Feriez-vous plus de 1 500 kilomètres seulement pour acheter un paquet de couches jetables? Grâce à un taux de change favorable, un revenu disponible croissant et le cachet de la marque Kao, c’est exactement ce que fait la nouvelle classe moyenne chinoise. La demande est telle que les détaillants de Tokyo limitent les achats à deux paquets par voyageur.

Ce ne sont pas seulement les couches que les touristes des alentours de la Mer de Chine s’arrachent. Certains produits japonais sont synonymes de la meilleure qualité possible; en plus les couches super-luxe (dont les mamans japonaises habillent leurs bébés pour les envoyer à la garderie, gardant les marques plus modestes pour la maison), les touristes achètent en grand nombre des couteaux, des sièges de toilettes et des thermos.

« Le tourisme a connu en février une augmentation de 58 % par rapport à l’année précédente, stimulé par le Nouvel An chinois », dit Simon Somerville, gestionnaire de portefeuille à Jupiter Asset Management.

« Ce n’est pas que la faiblesse du yen qui attire les touristes chinois. On parle surtout de la croissance continue de cette classe moyenne asiatique, dit M. Somerville. Elle a de l’argent pour la première fois et veut voir davantage le monde. Le Japon est la parfaite destination pour de premières vacances parce que la culture y est si accommodante vis-à-vis des visiteurs. Le crime y est rare, et il ne viendra pas à l’esprit des Japonais d’escroquer les étrangers. Les gens du lieu et les visiteurs paient les mêmes prix. »

Le détaillant japonais Don Quijote Holdings, qui vend une vaste gamme de produits dont des produits de cuir de luxe usagés, des déguisements pour soirées costumées, des instruments de musique, ainsi que les couches, couteaux, sièges de toilettes et thermos que s’arrachent les Chinois, obtient 10 % de ses revenus des touristes. L’éclectisme de ces détaillants peut par son approche excessive dérouter les consommateurs occidentaux — ce fut certainement mon expérience — mais les affaires sont florissantes, partiellement parce que les gérants des boutiques peuvent adapter leurs produits à leur clientèle en imposant une certaine présentation de leur magasin et la composition de leurs stocks pour plaire au consommateur ciblé.

Et ce ne sont pas seulement les touristes qui dépensent davantage. À compter de ce mois-ci, les six employeurs principaux du Japon se sont engagés à augmenter les salaires, et selon la firme de recherche CLSA, il y a eu une augmentation de salaire de 3,82 % pour les travailleurs de plus de 30 ans et une augmentation moyenne de 2,6 % pour les plus de 35 ans.

« Ceux qui sont du côté le plus pauvre de la fourchette de l’emploi pourraient connaître une augmentation de salaire de plus de 20 % », a prédit le gestionnaire de fonds Chris Taylor de Neptune Investment Management. « Les sociétés paient des salaires et des primes plus élevés à leur personnel, et offrent des contrats à temps plein à leurs travailleurs temporaires. Au moins 35 % des employés de Toyota étaient des travailleurs temporaires; la société va désormais payer leur assurance-santé et leurs pensions. »

Des augmentations de salaires signifient plus d’argent dans la poche du consommateur japonais, et grâce au changement des tendances qui affectent le monde du travail (plus d’heures et le retour des mères au travail), les grandes surfaces sont laissées pour compte au profit des dépanneurs comme 7-Eleven, qui est la propriété du conglomérat de commerce de détail japonais Seven & i Holdings.

La démographie favorise le secteur des soins de la santé

Tout comme c’est le cas dans d’autres marchés développés, les Japonais décident d’avoir des enfants de plus en plus tard, et d’en avoir moins. Bien que le taux des naissances ne soit pas tellement différent au Japon par rapport à des nombreux pays occidentaux, le problème du Japon est son opposition à l’immigration. Un flux régulier d’immigrants fait augmenter les populations en Europe et en Amérique du Nord, alors que le Japon demeure résolument contre l’immigration.

Bien que cette position crée certains déséquilibres économiques et menace de peser lourdement sur l’État, certains commerces se frottent les mains de joie.

Vingt-cinq pour cent de la population japonaise (32 millions d’individus) a plus de 65 ans. Le nombre des gens qui ont plus de 70 ans dépasse la population de l’Australie toute entière. Ce ratio ne va faire qu’empirer avec la diminution des naissances et l’accroissement de l’espérance de vie.

William Hall, président de la société de recherche Ipsos Healthcare Japan, dit que le Premier ministre japonais Shinzo Abe a reconnu ce problème et l’occasion qu’il offre au secteur des soins de la santé. Il invoque l’engagement pris par le gouvernement en 2013 d’investir dans les médecines régénératives et les mesures prises pour éliminer le soi-disant délai de légalisation des nouveaux médicaments, ce qui signifie que les produits pharmaceutiques sont désormais approuvés à la même cadence qu’aux États-Unis.

Le Forum pour l’innovation dans la médecine régénérative, dont fait partie M. Hall, compte plus de 65 membres en provenance de tous les secteurs cherchant à bénéficier de la commercialisation des médecines régénératives, y compris des compagnies comme Panasonic, Fujifilm, Mitsubishi Chemical Holdings, Novartis Pharma et Ernst & Young.


Les terrains prennent de la valeur

Les prix fonciers au Japon, qui ont diminué des deux tiers au cours de la dernière récession, sont actuellement en rapide augmentation. Toutefois, ils n’excluront pas du marché immobilier les acheteurs d’une première habitation. Les initiatives gouvernementales ont permis que soit offerte une hypothèque sur 35 ans à 1,5 %; avec des subventions supplémentaires, ce taux diminue pour arriver à 0,6 % seulement pour les dix premières années. De plus, ceux qui achètent des habitations nouvellement construites n’ont pas besoin de verser un acompte; à n’en point douter, c’est un marché d’acheteurs.

C’est une énorme aubaine pour les sociétés de propriétés résidentielles comme PanaHome. Toutefois, il convient de se rappeler qu’à Tokyo, la taille moyenne d’un premier appartement est seulement de 25 mètres carrés, ou 270 pieds carrés.

L’espace est effectivement un problème dans les villes, surtout à Tokyo. Si les acheteurs veulent de l’espace, c’est la banlieue qui les appelle. Mais pour les sociétés en expansion qui veulent rester dans le quartier des affaires, il n’y a qu’une seule solution : construire en hauteur. Mitsubishi Estate est propriétaire d’un lot important d’immeubles à Marunouchi, un district commercial de luxe à Tokyo.

Des terrains faisant jadis partie des jardins impériaux, qui ont été vendus par l’empereur il y a 150 ans, sont à présent occupés par quelque 200 gratte-ciels, 13 lignes de chemin de fer, sept stations de métro, un système piétonnier souterrain et un service gratuit de navettes.

La société est depuis 10 ans engagée dans un vaste plan de réaménagement par lequel la surface de plancher augmente de 50 % à chaque reconstruction, et les prix à l’unité (et les revenus) augmentent d’autant. Une fois qu’un bâtiment est achevé, le moment est venu de recommencer, en finançant chaque projet par le prix des terrains et le revenu des loyers existants.

L’augmentation du prix des terrains ne profite pas seulement aux propriétaires et aux sociétés immobilières. La culture du prêt aux entreprises au Japon repose sur les financements sur actifs réels, et au fur et à mesure que le prix du terrain augmente, les sociétés peuvent refinancer et investir dans leur propre développement.

« Il n’y a pas au Japon une seule région où le prix des terrains baisse, dit M. Taylor. Cela va contribuer à stimuler la confiance du consommateur, qui est essentielle à la poursuite de la relance économique dans ce pays. Ceux qui ont moins de 45 ans ne se rappellent pas la prospérité d’antan, tout ce qu’ils connaissent est un environnement déflationniste. L’augmentation des prix immobiliers et l’affaiblissement du yen vont donner aux sociétés l’argent nécessaire aux augmentations de salaires et au travailleur japonais la conviction que l’Abénomie est une affaire qui roule. »