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Ces dernières années, les maisons de courtage indépendantes ont réussi à recruter des talents appartenant aux banques, mais ces dernières ne semblent pas craindre la concurrence.

Des maisons de courtage indépendantes, comme Harbourfront Wealth Management de Vancouver et Wellington-Altus Private Wealth de Winnipeg, ont attiré les conseillers des banques en leur promettant une plus grande autonomie et une participation dans l’entreprise.

« Les conseillers ne veulent pas passer d’une banque à l’autre – on voit très peu de cela aujourd’hui, affirme Danny Popescu, président et chef de la direction de Harbourfront. Ils veulent quelque chose de différent, donc ils sont souvent intrigués par ce que les indépendants pourraient offrir. »

Harbourfront possède 22 succursales à travers le Canada et prévoit de poursuivre sa croissance. En juin, la maison de courtage a accueilli le Peter Szeto Investment Group – qui faisait auparavant partie de BMO Nesbitt Burns dans ses rangs, ajoutant un portefeuille de 370 millions de dollars (M$) à la base d’actifs de Harbourfront.

Harbourfront a maintenant environ 4 milliards de dollars (G$) d’actifs sous administration (AUA) et 2 G$ d’actifs sous gestion par le biais de pools gérés par des tiers qu’elle offre à ses clients. Mais Danny Popescu assure qu’il se concentrait davantage sur la rentabilité que sur la croissance des actifs sous administration.

« Vous pouvez avoir d’énormes actifs, mais si votre marge bénéficiaire est très mince, cela va vraiment à l’encontre du but recherché », explique-t-il.

L’un des avantages de rejoindre une société indépendante – même si cela comporte des risques – est d’avoir son mot à dire dans le jeu.

« Nous aimons que les conseillers soient actionnaires avec nous car nous trouvons que c’est l’élixir magique, rapporte Shaun Hauser, président et cofondateur de Wellington-Altus. Il n’y a qu’une seule corde, et tout le monde tire dans la même direction. »

Depuis le lancement de Wellington-Altus en 2017, l’entreprise compte désormais 33 bureaux et plus de 15 G$ d’ASA. Shaun Hauser a déclaré que la plupart des conseillers de l’entreprise sont issus des banques, qui ont plusieurs lignes d’activité en plus de la gestion de patrimoine – et des priorités potentiellement concurrentes.

« Cette dislocation n’existe pas ici », souligne Shaun Hauser.

Bien que les indépendants se soient empressés de faire connaître les grands noms qu’ils ont recrutés des banques, ces dernières ne semblent pas effrayées. Les actifs des banques sont toujours en croissance, et toutes les banques n’ont pas perdu des conseillers au profit des indépendants.

« Pratiquement aucun conseiller ne nous a quitté », déclare Mike Scott, premier vice-président et directeur général de RBC Wealth Management.

En fait, RBC a recruté des conseillers auprès d’indépendants – la banque ne fait simplement pas connaître ces succès, dit Mike Scott. Lorsqu’une petite maison de courtage recrute une équipe avec des centaines de millions de dollars d’actifs sous gestion, c’est une affaire importante. Pour une banque, c’est une goutte d’eau dans l’océan.

« De toute évidence, les indépendants doivent le faire savoir parce que c’est le seul moyen pour eux de montrer qu’il y a un potentiel de croissance dans leur activité et c’est ainsi qu’ils essaient d’attirer [de nouveaux conseillers], commente Mike Scott. Nous n’avons aucun intérêt à rendre cela public. »

RBC n’a pas révélé combien d’équipes de conseillers ou combien d’ASA elle a ajouté par le biais du recrutement. Mais Mike Scott assure que la couverture médiatique des conseillers de la banque qui passent aux indépendants a été exagérée. « Il n’y a pas du tout d’épidémie ici en ce qui concerne les conseillers des sociétés appartenant aux banques qui veulent aller vers les indépendants », précise-t-il.

Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles un conseiller peut préférer travailler pour une banque, selon lui. Les banques offrent une stabilité relative et une reconnaissance du nom et également un accès facile aux ressources dont les clients peuvent avoir besoin, qu’il s’agisse de produits bancaires ou de services de planification successorale et fiscale.

Dans une déclaration, Ed Dodig, vice-président directeur et chef de Gestion privée de patrimoine CIBC et de Wood Gundy, a fait valoir que les recommandations sont l’un des avantages dont bénéficient les conseillers bancaires. « Nous avons une approche collaborative dans laquelle nos conseillers travaillent en étroite collaboration avec leurs collègues de toute la banque sur les recommandations et les opportunités de croissance. »

Selon les données de l’Association canadienne du commerce des valeurs mobilières, les grands courtiers intégrés géraient 2,79 billions de dollars d’actifs de clients au 31 mai, soit 80 % du total des ASA, en baisse par rapport à une part de 85 % en 2015. La part des courtiers de détail non intégrés est passée de 15 % à 20 % au cours de cette période, et le total des ASA a plus que doublé, passant de 325 G$ en 2015 à 705 G$ en 2021.

Alors, pourquoi un conseiller choisirait-il de passer d’une banque à un indépendant, ou vice versa ?

La réponse pourrait se résumer à la culture de l’entreprise, répond George Hartman, PDG de Market Logics. Certains conseillers de banque peuvent s’épanouir dans l’atmosphère plus entrepreneuriale d’un indépendant, suggère-t-il.

« Je pense que les indépendants attirent des personnes différentes de celles des banques, prétend George Hartman. Mais les banques ont été meilleures – jusqu’à présent, du moins – que les indépendants pour recruter des gens. En conséquence, [les banques] ont probablement recruté des gens qui, si c’était à refaire, seraient probablement allés dans un cabinet indépendant. »

George Hartman souligne qu’il y a des conseillers indépendants qui choisissent de passer dans les banques. Mais les banques qui s’inquiètent de perdre des conseillers au profit des indépendants peuvent faire un certain nombre de choses pour retenir les conseillers, d’après lui, comme leur fournir un soutien au développement des affaires et faciliter l’embarquement (onboarding) et le service aux clients.

« Si j’étais un conseiller, je voudrais que quelqu’un m’aide à gérer mon entreprise, parce que c’est devenu écrasant pour de nombreux conseillers », affirme George Hartman.

Simon Lemay, premier vice-président et directeur national de Gestion de patrimoine Financière Banque Nationale, assure que la fidélisation est « une priorité absolue » pour son entreprise, qui s’efforce d’avoir un esprit plus entrepreneurial que celui des cinq grandes banques.

« Nous essayons d’offrir quelque chose d’un peu différent des autres maisons de courtage appartenant à des banques, souligne Simon Lemay. Nous essayons de nous positionner non pas comme la banque typique de Bay Street, mais comme une banque basée à Montréal avec une culture montréalaise. Il y a les Big Five, et puis il y a nous. »

Simon Lemay se dit heureux de voir que les maisons de courtage appartenant à des conseillers soient en plein essor – et la Banque Nationale, par le biais d’une filiale, en a profité. Harbourfront et Wellington-Altus utilisent toutes deux le système de back-office de National Bank Independent Network.

« Je pense qu’il est sain d’avoir des indépendants forts dans le paysage de la gestion de patrimoine au Canada, précise Simon Lemay. Si les banques ont une part de marché trop importante, ce n’est pas sain – il faut des indépendants forts. »

En 2011, la Financière Banque Nationale a acquis Wellington West Holdings – qui, comme Wellington-Altus, a été fondée par Charlie Spiring.

Les divisions de courtage de la Banque Toronto-Dominion, de la Banque de Montréal et de la Banque de Nouvelle-Écosse n’ont pas accepté d’être interrogées pour cet article. Bien que les banques puissent continuer à perdre et à gagner des équipes au profit des indépendants, Shaun Hauser dit qu’il doute que les banques perdent le sommeil devant le succès de recrutement des courtiers indépendants.

« Je pense que nous ne sommes qu’une piqûre de moustique sur leur épaule, dit Shaun Hauser. Nous sommes peut-être un irritant, mais je ne pense pas que nous fassions vraiment bouger l’aiguille dans leur quotidien. »

Mais si les courtiers indépendants continuent à se développer, les banques pourraient les considérer comme des cibles d’acquisition. Au cours de la dernière décennie, de petites entreprises ont fusionné avec d’autres indépendants ou ont été rachetées, bien que les développements technologiques et les efforts pour réduire les coûts de conformité puissent niveler le terrain de jeu.

Danny Popescu et Shaun Hauser ont tous deux déclaré ne pas être intéressés par une vente à une banque. Mais l’économie pourrait finir par l’emporter, selon George Hartman. « C’est comme dans n’importe quelle institution : si le prix est suffisamment élevé, les personnes au sommet ont l’obligation de dire oui », conclut-il.