Une femme écrivant sur un cahier devant des graphiques financiers.
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Le régime alternatif liquide

On peut recourir au levier financier des alternatifs liquides par le biais d’emprunts en espèces, de ventes à découvert et de produits dérivés spécifiques. La démocratisation des placements alternatifs donne aux investisseurs individuels l’accès à des stratégies dont les investisseurs institutionnels disposaient depuis longtemps. Les alternatifs liquides comblent un vide entre les stratégies à long terme et les investissements privés. Les nouvelles règles ont permis d’uniformiser les règles du jeu avec les États-Unis et le Royaume-Uni.

Le marché

Un an après le lancement des alternatifs liquides au Canada, le marché s’élève déjà à environ 7 milliards de dollars en actif. On y constate un flot de produits et un marché florissant avec une gamme croissante de fonds et de stratégies parmi lesquels choisir. Les premiers entrants, par le biais d’une dispense, ont lancé leurs produits avant janvier 2019. Il existe aujourd’hui une centaine de fonds, y compris des fonds négociés en bourse (FNB), lancés par plus de 30 gestionnaires.[1]

L’entrée sur le marché est dominée par les banques et les grandes sociétés de fonds, qui représentent plus des deux tiers des fonds sous mandat de gestion. Les gestionnaires de boutiques sont à la traîne. La grande majorité d’entre eux sont gérés en interne et seule une petite partie est sous-conseillée par des gestionnaires de fonds spéculatifs.

L’entrée sur le marché canadien de gestionnaires étrangers est prévue.

Les stratégies de produits

La plupart des produits sont axés sur les actions ayant pour objectif de générer de l’alpha afin de produire des rendements ajustés au risque qui dépassent les indices de référence, suivis par les fonds multistratégies avec des objectifs de rendement absolu.  Les stratégies axées sur le crédit ont été moins nombreuses, ce qui en fait un secteur de croissance potentielle dans un environnement à faibles taux.

Le nombre, plus important de stratégies alpha par rapport aux stratégies de neutralité vis-à-vis du marché, est probablement dû aux restrictions sur la vente à découvert maximale (50 % de la valeur liquidative).[2]  Les alternatifs liquides sont par essence des « hedge-lite » – la limite de vente à découvert n’autorise pas les stratégies purement neutres vis-à-vis du marché, une limite d’effet de levier total de 300 % restreint certains contrats à terme gérés, et une restriction de liquidité de 10 % empêche d’offrir des fonds de dette privés.

Les investisseurs bénéficieraient de la levée de ces restrictions et de l’élargissement des types de stratégies disponibles.

Les frais et caractéristiques des produits

La liquidité, les périodes de détention, les minimums et les frais de gestion sont conformes à ceux des fonds communs de placement. Des minimums peu élevés rendent les produits largement accessibles. Les frais de gestion sont de l’ordre de 1 %, les commissions de performance se situent entre 15 et 20 %. [3]

Contrairement aux fonds communs de placement, les alternatifs liquides peuvent imposer des commissions de rendement en fonction de la performance, conformément aux structures de rémunération typiques des fonds spéculatifs. Les modèles de frais vont de l’indice de référence perpétuel à des taux fixes et à des indices de référence relatifs.

Une formation sur le rôle des commissions de performance en harmonisation avec les intérêts rassurerait les conseillers.

Les défis pour les gestionnaires de fonds spéculatifs

Nous assisterons à une évolution avec la croissance et la diversification des types de stratégies, ce qui entraînera de nouveaux défis liés à la distribution et à la saturation du marché qui pourraient conduire à une érosion des ventes de fonds spéculatifs. 81 %[4] des conseillers préfèrent les alternatifs liquides[5], car les conseillers peuvent opter pour une liquidité accrue, la transparence des rapports et la facilité d’entrée de ces structures.

Les fonds spéculatifs capables d’adapter leurs stratégies aux nouvelles règles ont élargi leur offre au secteur du détail. Pour réussir, les gestionnaires habitués à opérer en privé, doivent toutefois se conformer à des rapports plus fréquents et surmonter les difficultés opérationnelles/de distribution.

L’accès aux canaux de distribution reste un défi avec la promotion des financements internes et le nombre décroissant de produits des grands fonds et des banques approuvés pour la distribution. Si les gestionnaires de boutiques ne peuvent pas étendre leurs activités, on peut s’attendre à un niveau plus élevé de convergence et de consolidation entre les gestionnaires de fonds spéculatifs et les fabricants de fonds communs de placement traditionnels.

Les notations de risques

Il est impératif, surtout en fin de cycle économique, que les investisseurs ne se voient pas refuser l’accès aux avantages des stratégies alternatives par une notation simpliste des placements alternatifs comme étant à haut risque. L’adoption généralisée dépend de la justesse et de la précision des notations.

Bien que les notations continuent d’être une barrière à une large diffusion, nous constatons une évolution positive avec l’adoption croissante des notations de risque AIMA/CAIA.[6]

Les canaux de distribution se développeront à mesure que les courtiers mettront en place des notations équitables et que les fonds établiront un historique de performance sur plusieurs années. L’idée que tous les investissements alternatifs sont à haut risque doit être dissipée avec des informations sur la manière dont on peut réduire le risque des placements alternatifs. Les courtiers pourront alors répartir les placements alternatifs en dehors de la fourchette typique de 10 % de risque élevé.

Les exigences en matière de compétences

Un autre obstacle à la distribution est l’incapacité des courtiers de la MFDA à vendre les alternatifs liquides en raison des exigences de compétence prévues par le cadre réglementaire. Tant que des normes de compétence appropriées ne seront pas adoptées, de nombreux Canadiens continueront à ne pas avoir accès à ces produits.

L’AIMA travaille avec les régulateurs pour résoudre ce problème.

L’environnement du marché

En cette fin de cycle, alors que nous nous dirigeons vers un environnement de marché plus compliqué, avec un resserrement quantitatif mondial, des guerres commerciales et des préoccupations macroéconomiques croissantes, les investisseurs doivent se préparer à la volatilité des marchés des actions et à la baisse des rendements des titres à revenu fixe en se tournant vers des investissements qui ne sont pas liés aux marchés traditionnels. Les investisseurs ne peuvent plus se fier au modèle traditionnel 60/40. Les rendements négatifs des marchés d’actions mettront en évidence des solutions alternatives, tant défensives qu’offensives.

L’histoire a prouvé que contrairement aux marchés publics, les alternatives génèrent des rendements dans des conditions économiques positives et négatives.

Avec l’avènement des alternatifs liquides, les investisseurs sont désormais davantage en mesure d’atteindre leurs objectifs financiers en construisant un portefeuille équilibré qui préserve le capital et protège contre les risques de perte en cas de baisse afin d’offrir des rendements ajustés en fonction du risque.

Les stratégies d’investissement en fin de cycle

Ce changement marquant est intervenu à un moment où les investisseurs recherchent des rendements non corrélés. L’intérêt va s’accroître à mesure que les conditions du marché se détérioreront.

Les solutions de rechange constituent un outil de diversification permettant de réduire la volatilité en générant des rendements attrayants et peu corrélés aux marchés. Les produits qui préservent le capital et améliorent le rendement seront privilégiés à l’approche d’un ralentissement, notamment en raison du vieillissement de la population. Les produits offrant une diversification par rapport aux sensibilités aux taux d’intérêt se multiplieront.

La volatilité créera des opportunités pour des stratégies tactiques exploitant les inefficacités du marché (arbitrage statistique à court terme, affacturage). Les stratégies de valorisation relatives sont conçues pour fonctionner dans des conditions de marché incertaines.

Les gestionnaires ayant l’expérience de la navigation dans différents types de cycles auront un avantage.

Les stratégies directionnelles et non directionnelles

Les stratégies peuvent être directionnelles ou non directionnelles en fonction des grands mouvements du marché. Les stratégies directionnelles visent une surperformance en amplifiant les rendements par opportunisme ou par vente à découvert. Même les stratégies avec une exposition sous-jacente aux actions offrent des rendements indépendants des mouvements du marché.

La performance des fonds à rendement absolu de 6 à 8 %, avec une volatilité semblable à celle des obligations et une faible corrélation, démontre que les fonds fonctionnent comme prévu. [7]

Les rendements des fonds d’actions et d’alpha de revenu faiblement corrélés aux indices à long terme ne seront pas aussi élevés que ceux des fonds à long terme sur les marchés haussiers, mais les investisseurs bénéficient d’une protection de couverture.

Les stratégies non directionnelles permettent de débloquer la valeur des actifs à prix/idiosyncrasiques. Les investisseurs qui ne veulent pas d’exposition sous-jacente aux actions peuvent opter pour ces produits bêta alternatifs.[8]

L’allocation de portefeuille et le juste équilibre des alternatives

Alors que nous approchons de la fin d’un marché haussier qui a duré dix ans, un pivot vers le juste équilibre des stratégies alternatives dans un portefeuille diversifié peut apporter de la résilience et des rendements.

Une plus grande diversification entre les classes d’actifs alternatifs est une tendance prévisible. Une allocation stratégique et disciplinée permet de réduire le risque, de gérer la liquidité et de cibler les rendements souhaités – ce qui est fondamental pour que les stratégies alternatives atteignent leur objectif.

Il existe une large gamme de stratégies à travers un spectre de profils de risque/rendement avec des caractéristiques uniques et une exposition à différents actifs. Une véritable compréhension des stratégies et des compromis est nécessaire pour adapter l’allocation aux objectifs d’investissement.

Les stratégies alternatives peuvent améliorer le rendement, diversifier le risque, couvrir l’inflation, s’accorder aux engagements à long terme ou générer des flux de trésorerie. La tolérance au risque, les contraintes de liquidité et l’horizon temporel dicteront la part d’un portefeuille allouée aux stratégies alternatives.

Une enquête mondiale[9] a révélé que 35 % des conseillers investissent dans les alternatifs liquides et 16 % prévoient de le faire. Les conseillers canadiens prévoient que 10 % de leur portefeuille sera alloué aux alternatifs liquides.

Un nouveau modèle de construction de portefeuille va émerger, avec des placements alternatifs représentant 5 à 10 % des portefeuilles.

L’avenir des alternatifs liquides au Canada

Nous sommes encore au début de l’histoire des alternatifs liquides au Canada – Le secteur a beaucoup de pistes à développer. C’est une période d’innovation et d’opportunités sans précédent pour l’industrie canadienne de l’investissement.

Tiré par la nécessité de protéger les capitaux et la demande de rendement, le marché mondial alternatif devrait atteindre 14 000 milliards de dollars d’ici 2023[10]. Le marché alternatif liquide devrait atteindre 100 milliards de dollars d’ici 2025,[11] soit une part significative du marché des fonds communs de placement de 1,5 billion de dollars au Canada.

Le marché des fonds de fonds s’élève à ~550 milliards de dollars.[12] Une plus grande participation des fonds de fonds, qui peuvent investir 10 % dans les alternatifs liquides, pourrait accélérer considérablement la croissance du marché. D’autres lancements de FNB sont prévus, ce qui rendra les placements alternatifs plus accessibles et stimulera la croissance du secteur.

Les placements alternatifs font de plus en plus partie intégrante des portefeuilles institutionnels, avec des allocations représentant de 30[13] à 50 %[14] et augmentant sur une base plus large d’investisseurs. Les placements alternatifs continuent de gagner du terrain, plus de la moitié des investisseurs institutionnels prévoyant d’augmenter les allocations au cours de l’année prochaine. [15]

On peut s’attendre à ce que cette tendance se poursuive dans le secteur du détail. Les produits deviendront plus courants et s’adresseront à une population plus large à mesure que les canaux de distribution s’élargiront avec les changements de notation et l’ouverture d’un canal de vente de ~80 000 conseillers par la MFDA.

La popularité des placements alternatifs liquides gagnera du terrain à mesure que leur complexité et la manière d’évaluer les produits qui y ont recours seront mieux connues. Les ventes devraient s’accroître une fois qu’il y aura des antécédents avérés et que les courtiers seront mieux adaptés aux arguments d’investissement et à la meilleure façon de répartir les placements dans le cadre d’un portefeuille équilibré.

Le sentiment réglementaire est favorable à la croissance avec une limite de garantie pour les ventes à découvert et d’autres allégements accordés et une collaboration avec l’AIMA pour répondre aux exigences de compétence.

L’AIMA continuera de plaider en faveur d’un cadre souple favorisant l’innovation afin de fournir aux Canadiens une gamme de produits qui les aidera à atteindre leurs objectifs d’investissement. Le marché alternatif canadien est appelé à se développer davantage grâce à des talents de classe mondiale et à de nouveaux canaux de croissance sur les marchés de détail.

[1] Industry Data (Fund Data and other sources)

[2] CIBC – Alternative Mutual Funds Growth Potential Looks Solid Coming Out of The Gate (July, September 2019)

[3] Ibid.

[4] AIMA Canada & Scotiabank Alternative Mutual Fund Market Impact Report (2019)

[5] Ibid.

[6] Risk Rating Guidelines for Alternative Investments in Canada (January 2019)

[7] CIBC — Alternative Mutual Funds Growth Potential Looks Solid Coming Out of the Gate (July, September 2019)

[8] Alternative beta products—credit arbitrage, relative value, commodities, currencies, private credit, real estate, infrastructure, idiosyncratic strategies.

[9] Alternatives in 2019, Preqin

[10] Preqin Data (2018)

[11] Scotiabank and CIBC

[12] CIBC — Alternative Mutual Funds Growth Potential Looks Solid Coming Out of the Gate (July, September 2019)

[13] https://www.piacweb.org/publications/asset-mix-report.htmltheyear-2006

[14] CPPIB Annual Report 2018 (and other industry data)

[15] CIBC Mellon “The Race for Assets Canada vs. the World”