Un homme d'affaires surfant sur une vague de papiers.
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Après plusieurs mois parmi les plus volatils jamais enregistrés pour les marchés financiers, le secteur canadien des fonds négociés en Bourse (FNB) ne semble pas être le plus malmené. Plus de 22 milliards de dollars (G$) ont été investis dans les FNB au cours des six premiers mois de 2020, soit le montant le plus élevé depuis dix ans et plus du double des gains de l’année dernière pour la même période. Du début de janvier à la fin de septembre, les créations nettes de FNB s’élevaient à 32 G$, d’après une analyse de Banque Nationale Marchés financiers.

Or, ces chiffres ne disent pas tout. Après 11 ans de hausse des marchés financiers et de surperformance des fonds passifs, le secteur des FNB est en train de s’adapter au paysage post-COVID : l’appétit pour le risque a changé, la distribution est passée au numérique et des « paris » ont été faits sur les secteurs et les thèmes qui prospéreront dans la pandémie et après celle-ci

« Nous avons tous dû revoir notre approche en matière de développement de produits et reconnaître que les choses ont changé – et probablement qu’elles ont changé pour de bon, explique Kevin Gopaul, responsable mondial des FNB chez BMO Global Asset Management à Toronto. Les produits auxquels nous avons pensé dans le passé sont-ils encore viables à l’avenir ? Les expositions sont-elles pertinentes ? Nos méthodes de distribution sont-elles toujours pertinentes ? »

La période de marchés haussiers de 11 ans qui s’est terminée avec la pandémie de COVID-19 a permis de faire de l’argent facile dans les grands indices. Aujourd’hui, beaucoup de gens ont des idées différentes sur l’économie et sur les expositions qui seront fructueuses, dit Kevin Gopaul : « Il n’y a pas de consensus sur ce à quoi [le paysage économique post-COVID] va ressembler. »

L’incertitude causée par la pandémie pourrait rendre les entreprises plus prudentes quant aux produits qu’elles lancent.

« Beaucoup de gens ont mis leurs plans en veilleuse pour le moment », ajoute Raj Lala, président et directeur général de Evolve Funds Group Inc. à Toronto.

Les marchés se sont envolés après le krach de mars au moment même où les économies se dirigeaient vers une récession, ce qui, selon Raj Lala, justifie une approche « attentiste ».

Mark Noble, vice-président exécutif de la stratégie FNB, chez Horizons ETFs Management (Canada) à Toronto, prévoit un ralentissement du développement des produits. Dans le secteur des FNB, la tendance haussière des marchés a été caractérisée par le lancement de produits visant à profiter, pour différentes catégories d’actif, du « prochain thème ou secteur à la mode », précise-t-il, qu’il s’agisse de la cryptomonnaie ou du cannabis.

« Cela a vraiment ralenti simplement à cause du niveau de risque inhérent au marché », ajoute Mark Noble.

Le ralentissement aurait peut-être eu lieu de toute façon, déclare-t-il — le marché canadien est en train de mûrir et la plupart des catégories de produits sont couvertes — mais la pandémie est une autre raison de prudence.

Néanmoins, jusqu’à présent, les lancements n’ont pas été interrompus. Les manufacturiers de FNB ont lancé 99 produits au cours des six premiers mois de 2020 et retiré 17 produits de la liste, selon les données de la Banque Nationale du Canada. Une hausse par rapport à l’année dernière, où l’on comptait 74 lancements et 14 retraits de la cote au cours de la même période.

Les manufacturiers pourraient toutefois repenser le type de produits qu’ils fabriquent, selon Mark Noble : « La plupart des produits à marge bénéficiaire plus élevée que les entreprises auraient lancés se seraient concentrés sur des aspects plus risqués du marché ou sur des aspects alternatifs du marché, explique-t-il. Cela a probablement amené les fournisseurs de produits à se demander quelle quantité de ces produits devraient-ils lancer maintenant et s’il y aura un appétit pour ces produits. Je pense que le développement des produits sera assez lent à cause de l’incertitude. »

Barry McInerney, président et directeur général de Placements Mackenzie, affirme que sa société n’a pas changé ses plans de développement de produits, mais qu’elle est prudente quant au calendrier des lancements. Personne ne veut lancer un produit dans la « dislocation extrême du marché » qui s’est produite en février et mars, explique-t-il.

Mackenzie n’a pas lancé de nouveaux produits au cours du premier semestre 2020, mais a déposé un prospectus préliminaire pour 13 FNB en juillet.

Dans le contexte de la pandémie, Kevin Gopaul divise les investisseurs en trois grands camps :

  • Le premier cherche à préserver le capital avec des produits de qualité, à faible volatilité et à revenu fixe.
  • Le deuxième cherche à obtenir des rendements importants en s’exposant de manière importante à certains segments des marchés qui peuvent rebondir, comme les actions de croissance, car ils croient que l’assouplissement quantitatif des banques centrales sera éternel.
  • La troisième groupe se dit : « Le monde a changé à jamais et comment m’y adapter ? ». Les investisseurs de ce groupe recherchent des valeurs refuges, comme l’or.

Au cours du premier semestre de 2020, les créations nettes sont allées principalement à des catégories d’actifs établies comme les actions au sens large, les obligations canadiennes de marché total et les liquidités. Selon la Banque Nationale, les fonds canadiens qui ont enregistré les plus fortes entrées de janvier à juin ont été les FNB d’actions de marché étendu d’Horizons et de BMO, le Horizons’ Canadian bond universe ETF (HBB) et le CI First Asset High Interest Savings ETF.

« Il n’y a pas beaucoup d’opportunités pour un fournisseur de produits d’attirer les investisseurs en dehors de ces sphères », déclare Mark Noble, ajoutant qu’il y a une course vers le bas en matière de frais dans les grandes catégories d’actions et d’obligations.

Les fonds indiciels pondérés en fonction de la capitalisation ont enregistré des créations nettes de 10,7 G$, soit près de la moitié de toutes les entrées nettes de janvier à juin — et bien plus que toute autre catégorie.

Or, les FNB sectoriels (2,2 G$ de créations nettes) et thématiques (1,3 G$) ont également enregistré de bons résultats au cours du premier semestre de cette année, dépassant les entrées pour les fonds de dividendes (580 M$) et les FNB factoriels (qui ont enregistré des sorties nettes).

Cet enthousiasme pourrait se poursuivre alors que les fournisseurs envisagent des stratégies pour capturer les gagnants dans l’environnement post-COVID.

Un nouveau départ pour les FNB de niche ?

La BMO n’a jamais beaucoup mis l’accent sur les produits thématiques, mais l’environnement incertain amène l’entreprise à envisager de nouvelles approches.

« Si vous regardez notre gamme de produits, nous ne sommes pas très présents dans ce domaine, note Kevin Gopaul. D’autres entreprises se sont taillées une place en proposant des produits de niche. C’est quelque chose qui nous intéresse maintenant, mais ce n’était pas le cas avant la pandémie. »

Cependant, Kevin Gopaul affirme qu’il éviterait les produits « à rendement rapide » qui pourraient se révéler être basés sur des modes. Il décrit plutôt la stratégie de la BMO comme reposant sur « des thématiques plus évolutives », construites autour de tendances séculaires.

Raj Lala — dont la société s’est taillé une place dans des produits de niche — affirme que le marché baissier de cette année a validé l’approche d’Evolve. Les FNB de la société dans les domaines de la cybersécurité, de la santé et des jeux électroniques ont été parmi les rares à sortir du carnage de mars, relativement indemnes. Au cours de la première semaine d’août, le FNB mondial Evolve sur les soins de santé a progressé de 4 % depuis le début de l’année, le fonds sur la cybersécurité a augmenté de 38 % et le FNB sur les jeux électroniques a gagné 47 % (toutes les versions couvertes par le CAD). « Lorsque nous avons montré cela à des conseillers, je pense que cela a commencé à susciter beaucoup d’intérêt », dit Raj Lala.

La société torontoise Emerge Canada Inc. a également fait état de solides performances pour les fonds de niche gérés activement qu’elle a lancés en juillet 2019. Ces FNB ont comme sous-conseiller ARK Investment Management LLC, basée à New York. Du début de l’année au mois d’août, le FNB d’Emerge sur la génomique et la biotechnologie a progressé de 67 %, le FNB sur les innovations perturbatrices a augmenté de 66 %, et le fonds sur l’intelligence artificielle et les données de masse (big data) a gagné 74 %.

Des produits conçus pour saisir les tendances découlant de la COVID-19 ont commencé à émerger au sud de la frontière. En juin, l’ETF Managers Group LLC, basé au New Jersey, a lancé un FNB biotechnologique (NYSE : GERM) qui offre une exposition aux entreprises qui testent des vaccins et des traitements pour les maladies infectieuses. Le même mois, Direxion Shares ETF Trust, basé à New York, a lancé un FNB de travail à domicile (NYSE : WFH) axé sur l’informatique dématérialisée, la cybersécurité, la gestion des documents et les communications à distance telles que la vidéoconférence.

Les fournisseurs canadiens de FNB ont dû s’adapter à la distribution à distance. Heureusement, cette adaptation leur a permis de faire passer leurs messages plus rapidement, note Kevin Gopaul : « Nous pouvons penser à lancer des produits thématiques et à les soutenir plus efficacement que par le passé, et discuter de la construction de portefeuilles autour de ces produits ».

Le travail à distance et la mise sur pause de l’économie ont bouleversé les modèles de distribution traditionnels. Il n’est plus question de frapper aux portes et de vendre des produits lors de séminaires à l’heure du dîner ou de parties de golf, explique Kevin Gopaul : « Nous devons désormais envisager les choses différemment, ce qui nous a également amenés à réfléchir à la conception de produits différents ».

Raj Lala dit qu’il essaie d’évaluer si la pandémie va changer de façon permanente le modèle de vente des démarcheurs (wholesalers) qui sont assis en face des conseillers et qui leur présentent des produits. En attendant, Evolve organise chaque semaine des webinaires avec des groupes d’une cinquantaine de conseillers.

L’un des défis de la vente de produits thématiques pendant le long marché haussier a été d’expliquer aux conseillers comment les expositions s’inscrivent dans les portefeuilles. Un monde en mutation a rendu les gens plus réceptifs à la sélection de thèmes qui pourraient être gagnants. « C’est l’un des principaux catalyseurs », affirme Kevin Gopaul.

Le champ de bataille de l’ESG

Les flux d’investissement dans les FNB axés sur les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ont totalisé 1,2 G$ au cours des six premiers mois de l’année, selon les données de la Banque Nationale. Ces gains représentent 75 % des actifs de la catégorie au début de l’année, et de nombreux experts estiment que cette tendance va se poursuivre.

« La lutte pour l’ESG va être le plus grand champ de bataille au cours des deux prochaines années, assure Mark Noble. Ces produits se sont très bien comportés du point de vue de la performance, le moment est donc venu pour l’ESG de croître. Beaucoup de grands gestionnaires d’actifs investissent des millions de dollars dans le développement et le marketing des produits. »

Les rapports de l’Institute of International Finance et de Morningstar Inc. ont montré que de nombreux indices ESG ont mieux résisté que d’autres lors du récent marché baissier.

« L’argent n’est pas encore arrivé, précise Mark Noble, mais quand il arrivera, il arrivera en masse. »

Les nouveaux produits ESG auront des critères d’inclusion plus rigoureux et seront dotés de filtres qui le sont tout autant, ajoute Mark Noble. « C’est là qu’il va y avoir un effort de fait: on va vraiment essayer de départager les produits d’investissement responsable de ceux que l’on pourrait désigner comme faisant de l’écoblanchiment. »