Trois lingots d'or posés sur un graphique ascendant.
MicroStockHub / iStock

On perçoit habituellement l’or de façon quelque peu mythique en tant que réserve de valeur. Un modèle récemment développé le ramène à un niveau plus prosaïque, établissant l’or simplement comme un actif d’investissement ayant sa propre logique de marché.

Plusieurs modèles ont été mis au point pour déterminer les prix de divers actifs, mais peu de modèles existent spécifiquement applicables au prix de l’or. Urban Jermann, professeur de finance à la Wharton School de l’Université de Pennsylvanie, a mis au point un modèle qui explique bien l’évolution de l’or depuis 2007. Pour y parvenir, il applique au marché de l’or certaines notions qui ne lui sont pas normalement associées.

Évaluer un actif sans rendement

Pour les investisseurs, l’or est un actif sans rendement. La question se pose donc de savoir comment ils doivent l’évaluer. L’or étant utilisé comme un actif d’investissement, on pense qu’il vaut plus que sa valeur fondamentale en tant que bijou ou en tant que facteur de production, tout particulièrement dans la production de microprocesseurs. Mais jusqu’à quel point ?

L’or est une réserve de valeur intéressante en période de taux d’intérêt réels faibles ou négatifs. Dans ces périodes, les investisseurs à la recherche de réserves de valeur ont tendance à se tourner vers l’or et en font monter le prix. Lorsque les taux d’intérêt augmentent, ce prix diminue.

Mais ce n’est pas tout. Même lorsque les investisseurs ne détiennent pas d’or, la perspective qu’ils puissent entrer dans le marché fait grimper la valeur de l’or pour ceux qui l’utilisent en joaillerie ou en micro-électronique. De plus, lorsque les investisseurs détiennent de l’or, ils prennent en compte le fait que sa valeur pour ceux qui y recourent pour sa beauté ou son utilité industrielle instaure un prix plancher auquel ils peuvent vendre leur or.

En d’autres termes, l’or peut être considéré comme un substitut aux obligations réelles et, comme ces dernières, sa valeur évolue avec les taux d’intérêt réels. Cependant, l’or a également une valeur d’option. En raison de la durée potentiellement longue de l’or, cette valeur d’option pourrait être très élevée.

Plus précisément, l’or est un actif dont la valeur évolue négativement en fonction des taux d’intérêt réels, tout comme une obligation. Mais en plus, du point de vue des investisseurs, l’or possède une option de vente intégrée, car ils peuvent vendre aux utilisateurs industriels à un prix plancher. Ce prix plancher dépend de l’état de l’économie, mais il est plus élevé que la propre évaluation de l’investisseur. Ce prix plancher, ou prix d’exercice, tient également compte de la probabilité que les investisseurs voudront à nouveau acheter de l’or à l’avenir.

Un modèle fertile, mais limité

Dans un article de juin 2023 publié par le National Bureau of Economic Research, Urban Jermann formalise ses propositions dans un modèle mathématique. Il y tient compte de la principale caractéristique qui distingue l’or d’un actif négociable, tel qu’une action ou une obligation : son absence de rendement ou de flux de revenu au-delà du rendement dû à la variation du prix.

Pour établir son modèle, Jermann a recours à deux équations d’évaluation populaires : la valeur actualisée des flux de trésorerie et les bulles rationnelles. Chacune, prise séparément, présente de sérieuses lacunes pour l’évaluation d’un actif tel que l’or. Combinées, elles constituent un outil d’évaluation qui possède des propriétés similaires à celles des modèles d’évaluation des produits obligataires dérivés.

Aucun modèle n’est parfait. Celui d’Urban Jermann reproduit fidèlement à rebours l’évolution du prix de l’or de 2007 à 2020. Par contre, le modèle faiblit quand il s’agit d’étendre la période, par exemple de 1975 à 2020. Le chercheur constate que la relation négative entre les prix de l’or et les taux d’intérêt réels s’applique quand les taux sont bas; quand ils sont élevés, la relation faiblit. Par ailleurs, son modèle s’avère fertile pour rendre compte du prix des contrats à terme sur l’or du Chicago Mercantile Exchange de 1990 à 2020.

Bien que le modèle d’Urban Jermann ne reproduise pas intégralement la réalité, il a l’avantage d’introduire des notions nouvelles pour éclairer ce que certains analystes rejettent du revers de la main à titre de « relique barbare ».