Le bêta stratégique, ou « bêta intelligent », fait fureur en ce moment. On en parle partout dans le monde des FNB, et de nouveaux produits de ce type sont lancés presque chaque semaine.
Certains considèrent la popularité croissante des FNB au bêta stratégique comme une menace à l’encontre du placement indiciel traditionnel. Selon eux, les indices pondérés selon la capitalisation boursière présentent des défauts inhérents, et ils pensent que, au fur et à mesure que les investisseurs passifs acceptent ce fait, ils vont se tourner vers des moyens plus « intelligents » de construire des portefeuilles, sur la base d’une systématisation des facteurs de risque.
Je ne suis pas de cet avis. D’après moi, les investisseurs qui veulent être exposés au marché global continueront à préférer les indices pondérés selon la capitalisation boursière car ceux-ci seront toujours la meilleure représentation du marché. Je crois plutôt que les FNB au bêta stratégique pourraient représenter une menace sérieuse pour les gestionnaires actifs, surtout ceux qui font payer des frais élevés pour peu de valeur ajoutée.
Traditionnellement, les rendements des portefeuilles sont décomposés en bêta et alpha. Le bêta est le rendement du marché global, alors que l’alpha, que l’on espère positif, est ce qui reste, cette valeur inexpliquée qui est souvent interprétée comme une preuve des talents du gestionnaire.
Depuis une dizaine d’années, avec l’aide des chercheurs universitaires, la perception qu’ont les investisseurs de ce que l’alpha représente réellement a évolué. Beaucoup en sont venus à la réalisation qu’une portion de ce qu’on considère comme l’alpha peut s’expliquer aisément par des facteurs boursiers comme la valeur, la taille ou l’élan, laissant ainsi une part plus petite qu’on ne le croyait des rendements d’un portefeuille attribuables à la gestion active, comme le choix des titres.
Si tel est le cas, pourquoi ne pas éliminer les intermédiaires et s’approprier les facteurs soi-même? C’est une question que certains gros investisseurs institutionnels ont commencé à se poser. Le fonds de pensions du gouvernement norvégien (le plus grand en Europe) et CalPERS (le plus important fonds de pension public aux États-Unis) ont tous deux adhéré à une vision du monde fondée sur la gestion passive des facteurs de risque. Les particuliers et les conseillers devraient penser à y adhérer aussi.
Je crois que les gestionnaires actifs qui ne font que gonfler leur exposition à certains facteurs ne méritent pas de percevoir des frais élevés. Il existe désormais beaucoup de fonds à faible coût, transparents et fondés sur des formules imitant les facteurs, principalement des FNB, et il en arrive de nouveaux tous les jours. Au Canada, il y a entre autres les deux FNB factoriels récemment lancés par First Asset, qui permettent aux investisseurs d’avoir un accès direct à certains des facteurs boursiers les mieux connus : la valeur et l’élan.
Pour les gestionnaires de fonds actifs traditionnels, les implications de l’évolution du placement indiciel, et notamment la hausse de popularité des FNB au bêta stratégique, sont de deux ordres. D’abord, ils ont clairement placé la barre plus haut. Car c’est vrai, un gestionnaire vraiment doué devra désormais démontrer qu’il peut se surclasser une fois déduite l’influence de l’exposition à des facteurs facilement mesurables. De nombreuses études montrent qu’une fois qu’on a procédé à cette déduction, les preuves du talent du gestionnaire deviennent vraiment difficiles à détecter, ce qui conduit ces chercheurs à en conclure que les gestionnaires doués sont extrêmement rares.
Ensuite, si les rendements des gestionnaires actifs sont principalement le fruit d’une combinaison de penchants passifs pour certains facteurs, des frais élevés se justifient peu. Le sachant, les gestionnaires actifs devront faire face à des pressions croissantes pour démontrer leurs mérites.