Emma Wall : Bonjour, et bienvenue à la série de Morningstar : « Pourquoi devrais-je investir avec vous? » Ici Emma Wall, et nous avons avec nous aujourd’hui Marcus Brookes, chef des produits à gestionnaires multiples à Schroder.
Marcus Brookes : Bonjour.
EW : Une nouvelle pas très bonne aujourd’hui : il y a beaucoup de gestionnaires d’actifs multiples comme vous-même qui disent qu’en fait le temps des vaches grasses est passé. Les grosses poussées de la bourse que nous avons vues dans toute une série de catégories d’actifs ces cinq dernières années sont de l’histoire ancienne et nous devrions nous orienter vers l’or et les liquidités, et pour ainsi dire nous recroqueviller dans notre coin. Quelle est votre position à ce sujet?
MB : J’ai peur de vous ennuyer, mais je dois dire que c’est aussi un peu mon avis. Je veux dire que rien qu’à regarder le S&P 500, le marché boursier américain a commencé à se redresser en mars 2009. Jusqu’à maintenant, il s’est vraiment très bien comporté, avec une hausse de plus de 300 %. Et c’est le deuxième marché haussier le plus long de l’histoire. Bien sûr, on peut toujours se dire : « et alors? Pourquoi ne pourrait-il pas être le premier? Pourquoi ne progresserait-il pas encore? »
Mais nous en sommes à un stade où les vents favorables qui ont poussé l’économie ont commencé à tomber. Cela ne veut pas dire que nous allons immédiatement tomber dans une récession, mais que toutes les très bonnes choses qui ont aidé les sociétés à faire des profits excessifs sont en train de s’évanouir et que par conséquent on a ce qui semble être un marché relativement cher qui a atteint son maximum de rentabilité et où tout le monde est pleinement investi. On voit mal comment on pourrait progresser encore.
EW : Il est assez difficile de procéder par une synchronisation du marché, non? Parce que je sais que plusieurs gestionnaires, des gestionnaires à long terme très prospères, ont fait leurs mises prématurément, vers 2010 ou 2011, et ont en fait raté une reprise. On comprend donc pourquoi les investisseurs peuvent être assez nerveux à cette perspective.
MB : Je pense qu’en fait, quand on regarde l’histoire, la période entre 2009 et 2011 a été probablement un cycle boursier à part entière, parce que le rebond à ce stade a été mené par des secteurs de valeur, comme on les décrirait de nos jours : l’industrie minière, l’énergie et jusqu’à un certain point, les victimes de la grande crise financière, notamment les services financiers et les banques. Et depuis 2011, c’est un profil complètement différent. Et alors, toutes les actions liées aux marchés émergents, les sociétés énergétiques et minières, elles tirent vraiment la langue depuis 2011.
Il y a deux mouvements du marché : le premier, c’est la relance; le deuxième, la maturation du cycle boursier, qui cette fois n’est pas menée par des phénomènes de valeur vraiment cycliques, mais par des trucs super-sûrs, et c’est vraiment bizarre. Ce n’est pas comme si on disait : « Oh, bien vous savez, l’économie est en plein boum, les consommateurs gagnent plus d’argent et ils dépensent plus d’argent, ils se lancent et achètent de nouvelles voitures. Ce ne sont pas ces types de compagnies qui bénéficient de ces tendances. Celles qui prospèrent sont dans les secteurs des produits pharmaceutiques, des services publics, du tabac, des actions défensives. Je pense que pour caractériser les sept dernières années, il y a eu deux stades. Le deuxième est en réalité un marché haussier de valeurs sûres parce que je ne pense pas que l’on se soit jamais sorti de la grande crise financière. Je ne pense pas que les énormes niveaux d’endettement qui y ont conduit aient jamais disparu, et c’est pourquoi cette sorte de relance légère nous a fait espérer à tous que c’était un retour à la croissance économique, et puis nous avons été déçus et nous nous sommes tous dit : « oh mon dieu, ça va être une autre grande crise financière ». Et au cours de cette phase, je pense que les investisseurs ont pensé : « Eh bien si je dois être investi dans quelque chose, autant que ce soit dans des trucs sûrs », et s’il y a beaucoup de personnes qui font la même chose, ce sont ces actifs-là qui vont vraiment prospérer.
EW : Mais le problème est que ces actions sont devenues extrêmement chères. Comment dans ce cas peut-on gérer à la fois cette position prudente et le besoin de diversification?
MB : Eh bien c’est là où ça devient vraiment difficile. Si on devait suggérer qu’on est à la fin du cycle, tard dans le cycle ou quelque part vers la fin d’un cycle économique et par conséquent la fin d’un cycle boursier, la sorte de portefeuille qu’on aurait traditionnellement commencerait par ces actions mornes, les services publiques, le tabac, les produits pharmaceutiques…
Mais comme vous le dites, c’est désormais une partie très chère du marché. On est donc dans une impasse parce que tous les trucs sûrs sont en fait assez chers. Les trucs historiquement risqués — les mines, l’énergie, les services financiers — sont ceux que l’on éviterait absolument, et à ce stade ils sont extrêmement bon marché. Dans une certaine mesure avec les arguments pour (mais je n’en mettrais pas ma main au feu), on pourrait avancer que si ces trucs-là sont si bon marché c’est que pas grand monde n’en veut, et même s’il y a de mauvais trucs qui se produisent, on pourrait s’en tirer mieux cette fois-ci. Ces actions ne nous gagneront pas nécessairement de l’argent, mais elles pourraient surclasser les trucs sûrs. Ce serait probablement un résultat très bizarre pour beaucoup d’investisseurs. Je ne pense pas qu’ils soient positionnés en conséquence du tout.