Beaucoup d’investisseurs comprennent certains effets fondamentaux d’une augmentation des taux d’intérêt. Des taux plus élevés finissent par profiter aux épargnants, car les taux des comptes d’épargne, des placements dans les marchés monétaires et des CPG ont tendance à grimper.
Mais le prix des obligations de plus longue durée, qui est inversement proportionnel aux taux, lui, baisse. Le coût des emprunts augmente lui aussi quand les taux d’intérêt augmentent. Cela a un impact sur les entreprises qui empruntent de l’argent pour financer leurs opérations et croître, et affecte aussi le consommateur alors que le taux de nombreux emprunts personnels — comme les prêts sur valeur domiciliaire, cartes de crédit et prêts automobiles — tendent à augmenter.
Mais l’élément moins bien connu est ce qui se passe dans les coulisses quand le Comité de politique monétaire de la Réserve fédérale (« FOMC ») décide d’augmenter ou de baisser son taux d’intérêt cible. La Fed ne fait pas que déclarer qu’un nouveau taux, plus élevé ou plus faible, est en vigueur, et s’en tenir là; pour atteindre ses objectifs de politique monétaire, elle utilise plutôt les outils dont elle dispose pour prendre des mesures qui se traduisent par les changements des taux d’intérêt que nous voyons sur le marché.
Et cette fois-ci, les mesures qu’elle prend et les outils dont elle se sert sont très différents du passé.
Les outils traditionnels de la Fed
Pendant l’ère qui a précédé la crise financière, la Fed influençait principalement les taux sur le marché en ajustant la quantité des réserves du système bancaire, ce qui maintenait les taux des fonds fédéraux (le taux auquel les banques se prêtent de l’argent mutuellement au jour le jour) autour de la cible fixée par le FOMC.
Un des outils les plus communs utilisés par la Fed pour accomplir cet exploit est ce que l’on appelle les « opérations du marché ouvert », dans lesquelles la Fed achète et vend des titres du Trésor sur le marché ouvert. Lorsque la Fed achète des titres du Trésor, elle paie le vendeur, ce qui accroît les réserves dans le système bancaire. Plus les réserves sont abondantes, plus il y a de l’argent disponible pour des prêts, ce qui met une pression à la baisse sur le taux des fonds fédéraux. Inversement, lorsque la Fed vend des titres, elle réduit les réserves dans le système bancaire (parce que les acheteurs paient la Fed pour les actifs) et fait augmenter les taux.
L’objectif des opérations du marché ouvert était de fixer la quantité de réserves dans le système égale à la quantité exigée par les banques au taux d’intérêt cible, explique Julian Potenza, analyste macroéconomique et de répartition d’actifs à Fidelity. « En procédant à des ajustements précis de la quantité de réserves dans le système, la Fed a été en mesure d’exercer un contrôle très étroit sur le taux des fonds fédéraux, et a su garder ce marché parfaitement équilibré, de sorte que la quantité des réserves dans le système a été exactement le même que la demande des banques au taux d’intérêt cible objectif de la Fed », a dit M. Potenza.
Pourquoi c’est différent cette fois-ci
De nos jours, le bilan de la Fed a l’air très différent de ce qu’il était avant la crise financière. Après avoir acheté des billions de dollars d’actifs en vertu des programmes d’allégement quantitatifs, la Fed a un bilan d’environ 4,5 billions $US, contre à peu près 800 milliards $US avant la crise, dit M. Potenza.
L’effet des programmes d’achat d’actifs de la Fed est que le système financier regorge de réserves, et cet équilibre délicat appartient au passé. La Fed ne veut probablement pas vendre les actifs de son bilan tout de suite, vraisemblablement parce qu’elle ne veut pas défaire tout ce qui a été accompli par les allégements quantitatifs pour commencer. Vendre trop d’actifs financiers en trop peu de temps pourrait mettre une pression à la hausse sur les taux d’intérêt et causer un resserrement trop important des conditions financières, avec un effet déstabilisant sur le marché obligataire.
La Fed est donc confrontée à un nouveau défi : elle doit augmenter les taux d’intérêt à court terme sur le marché sans vendre ses propres titres, et sans réduire le niveau de réserves détenu par les banques.
De fait, la Fed a dit plus tôt cette année qu’elle entendait atteindre sa fourchette de taux cible des fonds fédéraux « sans gérer activement le bilan de la Réserve fédérale », mais plutôt en utilisant cette fois de nouveaux outils qui, affirme-t-elle, lui permettront d’augmenter les taux d’intérêt à court terme et de « conserver un contrôle raisonnable du niveau des taux d’intérêt à court terme alors que la politique continuera à se raffermir par la suite », même si le niveau des réserves détenus par les banques ne diminuera vraisemblablement que peu à peu.
Les nouveaux outils
Depuis octobre, la Fed paie des intérêts bancaires sur le solde de ses réserves. Selon la Fed, accroître le taux d’intérêt payé sur les réserves excédentaires (IPRE) sera la façon principale d’augmenter le taux des fonds fédéraux lorsqu’une décision sera prise pour augmenter la fourchette cible. Jusqu’à la semaine dernière, ce taux était de 25 points de base (soit 0,25 %), mais à partir du 17 décembre il a augmenté jusqu’à 50 points de base quand la Fed a décidé d’augmenter les taux.
« Au lieu de fixer le taux des fonds fédéraux en ajustant la quantité de réserves du système, la Fed a décidé de mettre un prix sur ces réserves en payant directement les banques pour les réserves qu’elles détiennent », dit M. Potenza.
L’idée qui sous-tend le paiement d’un intérêt sur les réserves excédentaires est que cela mettrait un « plancher » sur les taux à court terme; on ne s’attendrait pas à ce que les banques prêtent à une contrepartie représentant un risque de crédit plus important à moins du taux de 50 points de base qu’elles pourraient gagner pour prêter de l’argent à la Fed, qui est une contrepartie sans risque.
Et c’est quelque chose qui a vraiment du sens; toutefois, il ne manque pas d’institutions non bancaires qui emprunteraient pour moins. Les IPRE ne sont offert qu’aux « institutions de dépôt » : en d’autres termes, aux banques. Il n’est pas disponible pour les institutions non bancaires qui sont d’importants organismes prêteurs dans le système financier, comme les fonds du marché monétaire et les institutions financières spécialisées d’intérêt public.
« Les IPRE fournissaient à la Fed, en guise d’outil d’augmentation des taux, un plancher qui fuyait pas mal. La raison fondamentale en était une disponibilité limitée à un sous-ensemble de contreparties : le système bancaire », dit M. Potenza.
Renforcer le plancher
Pour traiter de ce problème, la Fed utilise un autre outil appelé prise en pension. Dans le cadre d’une prise en pension à un jour, le Fed permet essentiellement aux contreparties non bancaires (institutions financières d’intérêt public ou fonds du marché monétaire, par exemple) d’émettre des prêts garantis à la Fed à un taux fixe.
En théorie, les prises en pension devraient fonctionner de la même manière que les IPRE pour fixer un plancher sous les taux d’intérêt à court terme car elles décourageraient de consentir des prêts à des contreparties plus risquées à un taux inférieur de celui de la prise en pension. Les prises en pension, en combinaison avec les IPRE, devraient alors théoriquement renforcer le taux plancher à court terme.
Actuellement, le programme de prises en pension a une capitalisation cumulée de 300 G$US, mais la Fed a indiqué qu’elle serait disposée à élargir au besoin le programme. La clé, selon M. Potenza, sera de fournir des prises en pension en quantité suffisante. « Si elles sont mal calibrées par rapport à la demande, il se peut qu’elles n’offrent pas le plancher ferme espéré. »