Des graphiques de Bourse dans les nuances de bleu sur un fond noir.
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Ceux qui étaient déjà sur le marché du travail le 10 mars 2000 ignoraient qu’ils vivaient ce jour-là le sommet de la bulle Internet. L’indice composite du NASDAQ a atteint un pic intrajournalier de 5 132, 52, avant de clôturer à 5 048,62. Du côté canadien, l’indice TSE 300 — l’ancêtre du S&P/TSX — a réagi avec un léger décalage : sa progression s’est poursuivie encore deux semaines, franchissant le seuil symbolique des 10 000 points pour la première fois le 23 mars.

Ces bons vieux jours ont été suivis de quelque chose de bien différent. Avec le recul, il est difficile de ne pas considérer le tournant du siècle comme un point d’inflexion après lequel notre monde relativement stable est devenu bancal.

L’indice d’incertitude mondiale (World Uncertainty Index – WUI), une mesure fascinante basée sur les rapports nationaux de l’Economist Intelligence Unit, suit cette évolution depuis le premier trimestre 1990. Au cours de la décennie, ses rapports ont oscillé autour de 10 000. Il a grimpé à 16 199 au troisième trimestre 1990 à la suite de la première guerre du Golfe, avant de redescendre à 7 863 à la fin de 1999.

Depuis, il n’y a eu que cinq trimestres au cours desquels l’indice WUI est passé sous la barre des 10 000. Elle a atteint 22 325 au premier trimestre 2000. Elle est passée à 25 156 après les attentats du 11 septembre à New York et à Washington. La guerre d’Irak l’a ensuite porté à 34 455.

Fin 2012, la crise financière mondiale, suivie de la crise de la dette souveraine en Europe et de la crise budgétaire aux États-Unis, a fait grimper le WUI à 38 752. Sa valeur la plus élevée – 55 685 — a été atteinte au premier trimestre 2020, alors que le monde était bloqué en réponse à la COVID-19.

Le résultat du premier trimestre de cette année, après la réélection du président américain Donald Trump, était de 48 146.

« Nous vivons une période de grande incertitude, conclut Indrani De, responsable de la recherche mondiale sur les investissements chez FTSE Russell à New York, lors d’un entretien accordé à Advisor.ca. Le comportement des marchés a fondamentalement changé. »

La gestion de portefeuille est devenue particulièrement complexe sous l’effet d’un mélange explosif d’enjeux économiques et géopolitiques — une situation que plusieurs gestionnaires d’actifs disent n’avoir jamais connue auparavant. Indrani De identifie deux grandes tendances : d’une part, un ralentissement de la croissance aux États-Unis, qui reste toutefois supérieur à celui observé ailleurs ; d’autre part, une approche différente de la Réserve fédérale américaine dans la gestion de l’équilibre entre croissance et inflation, comparativement aux autres banques centrales des marchés développés.

« En Europe, c’est surtout le ralentissement de la croissance qui préoccupe. L’inflation y est déjà très proche de la cible, analyse-t-elle. Aux États-Unis, l’inquiétude porte davantage sur l’inflation. […] Ces arbitrages différents se reflètent clairement dans le comportement contrasté des marchés boursiers. »

Ce n’est pas le seul découplage en cours. La politique tarifaire agressive de Trump a déclenché une guerre commerciale mondiale qui restructure les flux commerciaux.

Couverture de portefeuille

Indrani De estime que nous voyons également les premiers signes de stress du crédit — qui est également plus prononcé aux États-Unis. « Vous voyez un comportement très inhabituel des bons du Trésor américain et du dollar américain, ce qui a d’énormes implications pour la couverture de portefeuille en ce moment. »

Cela explique en grande partie pourquoi les investissements alternatifs font l’objet d’une telle attention. Si l’incertitude empêche les clients de dormir, elle n’en offre pas moins des occasions.

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« L’or est un énorme surperformant », remarque-t-elle. « Même le cuivre bénéficie de la transition vers une économie verte. De plus, les infrastructures cotées en bourse connaissent de très bonnes performances. Le découplage des marchés — que ce soit entre les marchés d’actions, les matières premières, ou encore les titres à revenu fixe — crée davantage d’opportunités de diversification. Ce n’est pas un monde où tout monte ou tout descend en même temps. »

Le Canada s’en sort « plutôt bien » dans ce contexte, constate Indrani De. « Il a ses défis à relever, car les prix de l’énergie sont en baisse. […] D’un autre côté, il a des atouts. La situation est globalement positive et stable. »

Un quart de siècle après l’éclatement de la bulle, nous vivons dans un monde beaucoup moins sûr.

« La façon dont les classes d’actifs se comportent est différente, explique Indrani De. Les corrélations sont différentes, il ne suffit plus de se baser sur les données des 20 dernières années et de dire : “voilà les chiffres, et voilà les données à prendre en compte dans la construction du portefeuille”. Ces données sont en train de changer fondamentalement, en termes très clairs. »