
En mai, j’ai eu le plaisir de m’entretenir avec un de mes anciens patrons : Rajiv Silgardo, qui a entre autres été co-PDG de BMO Gestion mondiale d’actifs (BMO GMA), de 2009 à la mi-2016.
Dans cette seconde partie de notre conversation, nous discutons des défis du secteur. Voici le résumé de la suite de notre discussion.
Lire la première partie : Conversation avec un pionnier du secteur des FNB, Rajiv Silgardo
Alain Desbiens (AD) : Dans un panel Morningstar auquel j’ai participé ce printemps, une des questions portait sur le trop grand nombre de fournisseurs de FNB au Canada (45) et la potentielle saturation du marché des FNB. On parle de ce sujet alors que l’on ne parle jamais de saturation potentielle du marché des fonds communs de placement (115 fournisseurs) … D’ailleurs, on pourrait dire la même chose des fonds distincts, des produits structurés ou des fonds alternatifs. Quel est votre point de vue à ce sujet ?
Rajiv Silgardo (RS) : Au Canada, en décembre 2024, il y avait environ 500 milliards de dollars en actif sous gestion (ASG) de FNB et 2 000 milliards en ASG en fonds communs de placement. Les FNB représentent donc un quart du marché des fonds communs de placement. Aux États-Unis, les chiffres étaient de 10 000 milliards de dollars en FNB et de 28 500 milliards de dollars en fonds communs de placement. Les FNB représentaient environ 35 % du marché aux États-Unis, et environ 25 % au Canada. La croissance des actifs sous gestion des FNB continuera et le marché canadien est loin d’être saturé.
De plus, tout fournisseur sérieux sur notre marché devra adopter une stratégie en matière de FNB. Ceux-ci devront soit fournir leurs propres produits, soit s’associer à un partenaire. En effet, à mesure que les gens comprennent les avantages des FNB, la demande sera là, d’où le besoin d’avoir une offre.
AD : Les investisseurs dans le segment du courtage à escompte, du courtage de plein exercice et du marché institutionnel détiennent à peu près le même poids au Canada en matière d’ASG de FNB inscrit au Canada. Chaque segment a une forte croissance…
RS : Tout type d’investisseur — les assureurs, les banques, les fonds spéculatifs (hedge funds), les portefeuillistes qui gère des fonds communs, ainsi que ceux que tu as nommés — tout le monde peut acheter des FNB. Que ce soit pour mettre en œuvre une stratégie selon le point de vue de l’investisseur. Le marché est vaste et va continuer de croître dans tous les segments.
AD : Vous avez vu la croissance des actifs des FNB indiciels d’actions et la croissance phénoménale de l’offre de FNB de titres à revenu fixe. Les FNB canadiens reproduisent désormais tous les différents indices boursiers et de revenus fixes. Vous avez été présent aux débuts et pendant la croissance des FNB à bêta intelligent. Vous avez assisté à l’introduction du premier FNB à options d’achat de couverture au monde. Et vous avez assisté à l’émergence des FNB actifs. Nous assistons aujourd’hui à l’émergence et à la croissance des FNB de Bitcoin, des FNB de cryptoactifs, des FNB à actions uniques avec ou sans effet de levier, et à la résurgence des FNB à effet de levier, tant au Canada qu’aux États-Unis. Aux États-Unis, certains FNB ont un effet de levier multiplié par cinq. Au Canada, l’effet de levier est désormais multiplié par trois. Quel regard portez-vous sur certaines de ces structures, anciennes et nouvelles, du monde des FNB ?
RS : Je ne suis pas certain qu’elles soient toutes judicieuses (me dit-il sourire en coin).
Quand je pense aux FNB de cryptoactifs, aux FNB à effet de levier, et maintenant on parle de classes d’actifs privés qui arrivent, FNB à nom unique, avec ou sans effet de levier…, ça m’inquiète un peu. Dès le début, j’ai toujours été préoccupé pour ce type de FNB, car pour moi, le pire, c’est qu’un client obtienne un résultat inattendu.
En tant que gestionnaire de portefeuille, je ne voulais pas que cela se produise. En tant que chef d’entreprise, je ne voulais pas que cela se produise non plus.
Quand je pense à l’effet de levier, je pense, à l’époque comme aujourd’hui, qu’il est difficile de l’expliquer correctement à l’investisseur individuel moyen. Que peut-on attendre d’un FNB à effet de levier ? Par exemple, si vous achetez un FNB à effet de levier triple, il s’attend à l’acheter et à le conserver, et à terme, à obtenir un rendement trois fois supérieur à celui du marché. Et malheureusement, comme nous le savons, ça ne fonctionne pas comme ça. Ce sont des FNB qui visent une détention quotidienne (et qui ne devraient pas être achetés ni détenus à long terme). Et combien d’entre nous, à moins d’être spéculateurs sur séance, allons-nous passer de temps à acheter et vendre ces produits sur une base quotidienne ? Je m’inquiète donc qu’en prenant une idée que je considère comme excellente — le FNB — et en la repoussant toujours plus loin, aux limites du paysage de l’investissement, nous ne la déformions un peu.
Nous nous éloignons de la thèse initiale, celle de l’investissement, qui consistait à choisir un bon investissement et à le proposer efficacement et à moindre coût au plus grand nombre d’investisseurs possible. Nous nous éloignons de cette approche pour nous orienter vers des niches de plus en plus pointues, et plus on s’y aventure, plus la complexité augmente.
Un point important concerne la différence entre le marché américain des FNB et le marché canadien : la composition de ce secteur aux États-Unis, par catégorie d’actifs, est toujours proche de 80 % en actions et 20 % en revenu fixe et autres types de FNB (ex : crypto). Au Canada, la répartition est plutôt de 60 % actions et 40 % pour les autres types de FNB.
Cela témoigne de l’innovation sur le marché canadien. Nous avons été les premiers à proposer des titres à revenu fixe, des couvertures de change, des options d’achat couvertes, mais aussi des cryptomonnaies et d’autres FNB. Notre marché, en ce sens, s’est donc diversifié.
Les États-Unis sont encore largement axés sur les actions. Ils ont récemment lancé les cryptomonnaies. Nous verrons donc comment cela évolue.
AD : Dernière question et cela concerne la répartition des portefeuilles. Certaines voix évoquent la nécessité d’une plus grande présence des fonds alternatifs, du capital-privé et des cryptomonnaies dans la répartition d’actifs des clients particuliers comme c’est le cas pour l’institutionnel et les fonds de pension. Quel est ton point de vue sur le sujet en tenant compte que l’horizon de temps et les objectifs de placement d’un particulier ne sont pas toujours identiques à ceux d’un fonds de pension ou d’un client institutionnel ?
RS : Dans le marché des particuliers ou des investisseurs individuels, les horizons temporels peuvent être très différents de ceux des investisseurs institutionnels. La compréhension et la supervision d’un portefeuille d’investissement peuvent être très différentes, n’est-ce pas ?
Je suis donc réticent à l’idée de simplement investir 20 % dans toutes ces alternatives. Pour certains investisseurs, notamment les particuliers, si vous avez un conseiller qui comprend ces investissements et peut vous aider, vous pourriez intégrer certaines de ces solutions. La diligence raisonnable est toujours de mise.
Pour les investisseurs autonomes, à moins d’être prêts à se renseigner, et à effectuer des recherches approfondies (diligence raisonnable), un portefeuille diversifié dans les FNB répliquant les grands marchés boursiers et de revenu fixes restent intéressants.
AD : Rajiv un immense merci pour votre rigueur et grande générosité dans la discussion.
RS : Alain, merci beaucoup.