
Lorsqu’on évoque la transition énergétique, on pense souvent à la lutte contre les changements climatiques ou à la création d’emplois dans les secteurs verts. Pourtant, derrière ces objectifs bien connus se cache une dimension plus discrète, mais tout aussi cruciale : celle de la sécurité nationale.
Au Canada, cette transformation énergétique, amorcée par le développement de l’éolien et du solaire, s’étend désormais à des filières stratégiques comme les batteries et l’hydrogène vert. Ces technologies ne se contentent pas de décarboner l’économie : elles renforcent la résilience du pays face aux menaces géopolitiques, économiques, climatiques et technologiques. Dans ce contexte, la transition énergétique canadienne devient un véritable outil de souveraineté et de puissance.
Redéfinir la sécurité nationale à l’ère énergétique
Pendant longtemps, la sécurité nationale s’est définie par la capacité d’un État à défendre son territoire, protéger ses citoyens et prévenir les menaces militaires ou terroristes. Mais dans un monde de plus en plus interconnecté, cette définition s’est élargie. Elle englobe désormais des enjeux comme la sécurité énergétique, la résilience face aux catastrophes naturelles, la cybersécurité des infrastructures critiques, la souveraineté technologique et la stabilité économique en période de crise.
Dans ce contexte, la transition énergétique ne relève plus uniquement de l’environnement ou de l’économie. En réduisant la dépendance aux énergies fossiles importées et en renforçant les capacités locales de production, elle devient un pilier central de cette nouvelle conception de la sécurité nationale.
Le Canada a la chance de disposer d’un potentiel exceptionnel en matière d’énergies renouvelables. L’éolien, le solaire et l’hydroélectricité sont des ressources locales, abondantes et réparties sur l’ensemble du territoire. Leur développement ne répond pas seulement à des impératifs climatiques : il contribue directement à la sécurité du pays.
D’abord, en réduisant la dépendance aux importations de produits pétroliers raffinés — encore significatives en 2022, notamment dans les provinces de l’Est[1] — les renouvelables permettent de limiter les vulnérabilités liées aux marchés internationaux.
Ensuite, leur nature décentralisée offre une protection supplémentaire : contrairement aux grandes centrales fossiles, les installations solaires et éoliennes peuvent être disséminées, ce qui réduit les risques d’attaques ciblées ou de pannes généralisées.
Enfin, ces infrastructures sont souvent plus résilientes face aux événements climatiques extrêmes, comme les inondations ou les incendies, qui affectent de plus en plus les réseaux traditionnels.
En investissant dans ces filières, le Canada se dote d’un système énergétique plus robuste, capable de fonctionner même en période de crise.
Batteries : souveraineté technologique et résilience industrielle
Les batteries jouent un rôle central dans la transition énergétique et sont devenues un enjeu géostratégique majeur.
Aujourd’hui, la majorité des batteries sont fabriquées en Asie, notamment en Chine. Cette concentration expose les pays occidentaux à des risques de rupture d’approvisionnement ou de dépendance technologique. En développant une filière nationale, le Canada peut sécuriser l’accès à ces technologies critiques. Il dispose d’ailleurs de ressources naturelles stratégiques — lithium, nickel, cobalt — qui peuvent être exploitées de manière responsable pour alimenter cette industrie.
La création solide d’un écosystème industriel complet, allant de l’extraction des matières premières à l’assemblage des batteries permettra de consolider cette filière et peut contribuer à permettre au Canada de renforcer son autonomie stratégique et sa résilience industrielle face aux tensions commerciales mondiales.
Hydrogène vert : une solution énergétique et géopolitique
L’hydrogène vert, produit par électrolyse à partir d’électricité renouvelable, représente une solution porteuse pour décarboner les secteurs difficiles à électrifier, comme l’industrie lourde ou le transport maritime. Mais son intérêt dépasse largement la seule réduction des émissions.
D’un point de vue énergétique, l’hydrogène permet de stocker l’électricité sur de longues périodes, ce qui renforce la stabilité du réseau. Sur le plan stratégique, il ouvre la voie à une mobilité indépendante des carburants fossiles, notamment pour les véhicules militaires ou de secours, qui doivent pouvoir fonctionner en toutes circonstances.
Enfin, sur le plan géopolitique, le Canada pourrait devenir un exportateur d’hydrogène vert vers l’Europe ou l’Asie, renforçant ainsi son influence internationale[2].
Des projets comme celui d’Air Products à Edmonton ou le corridor de l’hydrogène entre l’Alberta et la Colombie-Britannique[3] montrent que cette vision est déjà en train de se concrétiser.
Réduction des vulnérabilités géopolitiques
La dépendance aux énergies fossiles expose les pays à des risques majeurs. Les fluctuations du marché pétrolier peuvent fragiliser l’économie, les conflits dans des régions productrices comme le Moyen-Orient ou la Russie peuvent perturber les approvisionnements, et certains États fournisseurs n’hésitent pas à utiliser l’énergie comme levier diplomatique.
En misant sur des ressources locales et renouvelables, le Canada s’affranchit progressivement de ces vulnérabilités. Il renforce ainsi sa souveraineté énergétique et sa capacité à résister aux chocs extérieurs, qu’ils soient économiques ou géopolitiques.
Impacts sur les forces armées et la sécurité civile
La transition énergétique a également des répercussions directes sur les forces armées canadiennes et les services de sécurité civile. En réduisant la dépendance aux carburants fossiles, elle simplifie la logistique militaire, notamment lors des opérations en terrain difficile. L’intégration de véhicules électriques ou propulsés à l’hydrogène permet une plus grande autonomie et une meilleure adaptabilité.
De plus, certaines bases militaires commencent à être alimentées par des microgrids solaires ou éoliens, ce qui leur permet de fonctionner indépendamment du réseau national. Enfin, en cas de catastrophe naturelle, les batteries portables et les générateurs à hydrogène offrent des solutions rapides et durables pour alimenter les zones sinistrées.[4]
Ces innovations renforcent la capacité du Canada à répondre efficacement aux crises, qu’elles soient naturelles, technologiques ou géopolitiques.
Leadership international et coopération stratégique
En investissant dans les technologies propres, le Canada ne se contente pas de moderniser son économie : il affirme son rôle sur la scène internationale. Des partenariats stratégiques avec l’Union européenne, le Japon ou la Corée du Sud sur l’hydrogène et les batteries témoignent de cette ambition.
Le pays peut également exporter son savoir-faire, ses normes et ses standards, contribuant ainsi à façonner les règles du jeu dans les négociations internationales sur le climat et la sécurité. Être à la pointe de la transition énergétique confère au Canada une légitimité et une influence accrues dans les instances mondiales.
Conclusion
La transition énergétique du Canada ne se résume pas à une réponse aux défis climatiques ou économiques. Elle constitue une stratégie globale de sécurité nationale. En misant sur l’éolien, le solaire, les batteries et l’hydrogène vert, le pays renforce sa résilience face aux crises, réduit ses vulnérabilités géopolitiques et affirme son leadership technologique. Dans un monde incertain, l’énergie propre devient un outil de stabilité, de souveraineté et de puissance.
Aujourd’hui, la sécurité nationale ne se joue plus uniquement sur les champs de bataille. Elle se construit aussi dans les laboratoires, les mines de lithium, les parcs éoliens et les corridors d’hydrogène. Le Canada démontre qu’il a compris.
[1] La valeur totale des importations de produits pétroliers raffinés s’est chiffrée à 26,1 milliards de dollars en 2022, une hausse de 55 % par rapport aux 16,8 milliards de dollars en 2021. https://www.cer-rec.gc.ca/fr/donnees-analyse/marches-energetiques/apercu-marches/2023/apercu-marche-augmentation-5-pourcent-importations-products-petroliers-raffines-2022.html
[2] Accord Canada-Allemagne : Le Canada a clairement exposé son intérêt de collaborer avec l’Allemagne pour exporter de l’hydrogène vert, avec un engagement de 600 millions de dollars pour soutenir les infrastructures nécessaires. https://www.lapresse.ca/actualites/national/2025-03-20/accord-sur-l-hydrogene-avec-l-allemagne/les-verdicts-d-ottawa-et-bruxelles-attendus.php
[3] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2080280/hydrogene-transition-energetique-smith-eby-accord-principe
[4] https://www.canada.ca/fr/ministere-defense-nationale/organisation/rapports-publications/seed/2-energie.html