Pourquoi notre marché est-il performant alors que notre économie ne l’est pas? C’est parce que la croissance du PIB n’a pas grand-chose à voir avec les gains du marché boursier, du moins à court terme. En effet, si l’on examine le marché canadien et notre économie sur une période de deux ans, la corrélation entre les deux avoisine zéro, dit Brendan LaCerda, un économiste de Moody’s Analytics. « Dernièrement, nous avons connu une dégradation de la relation entre le PIB et les marchés boursiers », dit-il.
De nombreux partisans de la gestion de portefeuille descendante aiment parler du PIB et du marché comme si l’un avait une incidence directe sur l’autre. C’est ce qu’on pourrait entendre chez les gestionnaires d’actions des marchés émergents, qui disent souvent que l’expansion économique est la raison principale d’investir dans les marchés en développement. Pourtant, l’un des marchés boursiers les plus performants cette année est le Brésil, qui se trouve en récession. L’Indice MSCI Brésil est en hausse de 49 % du 1er janvier au 31 octobre, alors que son économie devrait se contracter de 3,3 % en 2016, d’après le Fonds monétaire international (FMI).
Il est évident que la relation entre ces deux données est plus complexe. « Une croissance plus rapide peut avoir un impact sur les marchés, mais ce n’est pas garanti », dit Drummond Brodeur, stratège mondial à Signature Gestion mondiale d’actifs. « Ce n’est pas juste le PIB qui déclenche une croissance des marchés ».
Corrélation à long terme
Sur des périodes plus longues, il y a une relation positive entre la croissance du PIB et les marchés boursiers. M. LaCerda observe qu’entre 1985 et 2016, la corrélation est de 0,40 entre le taux de fluctuation trimestriel du PIB et le taux de fluctuation de l’Indice composé S&P/TSX. Bob Johnson, directeur de l’analyse économique à Morningstar, a également observé que le PIB et les marchés boursiers étaient corrélés dans le temps. Toutefois, dit-il, la croissance économique n’est pas un indicateur clé de la croissance du marché boursier, c’est le contraire. « Le marché boursier prédit rudement bien la croissance du PIB », dit M. Johnson.
Depuis 2010, l’Indice de rendement global S&P 500 a connu quatre sommets et quatre creux. Dans chacun de ces cas, le marché a changé de direction entre deux et cinq trimestres avant que les chiffres du PIB n’en fassent de même, dit M. Johnson. La croissance ne précède jamais les marchés, car les données économiques sont rétrospectives — les Canadiens ont reçu en novembre les chiffres du PIB d’août — et tout le monde reçoit les mêmes chiffres en même temps. Il est trop tard pour agir quand ils sont publiés.
Cela dit, on pourrait dire que les particuliers, et de nombreux investisseurs professionnels, passent trop de temps à parler des chiffres de croissance. « Comme l’avait dit une fois Peter Lynch de Fidelity, si vous passez 13 minutes par an sur les données économiques, vous avez perdu 10 minutes de votre temps », dit M. Johnson.
Prédire la croissance des bénéfices
Toutefois, on ne peut pas ignorer le PIB. Alors que les investisseurs ne devraient pas acheter ou vendre en réponse aux résultats du PIB, une économie en expansion génère souvent des bénéfices plus élevés pour les sociétés, ce qui est essentiel à la croissance du marché boursier. M. Johnson observe que lorsque les profits des sociétés augmentent, les marchés sont deux fois plus performants que quand les profits baissent. De plus, les profits augmentent habituellement lorsque le PIB est en expansion. Si vous pensez qu’un pays connaîtra une croissance solide de son PIB sur plusieurs années, vous pouvez aussi vous attendre à des bénéfices pour les sociétés, et donc à une croissance des marchés.
Les chiffres de croissance peuvent être fort à propos lorsqu’on essaie de déterminer l’influence d’autres facteurs économiques, comme les taux d’intérêt, qui ont un impact plus grand sur les marchés. Lorsque l’économie accélère, la demande de crédit a tendance à augmenter et les taux d’épargne à diminuer, les gens empruntant davantage pour acheter des biens, dit M. Brodeur. Plus de crédit, et donc plus d’argent dans l’économie, peut faire augmenter les taux, dit-il. Dans une conjoncture plus lente, les gens ont tendance à utiliser moins de crédit et à placer leur argent, dans les actions par exemple, ce qui pousse alors le marché vers la hausse. « Il faut se pencher sur ces relations », dit-il.
Il existe un scénario selon lequel les marchés et les chiffres du PIB sont plus étroitement liés. Un marché boursier qui chute brutalement, comme en 2008, peut entraîner une économie dans sa chute. « Une contraction importante de la valeur des actifs peut déclencher une contraction bien plus importante de l’activité économique », dit Paul Harris, président et gestionnaire de portefeuille à Avenue Investment Management.
D’abord les données fondamentales, ensuite les données économiques
Quant aux placements, MM. Brodeur et Harris disent qu’une approche ascendante est plus efficace qu’une approche descendante. M. Harris examine les données comme les bilans des sociétés, le potentiel de croissance des bénéfices, organique ou liée à des acquisitions, les flux de trésorerie, les distributions de dividendes et d’autres données. M, Brodeur examine lui aussi toutes ces données, mais pour lui, une décision de placement provient au tiers de facteurs macroéconomiques, et aux deux tiers des données fondamentales des sociétés.
M. Brodeur s’intéresse moins aux chiffres actuels du PIB, mais il veut avoir une idée de la direction future de la croissance et des taux d’intérêt, et de l’état du marché du crédit. « Si les marchés du crédit sont solides et soutenus par une politique monétaire et que la croissance économique est robuste, il y aura une croissance plus forte des bénéfices, dit-il. Il y a une interdépendence étroite de ces facteurs. »
M. Harris s’intéresse moins aux chiffres du PIB eux-mêmes, mais dit que la décomposition des chiffres peut être révélatrice. Aux États-Unis, les dépenses à la consommation représentent le plus clair de la croissance du PIB, alors que d’autres secteurs ne sont pas comportés aussi bien. C’est intéressant, car si le consommateur dépense de l’argent, on pourrait décider d’investir, par exemple, dans les actions de la consommation discrétionnaire. Si vous investissez en fonction des données du PIB dans leur ensemble, et dans un secteur qui n’est pas en expansion, vous pourriez ne pas jouir de la croissance des bénéfices attendue.
Même si nous aimons parler du PIB, les investisseurs ne devraient pas trop se fonder sur ces chiffres pour prendre leurs décisions de placement. Une vision de l’avenir peut être utile, mais les marchés fluctueront peu importe les données économiques du moment. « Il est inutile de fonder ses décisions de placement sur les chiffres du PIB, c’est le marché boursier qui nous dira où se dirige l’économie », dit M. Johnson.