La crise financière de 2008 a bouleversé la gestion du risque. On est passé d’une approche qui reposait sur la gestion du risque actif de chacun des titres à une conception plus large qui repose sur la mise sur pied d’une vision stratégique du budget de risque.

« Lorsqu’on parle de gestion du risque, il faut regarder avant tout la stratégie de l’organisation. Quel modèle a-t-elle choisi? », observait Claude Bergeron lors du Forum exécutif Morningstar tenu à Montréal le 3 juin dernier. « Chez nous, on a un axe stratégique en trois volets », a poursuivi le premier vice-président et chef de la direction des risques à la Caisse de dépôt et placement du Québec.

Ces trois volets étant : la priorité accordée au rendement absolu par opposition au suivi d’un indice; les placements moins liquides comme les infrastructures, l’immobilier ou les placements privés; et finalement, les pays émergents. Le vice-président de la Caisse met toutefois en garde : « Pour que cela fonctionne, il faut une connaissance approfondie des dossiers ou des titres. Aujourd’hui à la Caisse, on ne détient pas un investissement simplement parce qu’il appartient à un indice, sauf dans les parties indicielle ou obligataire de nos portefeuilles. »

Cette stratégie exige la présence d’experts-métier pour chacun des portefeuilles dont le rôle est d’évaluer les risques. Pour y arriver, ces experts sont appuyés d’une équipe quantitative qui développe des outils liés aux facteurs de risque qui n’évaluent plus seulement des risques spécifiques à chaque titre, mais également les risques de liquidité et le risque global sur l’ensemble du portefeuille. « À leurs côtés, il y a bien sûr une équipe que j’appelle qualitative qui, elle, va s’occuper du risque spécifique », a précisé M. Bergeron.

Cette approche ne convient cependant pas à tous. « Nous avons une multitude de clients avec des objectifs différents. Nous croyons qu’il y a plusieurs façons de gérer le risque », a rétorque François Bourdon, chef des solutions de placement à Fiera Capital. « Par exemple, on peut avoir une approche de gestion du marché monétaire et de la trésorerie pour certains clients où le budget de risque repose simplement dans la gestion du risque de crédit. Nous avons d’autres mandats pour lesquels nous adoptons une approche guidée par le passif. Dans ces cas, la marge d’erreur est calculée à la décimale près. Dans d’autres dossiers, toutefois, nous avons nous aussi de l’immobilier ou de la dette privée où la notion de risque est totalement différente et se mesure autrement. Nous sommes donc multiapproches contrairement à la Caisse qui peut avoir une approche concentrée. »

M. Bourdon a toutefois rejoint M. Bergeron sur un point. « Le message le plus important que je peux vous livrer aujourd’hui, c’est que l’aspect stratégique est primordial. Il faut focaliser sur l’image d’ensemble plutôt que sur l’erreur de déviation (tracking error) de 0,22 ou 0,23. C’est la perspective générale qui importe », dit-il.

M. Bourdon a pris le temps de dénoncer la tendance qui veut que l’on accorde depuis la crise de 2008 une trop grande importance à la conformité. « On ne peut plus réagir en deux ou trois semaines comme l’exigeraient actuellement, à titre d’exemple, les mandats en gestion de devises. Ça prend maintenant de cinq à six mois », dit-il. D’où l’importance accrue qu’il accorde à la nécessité d’avoir une perspective globale plus large.

Le troisième intervenant au panel de discussion considère lui aussi qu’une bonne stratégie est le Graal d’un bon budget de risque. « Le premier point en gestion de risque c’est la stratégie d’allocation, car elle explique en bonne partie la performance et le risque associé », a souligné Michel Brutti, gestionnaire de portefeuille chez Jarislowsky Fraser. Les autres points étant, selon lui : la décision de surpondération ou sous-pondération par rapport à la stratégie, le choix du gérant, et la construction du portefeuille et l’analyse de chacun des titres.

Michel Brutti a rappelé que si les gestionnaires avaient pris la peine de regarder de plus près la composition des PCAA (papiers commerciaux adossés à des actifs) en 2008 ou des actifs de Long Term Capital Management en 1998, on aurait évité ces deux épisodes malheureux de l’histoire financière récente. Point d’ailleurs repris par M. Bergeron. « On nous a reproché de ne pas avoir fait une analyse en profondeur et d’avoir acheté des titres sous la simple recommandation des agences de notation », rappelle-t-il avant d’ajouter que l’analyse en profondeur s’est généralisée depuis mais à des degrés divers.

« Cela nous a amenés à effectuer de nombreux changements. On s’implique davantage avec les investisseurs et on fait beaucoup de simulation de crise ou de tests de tension (stress testing). On regarde aussi la répartition de l’actif afin de déterminer si l’on ne fait pas de superposition », a observé M. Bergeron avant d’ajouter : « Avec la migration vers les placements peu liquides, on se compare dorénavant aux indices aux quatre ans plutôt qu’annuellement et l’on songe à allonger peut-être encore plus cette période. On a, pour chacun des métiers, un indice cible en absolu et en relatif et on vise à les battre tous les deux. Après cela, on effectue une agrégation de toutes les performances des portefeuilles de l’ensemble de nos déposants et des indices retenus par eux. »

Et si on mesurait les stratégies plutôt que les portefeuilles?

Le premier vice-président de la Caisse a d’ailleurs profité du Forum exécutif Morningstar pour lever le voile sur les nouvelles avenues que l’organisation compte peut-être emprunter au cours des mois qui viennent.

« On s’interroge si nous ne devrions pas mesurer la qualité de nos stratégies en plus de nos rendements. Ne devrait-on pas évaluer d’ici cinq ou dix ans si ça a valu la peine d’investir davantage dans l’immobilier, les infrastructures, etc. afin d’obtenir un rendement absolu. Prenons par exemple le Régime des rentes du Québec, un de nos déposants. On lui introduit la notion de portefeuille simplifié, c’est-à-dire ce qu’il pourrait faire lui-même comme rendement dans la rue puis on détermine si ça a valu la peine de nous casser la tête à parcourir la planète entière pour dénicher des occasions de placement. On regarde de ce côté-là », a-t-il avoué candidement à l’auditoire attentionné.

Quant à François Bourdon de Fiera Capital, la meilleure mesure du risque demeure pour lui le suivi des profits et pertes au quotidien. « Mon expérience m’apprend que le meilleur indicateur qui soit sur une base relative ou absolue, c’est les profits et pertes sur une période donnée. Si jour après jour, ou mois après mois, ton P&L (profit and loss) se met à gonfler ou se détériorer démesurément, tu peux t’interroger. Ça donne une bonne idée du risque que l’on prend et du genre d’environnement dans lequel on est engagé », a-t-il prôné.