Sur les formulaires de plusieurs compagnies d’assurance, à la case «bénéficiaire», on retrouve souvent une mention du genre : «Veuillez désigner un fiduciaire si le bénéficiaire est mineur, sauf au Québec».

Pourquoi nous demande-t-on d’inscrire un fiduciaire pour un enfant mineur ?

Dans les autres provinces

Hors Québec, la désignation d’un bénéficiaire mineur sans fiduciaire aura généralement pour effet que la compagnie d’assurance déposera la prestation de décès à la cour. Par la suite, une personne se présentera au tribunal pour se faire nommer tuteur aux biens (guardian of property).

Il semble que les règles touchant la gestion des biens par le tuteur aux biens soient assez contraignantes. Si personne ne fait la demande pour être nommé tuteur aux biens, le Bureau du tuteur et curateur public (Office of the Public Guardian and Trustee) (l’équivalent du Curateur public du Québec) se chargera de l’administration.

Cependant, la désignation d’un bénéficiaire mineur avec fiduciaire créera une fiducie informelle (informal trust). Elle est dite informelle parce qu’aucun acte de fiducie ne détermine les conditions auxquelles le fiduciaire doit se soumettre.

Dans un tel cas, le fiduciaire doit, pour connaître ses obligations, se référer à la Loi sur les fiduciaires (Trustee Act) de sa province.

Par contre, la désignation d’un bénéficiaire mineur avec fiduciaire pourrait aussi viser une fiducie formelle. Une fiducie formelle (formal trust) est une fiducie mise en place à l’aide d’un acte de fiducie (trust deed), c’est-à-dire un document établissant les règles à suivre et les pouvoirs du fiduciaire.

Il peut s’agir d’un acte de fiducie proprement dit ou d’un testament fiduciaire. Dans un tel cas, la désignation de bénéficiaire devrait indiquer clairement la fiducie visée par cette désignation. La fiducie formelle ne prendra effet qu’au moment de recevoir les sommes prévues.

On peut donc comprendre pourquoi la compagnie d’assurance demande d’indiquer un fiduciaire pour l’enfant mineur hors Québec. En effet, il s’agit de la méthode la plus simple pour qu’elle puisse payer le capital-décès rapidement et à la bonne personne.

Les particularités du Québec

Au Québec, il faut éliminer de notre vocabulaire toute utilisation des termes «fiducie formelle» et «fiducie informelle». Ces termes et les concepts qu’ils représentent dans les provinces de Common law n’existent pas ici.

Selon le Code civil du Québec, une fiducie est créée par la remise d’un bien, du constituant de la fiducie au fiduciaire : «La fiducie résulte d’un acte par lequel une personne, le constituant, transfère de son patrimoine à un autre patrimoine qu’il constitue, des biens qu’il affecte à une fin particulière et qu’un fiduciaire s’oblige, par le fait de son acceptation, à détenir et à administrer» (article 1260).

On ne peut pas créer une fiducie au Québec par une désignation de bénéficiaire pour la raison suivante : l’article 1260 du Code civil exige que le constituant de la fiducie transfère un bien de son patrimoine au patrimoine fiduciaire.

Dans le cas d’une désignation de bénéficiaire, la prestation de décès ne provient pas du patrimoine du constituant, mais plutôt de celui de la compagnie d’assurance.

De plus, l’article 1262 prévoit qu’il doit y avoir un contrat : «La fiducie est établie par contrat, à titre onéreux ou gratuit, par testament ou, dans certains cas, par la loi. Elle peut aussi, lorsque la loi l’autorise, être établie par jugement.»

Le contrat d’assurance ne crée pas de patrimoine fiduciaire et il ne constitue pas un contrat entre le constituant et un fiduciaire.

Au risque de me répéter, désigner un fiduciaire dans une désignation de bénéficiaire au Québec ne crée pas de fiducie ! Ce point de vue a été confirmé dans la décision Massouh (http://bit.ly/2aabdsJ).

Un administrateur du bien d’autrui ?

Cependant, pourrait-on nommer un administrateur du bien d’autrui par la désignation de bénéficiaire ?

Un administrateur du bien d’autrui est semblable à un tuteur aux biens, mais il n’est responsable que de la gestion des biens spécifiés, lesquels sont soustraits à l’administration du tuteur de l’enfant.

L’article 210 précise qu’il est possible de le faire pour des biens donnés ou légués à un mineur : «Les biens donnés ou légués à un mineur, à la condition qu’ils soient administrés par un tiers, sont soustraits à l’administration du tuteur. Si l’acte n’indique pas le régime d’administration de ces biens, la personne qui les administre a les droits et obligations d’un tuteur aux biens.»

Dans la décision Massouh, le juge a précisé avec raison que la prestation de décès d’une police d’assurance vie (et bien sûr d’un fonds distinct) n’est pas un don ni un legs.

Ainsi, il n’est pas possible pour le titulaire de ces produits de nommer un administrateur de la prestation de décès qui gérera l’argent jusqu’à la majorité du bénéficiaire. Le tuteur de l’enfant s’en chargera (le tuteur sera le parent survivant s’il y en a un).

Voici ce qu’indique l’article 192 du Code civil : «Outre les droits et devoirs liés à l’autorité parentale, les père et mère, s’ils sont majeurs ou émancipés, sont de plein droit tuteurs de leur enfant mineur, afin d’assurer sa représentation dans l’exercice de ses droits civils et d’administrer son patrimoine.

«Ils le sont également de leur enfant conçu qui n’est pas encore né, et ils sont chargés d’agir pour lui dans tous les cas où son intérêt patrimonial l’exige.»

Le bémol, c’est que le tuteur (et même l’administrateur du bien d’autrui s’il avait été possible d’en nommer un) perd sa charge à la majorité de l’enfant. Cela peut provoquer des situations où, à titre d’exemple, un jeune de 18 ans se retrouve avec 500 000 $ dans son compte de banque.

Donc, il n’est pas possible de nommer un administrateur de la prestation de décès d’une police d’assurance vie ni d’un fonds distinct par désignation de bénéficiaire, dans le but de confier la gestion de la prestation de décès à une autre personne que le tuteur de l’enfant jusqu’à 18 ans.

Désigner l’enfant mineur

Si le bénéficiaire désigné est l’enfant mineur, purement et simplement, les sommes seront la propriété de l’enfant. Du fait de sa minorité, il peut jouir de son droit de propriété sur la somme reçue, mais il ne peut exercer son droit de propriété seul. C’est pour cette raison que le chèque sera généralement libellé au nom de «Mme X, ès qualité de tutrice aux biens de Y».

À 18 ans, l’enfant devient majeur et prend d’office le contrôle de son argent. Le tuteur perd ses pouvoirs.

Par ailleurs, souvent, le titulaire de l’assurance ou du fonds distinct désire nommer directement son enfant pour des raisons de protection contre les créanciers. Mais il souhaite aussi empêcher que son enfant n’obtienne l’accès à une somme colossale pour son âge lorsqu’il atteint 18 ans.

Certains assureurs offrent donc la possibilité de prévoir dans la police d’assurance ou de fonds distincts que la prestation de décès sera payable sous forme de rente, laquelle peut avoir une durée dépassant les 18 ans.

Désigner la succession

Le titulaire de l’assurance ou de la rente peut aussi choisir de désigner la succession pour recevoir la prestation de décès. Par testament, il aura choisi possiblement l’une des solutions suivantes :

Le liquidateur devra effectuer la remise de la somme à l’enfant à des dates prévues, lesquelles peuvent être postérieures à 18 ans.

La somme sera versée à une fiducie testamentaire au profit de l’enfant.

Le liquidateur aura l’obligation d’acheter une rente pour l’enfant, laquelle rente peut avoir une durée dépassant l’âge de 18 ans de l’enfant.

À retenir

En conclusion, au Québec, tenter de contrôler la prestation de décès reçue par le bénéficiaire en nommant un fiduciaire (lorsqu’aucune fiducie n’est autrement créée) ou un administrateur du bien d’autrui dans une désignation de bénéficiaire n’est pas une solution.

Cela pourrait même faire croire faussement au client que cette désignation sera valable légalement. Gare à votre responsabilité !