas par cas. Mais de le voir présenté de cette façon, c’est troublant», admet celui qui préside le conseil d’administration de la Fondation québécoise du cancer depuis 2012.

Perte de revenu de 8,5 %

Pour évaluer l’ampleur de la baisse du revenu familial attribuable à un diagnostic de cancer, Statistique Canada a combiné des mesures provenant du «Registre canadien du cancer» avec des données issues des dossiers fiscaux longitudinaux canadiens. Ces dossiers concernaient des couples mariés de 59 ans et moins dont l’un des conjoints a reçu un diagnostic de cancer entre 1992 et 2003.

Il en ressort que si le cancer touche l’épouse, le revenu familial peut diminuer jusqu’à concurrence de 4,8 %. S’il atteint l’époux, la diminution peut atteindre 8,5 %.

«Ça m’a surpris ; j’ai trouvé ça quasiment triste, affirme Martin Dupras. J’en déduis que les femmes arrêtent de travailler davantage que les hommes [pour prendre soin du conjoint qui a reçu un diagnostic de cancer], mais je ne pense pas que nous puissions circonscrire ce risque-là. C’est une lecture de la réaction différente de chacun.»

L’étude conclut que les taux d’emploi des époux des deux sexes diminuent d’environ 2,4 points de pourcentage au cours des années qui suivent le diagnostic de cancer de leur conjoint, ce qui représente une baisse de gains annuels d’environ 2 000 $ pour les hommes (3,4 %) et d’environ 1 500 $ (5,9 %) pour les femmes.

«Du point de vue de la planification, ce n’est pas dramatique. Et plus la personne est fortunée, moins ça a d’importance», note Sylvain B. Tremblay, président du conseil d’administration de l’Institut québécois de planification financière (IQPF).

Une facture salée

La baisse de revenu, c’est une chose, mais le cancer entraîne des dépenses supplémentaires, fait toutefois remarquer Nathalie Tremblay.

«Il faut conscientiser les clients quant à l’importance de mettre en place un plan B en cas de maladie, car les assurances collectives ne couvrent pas tout : les factures de stationnement à l’hôpital, la perruque, certains médicaments, et j’en passe…»

Sylvain B. Tremblay peut en témoigner, car sa femme a reçu un diagnostic de cancer en janvier dernier. «Chaque cas est différent, mais je vous avouerai que j’étais assez heureux d’avoir un petit coussin ! Il faut être vraiment préparé financièrement pour faire face à une telle situation», constate l’associé et vice-président, gestion privée, d’Optimum Gestion de Placements.

«Après coup, je ne pense pas que nous puissions faire quelque chose, mais il y a deux choses qui peuvent être faites en amont du diagnostic, résume Martin Dupras. Souscrire des produits d’assurance qui visent à payer des prestations en cas de maladies graves, et se constituer des coussins de sécurité qui peuvent être utilisés pour les coups durs.»

Revoir ses objectifs

Sylvain B. Tremblay souligne que le diagnostic de sa femme l’a amené à reconsidérer sa conception de la retraite et de son échéancier. «En tant que planificateur, il faut en tenir compte, car peut-être que ça changera les objectifs du client, dit-il. Il faut être à l’écoute et s’adapter à la situation, tant pour la victime du cancer que pour son conjoint.»

«Après le déni et la révolte, quand la personne atteint le stade de l’acceptation de la maladie, elle doit commencer à penser à sa planification successorale ou à la modifier, poursuit-il. Si le professionnel ne fait pas les bilans et les simulations avec son client, cela peut engendrer des désagréments au décès.»

«Je pense que le client s’attend à ce que nous en parlions et que nous tenions compte de cette nouvelle réalité. Donc, le conseiller ne doit pas avoir de sujet tabou», indique Martin Dupras.

Taux de survie en hausse

La bonne nouvelle est que les pronostics se sont améliorés : le taux de survie moyen après cinq ans pour tous les cancers au Canada est passé de 56 % en 1993 à 63 % en 2008, selon la Société canadienne du cancer. D’où l’importance de considérer les effets de la maladie à moyen et long terme sur la situation financière des survivants et de leur famille.

«La manière la plus efficace d’interpeller les clients est de chiffrer les impacts à long terme de la maladie», croit Martin Dupras.

«Il faut présenter des scénarios qui comportent des espérances de vie différentes, précise Sylvain B. Tremblay. Parce que 30 % de risques de récidive, c’est aussi 70 % de chances de non-récidive.»

Les chercheurs ont également déterminé que cinq ans après le diagnostic, le revenu familial du couple touché est toujours inférieur à la moyenne. Plusieurs raisons peuvent expliquer cet écart, dont le changement de priorités.

«Connaissant de nombreuses personnes qui ont été atteintes, j’émets l’hypothèse que leurs choix vont être beaucoup moins orientés sur la carrière et beaucoup plus sur la qualité de vie, avance Nathalie Tremblay. Certains ne retournent pas sur le marché du travail, et les autres risquent de se défoncer moins qu’avant dans leur emploi.»

Dans tous les cas, les trois professionnels rappellent la nécessité d’aborder systématiquement les questions de maladies graves et d’invalidité avec un client.

«Je crois que le cancer crée une image forte, mais beaucoup de maladies peuvent avoir un impact financier important sur l’individu et le ménage, conclut Nathalie Tremblay. Un capital qui arrive au bon moment peut changer bien des choses dans une vie, et c’est le rôle que les conseillers peuvent jouer.»

Soulignons que les conseillers trouveront plus de données sur le sujet dans la publication annuelle «Statistiques canadiennes sur le cancer», produite par Statistique Canada et la Société canadienne du cancer (http://bit.ly/1SkomBI). L’édition 2016 sera publiée sous peu.