
Alors qu’Ottawa salue la décision d’un tribunal fédéral américain qui vise à bloquer les droits de douane imposés par le président Donald Trump au Canada, des experts préviennent que les entreprises d’ici ne sont pas encore sorties du bois, d’autant plus qu’une cour d’appel a suspendu cette décision le 29 mai.
La décision rendue le 28 mai par le tribunal de première instance mettrait fin aux droits de douane radicaux imposés par le président Trump à environ 90 pays en avril, à l’occasion du « Jour de la Libération », ainsi qu’aux droits de douane à l’échelle de l’économie canadienne touchant le Canada et le Mexique le mois précédent, lorsque le président avait déclaré l’état d’urgence à la frontière nord en raison du trafic de fentanyl.
La décision initiale stipulait que Donald Trump n’avait pas le pouvoir d’imposer des droits de douane à presque tous les pays en vertu de la Loi de 1977 sur les pouvoirs d’urgence économique internationale — une loi de sécurité nationale qui confère au président le pouvoir de contrôler les transactions économiques après avoir déclaré l’état d’urgence.
Le Tribunal du commerce international des États-Unis avait donné au gouvernement américain jusqu’à dix jours pour se conformer à l’ordonnance et lever les droits de douane.
L’administration Trump a déposé un avis d’appel peu après la décision du panel de trois juges qui stipulait que « toute interprétation de [la loi] qui délègue un pouvoir tarifaire illimité est inconstitutionnelle ».
La Cour d’appel du circuit fédéral a temporairement suspendu cette décision, maintenant les prélèvements en vigueur pour le moment, le temps que l’administration Trump conteste l’ordonnance.
L’avocat torontois Sean Stephenson, du cabinet Dentons, dont la pratique se concentre sur le commerce international et les sanctions, a dit qu’il s’agissait d’une « décision bien avisée » et d’un « revers » pour l’administration Trump.
« Un allègement pourrait éventuellement arriver, et nous parlons ici de mois et non d’années », a indiqué Me Stephenson.
« Pour l’instant, nous avons une décision favorable au régime commercial. Nous conseillons aux importateurs concernés de commencer à rassembler leurs documents de transactions. […] Si les demandes d’appel réussissent une fois toutes les voies épuisées, vous pourriez déposer une demande de remboursement. »
Il a cependant prévenu que « rien ne change du jour au lendemain » avec cette décision, surtout compte tenu de la procédure d’appel en cours.
Les plaignants ont jusqu’au 5 juin pour répondre à l’appel interjeté par l’administration Trump contre la décision.
L’avocat a ajouté qu’il était très probable que l’affaire soit portée devant la Cour suprême des États-Unis.
« J’aurais plutôt tendance à croire que nous ne sommes pas sortis du bois et que le gouvernement va simplement reculer », a déclaré Me Stephenson.
Le président Trump a suspendu partiellement les droits de douane quelques jours plus tard, en mars, pour les importations comprises dans l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM).
Manque de prévisibilité économique
Des groupes d’affaires canadiens affirment également que la décision n’apporte aucune certitude à court terme. La Chambre de commerce du Canada estime qu’« en fin de compte, la fin de cette guerre commerciale avec les États-Unis ne se fera pas par les tribunaux », mais plutôt par un nouvel accord négocié « qui soit considéré comme fiable et respecté par toutes les parties concernées ».
Le groupe a souligné que la décision n’affecte pas tous les droits de douane appliqués aux marchandises importées aux États-Unis en provenance du Canada, notamment l’acier, l’aluminium et les automobiles. Le président Trump a utilisé différents pouvoirs en vertu du Trade Expansion Act de 1962 pour promulguer ces droits.
« Nous laisserons cette décision suivre son cours devant les tribunaux américains », a déclaré Candace Laing, présidente et chef de la direction de la Chambre, dans un communiqué.
« Actuellement, des droits de douane sectoriels et d’autres barrières commerciales demeurent sur la table. Les entreprises canadiennes et internationales attendent un répit réel et complet face aux perturbations commerciales et recherchent une sécurité, une stabilité et une résilience durables. »
Goldy Hyder, président-directeur général du Conseil canadien des affaires, a déclaré que l’accent devrait être mis sur le renouvellement et la prolongation de l’ACEUM « afin d’assurer la stabilité et la solidité des trois économies ».
« Les entreprises nord-américaines recherchent la certitude et la prévisibilité, mais elles n’ont actuellement ni l’une ni l’autre », a-t-il affirmé dans un communiqué.
« Le défi fondamental auquel sont confrontés les chefs d’entreprise aujourd’hui est de modifier leurs objectifs commerciaux, ce qui continuera d’être un défi pendant que ce processus se déroule devant les tribunaux. »
Par ailleurs, le chef de la direction de la Banque Royale du Canada (RBC), Dave McKay, a souligné aux analystes, lors d’une conférence téléphonique sur les résultats trimestriels jeudi, que la décision du tribunal ouvre la voie à une renégociation de l’ACEUM dans les mois à venir.
« Bien que ces droits de douane réciproques à court terme semblent illégaux, cela ne signifie pas que nous avons un accord général étendu avec les États-Unis sur l’avenir des échanges », a-t-il prévenu.
« Je ne pense toujours pas que [cette] décision ait enlevé le niveau d’incertitude général, mais elle est utile. »
Même si la décision est finalement confirmée, Me Stephenson affirme que le président Trump pourrait potentiellement tenter d’utiliser plusieurs autres leviers à sa disposition pour réimposer des droits de douane contre le Canada et d’autres pays qui ont été jugés inconstitutionnels en vertu de la justification de l’état d’urgence.
« L’administration Trump dispose de divers autres leviers juridiques pour remettre ces droits de douane sur la table », a-t-il expliqué.
« Ce que nous avons constaté avec l’administration Trump, c’est qu’elle se préoccupe moins des particularités de la loi et du processus que du résultat. Elle fixe d’abord le résultat, puis procède à rebours en se demandant : “Comment allons-nous faire ?” »