
En mai, j’ai eu le plaisir de m’entretenir avec un de mes anciens patrons : Rajiv Silgardo. Depuis janvier 2020, Rajiv siège au comité d’audit – actuariat et au comité des placements du conseil d’OMERS. Rajiv a été co-PDG de BMO Gestion mondiale d’actifs (BMO GMA), qu’il a contribué à établir et à faire croître d’environ 50 milliards de dollars d’actifs sous gestion en 2009 à plus de 300 milliards de dollars à la mi-2016, avec des opérations dans 14 pays. Auparavant, Rajiv Silgardo a passé 14 ans chez Barclays Global Investors (BGI).
Dans ma carrière, j’ai eu l’occasion de travailler avec une foule de gens talentueux et brillants. Rajiv est une des icônes canadiennes dans le domaine du placement et des FNB. Je n’avais pas vu et discuté avec Rajiv depuis 2016. Étant donnée la croissance à grande vitesse du marché des FNB, connaître le point de vue de Rajiv sur son évolution m’apparaissait opportun pour les professionnels de l’investissement, les gestionnaires de portefeuilles et les conseillers (ères) en placement qui s’intéressent aux FNB. Voici la première partie de notre discussion qui couvrira notamment le besoin d’éducation ainsi que l’historique du secteur des FNB au Canada.
Alain Desbiens (AD): En 2009, le mantra dans le secteur des FNB et chez BMO GMA était « éducation, éducation et éducation ». Aujourd’hui, comment le message des fournisseurs de FNB auprès des conseillers et des gestionnaires de portefeuille doit-il évoluer, notamment face à l’augmentation de nouveaux produits et fournisseurs ?
Rajiv Silgardo (RS) : La formation continue est toujours là. Il existe différents segmen1ts de marché et chacun d’eux peut avoir besoin de différents types de formation.
Par exemple, les investisseurs institutionnels, la communauté des conseillers, les gestionnaires de portefeuille, etc., ont une bonne compréhension de ce que sont les FNB et des différences entre les différents types de FNB : indiciels, des stratégies plus quantitatives, factorielles, fondamentales, actions et revenus fixes.
Lorsqu’on s’intéresse davantage au marché individuel (courtage à escompte), il y a encore un besoin de formation de base sur les FNB, mais aussi de plus amples explications sur le fait qu’acheter un FNB ne signifie pas que votre travail est terminé. Lorsque vous envisagez d’acheter un FNB, vous devez vraiment essayer de comprendre ce que vous achetez. Pour ce segment de marché, il reste encore du travail à faire : une formation de base, mais aussi peut-être une évolution pour expliquer les nuances entre les différents types de FNB et les différentes stratégies qui arrivent sur le marché, et leur impact sur le portefeuille.
(AD) : Rajiv, vous avez participé à la création des premiers FNB au monde, les Toronto 35 Index Participation Units (TIPs) en 1990. Vous étiez chez Barclays Canada lors de la fusion des TIPs avec le FNB XIU, et vous étiez présent lors de la création du premier FNB à revenu fixe au monde en 1996. Les innovations canadiennes en matière de FNB ont permis l’émergence de l’un des secteurs les plus disruptifs et innovants au monde, facilitant et démocratisant l’investissement. Rajiv Silgardo, êtes-vous fier de votre contribution ?
RS : Je suis ravi de la croissance et de l’engouement pour cette catégorie de produits. Il y a quelques années, je faisais la queue chez Starbucks et deux jeunes gens, d’une trentaine d’années, parlaient de deux FNB différents.
Je me disais : « Wow, saviez-vous qu’il y a 10 ou 15 ans, ça n’existait pas ? Personne ne savait ce qu’était XIU, ZSP ou quoi que ce soit d’autre en matière de FNB ? »
Bien sûr, je ne leur ai pas dit ça. Quand j’y repense, je suis stupéfait, très heureux qu’un produit excellent, qui a si bien servi tant de personnes et d’investisseurs pendant tant d’années, ait connu une telle croissance. Parfois, j’y repense en me disant : « Wow, c’est vraiment exceptionnel ! »
AD : Rajiv parlez-moi de l’histoire de la conception du premier FNB d’action au monde qui est canadien.
RS : Nous savions qu’il y avait des innovations à réaliser sur le marché des actions. Nous avons donc lancé le XIU, qui suivait un tout nouvel indice créé par S&P pour Barclays, car les indices de référence existaient déjà. Le TIPs existait déjà et il comprenait 35 actions par rapport à l’indice composite, qui comptait près de 300 titres à l’époque. Aucun de ces indices ne nous semblait bien refléter la composition du marché canadien. Nous recherchions donc un indice intermédiaire, qui reflète les caractéristiques du marché, mais qui soit suffisamment liquide pour développer le trading, et peut-être même une gamme de produits dérivés autour du FNB (comme des contrats à terme, options, etc.). C’est pourquoi nous avons collaboré avec S&P pour créer le TSX 60, qui représentait nous semblait-il, une meilleure vision du marché canadien, tant en matière de liquidité que de caractéristiques sous-jacentes. Le TIPs et le XIU ont été amalgamés et ont répliqué le TSX 60.
AD : Rajiv certains investisseurs savent que le premier FNB d’actions au monde est canadien, peu savent que le premier FNB de titres revenu fixe au monde est aussi canadien. Pouvez-vous me parler du contexte de création de ce FNB ?
RS : Le marché des titres à revenu fixe, à l’époque comme aujourd’hui au Canada, était principalement négocié de gré à gré. C’était un marché opaque et moins liquide.
Le marché des titres à revenu fixe est un marché différent des actions, des produits dérivés, etc. C’était donc à l’époque un travail considérable d’aller voir les pupitres de négociation des marchés de revenu fixe des grandes banques canadiennes (de RBC, de BMO, de TD, de Scotia, de CIBC et de Nationale) pour leur expliquer notre réflexion et les raisons de notre décision de créer un FNB de titres à revenu fixe. L’arrivée d’un FNB de titre à revenu fixe ferait que l’écart de négociation sur ces FNB se réduirait, mais nous leur avons expliqué que nous allions élargir le marché. Ensuite, nous avons dû collaborer avec les autorités de réglementation pour leur expliquer précisément ce que nous cherchions à créer. Encore une fois, ils n’avaient jamais entendu parler de quelque chose de tel et tout était à bâtir.
AD : Si je me souviens bien, lors de la création du premier FNB de revenu fixe au monde, le XBB, il n’y avait que quelques-unes d’obligations sous-jacentes ?
RS : Il n’y en avait qu’une. C’était un FNB ayant une échéance cible de 5 ans et nous en avons créé un autre de 10 ans. Si vous souhaitiez investir dans un CPG à cinq ans, par exemple, voici une autre option à considérer qui serait liquide et dans laquelle vous pourriez entrer et sortir quand vous voulez. Ce serait à très faible coût et j’espère que cela vous donnera un meilleur rendement qu’avec le CPG.
Quelques années plus tard, on a lancé un FNB de marché total (aggregate) qui contenait un panier de titres, car un FNB ayant une simple obligation était plus difficile à appréhender et les marchés n’étaient pas bien alignés, dans le sens où les acheteurs de CPG ne cherchaient pas vraiment à acheter une obligation.
AD : Quand on regarde le marché des FNB de revenus fixes aujourd’hui on voit tout le chemin parcouru.
RS : Le passage à un panier d’obligations, mieux diversifié, a permis une adoption plus large des FNB de revenu fixe.
AD : Quel contraste entre les débuts modestes et l’essor phénoménal du secteur : en 2024, près de 1 500 FNB sont disponibles au Canada, contre seulement 366, dix ans plus tôt, avec une gestion d’actifs passant de 77 à 519 milliards de dollars.
RS : Je suis en effet très satisfait de voir comment le secteur des FNB a pris son envol avec le temps.
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La première partie de ma discussion avec Rajiv Silgardo témoigne de l’importance de l’éducation et de l’innovation en FNB sur le marché canadien. Les Canadiens ont été les premiers à proposer des FNB de titres à revenu fixe, des FNB assortis des couvertures de change, des FNB de vente d’options d’achat couvertes, mais aussi des FNB de cryptoactifs ainsi que plusieurs autres innovations en FNB à l’échelle mondiale.
Notre marché des FNB continue à innover et à se diversifier. Le prochain article contenant la deuxième partie de ma discussion avec Rajiv couvrira plusieurs thèmes, notamment l’importance de l’innovation et le futur de l’industrie des FNB et de l’investissement.