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Face à la crise du logement, Ottawa met 5 milliards de dollars (G$) sur la table pour convaincre les provinces d’adopter certaines de ses priorités en matière de logement, y compris la charte des droits des locataires dont le gouvernement du Québec ne veut rien savoir, et impose une date butoir pour toucher les fonds : le 1er janvier 2025.

« On prend les grands moyens pour que les prix des maisons et des condos redeviennent décents en augmentant l’offre des logements rapidement », a résumé le premier ministre Justin Trudeau, le 2 avril dernier à Halifax, aux côtés de son ministre du Logement, Sean Fraser.

La somme sera versée depuis un nouveau fonds de 6 G$ visant à construire et à mettre à niveau des infrastructures liées au logement, comme celles nécessaires à l’approvisionnement en eau potable, au traitement des eaux pluviales et à la gestion des déchets solides.

Le milliard restant sera versé aux municipalités afin de répondre à des « besoins urgents » en matière d’infrastructures qui permettront de créer « directement » des logements, précise le gouvernement fédéral.

Et Ottawa prévient les provinces qui ne signeront pas une entente d’ici l’« échéance » du 1er janvier 2025 que les fonds qui lui sont dédiés « seront transférés au volet municipal ». Les territoires auront quant à eux trois mois supplémentaires.

Justin Trudeau a d’ailleurs reconnu carrément en réponse à une question qu’il s’agit de « conditions » qu’il imposera aux provinces, mais a néanmoins insisté que « bien sûr » il travaillera en « partenariat » avec le Québec.

La charte canadienne des droits des locataires qu’Ottawa a annoncé vouloir créer la semaine dernière exigerait que les propriétaires fournissent un « historique clair » des loyers d’un appartement afin que les locataires puissent négocier « équitablement ». Elle vise également à établir un bail standard à l’échelle nationale.

Or, Québec a récemment adopté son projet de loi 31 sur le logement, et il y a écarté l’idée d’un registre des loyers, jugeant la mesure trop dispendieuse.

Questionné sur le sujet à plusieurs reprises, le ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, Jean-Yves Duclos, n’a pas voulu clairement dire ce qui arriverait à la part de l’argent du Québec si la province refusait de mettre en place le registre des loyers du fédéral. « C’est un financement qui vient avec des attentes assez claires que cet argent doit servir pour financer les infrastructures nécessaires pour que les municipalités puissent construire davantage de logements », a-t-il affirmé en point de presse à Québec, tout en reconnaissant qu’il s’agissait d’une compétence provinciale. Son bureau a par la suite indiqué qu’il allait discuter avec la province.

Droit de retrait avec pleine compensation

La réaction du gouvernement québécois ne s’est pas fait attendre. Par écrit, les ministres Jean-François Roberge (Relations canadiennes) et France-Élaine Duranceau (Habitation) ont réitéré qu’il était hors de question que le fédéral s’ingère dans les champs de compétence du Québec. « Le Québec doit pouvoir se prévaloir de son droit de retrait avec pleine compensation et sans aucune condition », ont-ils affirmé dans une déclaration commune.

Dans cette négociation, Ottawa exigera également que les municipalités construisent plus de logements intermédiaires dont des duplex, des maisons en rangées et d’autres immeubles d’habitation, l’adoption de changements au Code national du bâtiment visant à soutenir des logements plus accessibles, abordables et respectueux de l’environnement, l’utilisation du catalogue fédéral de conception de logements qui sera bientôt rendu public, et la mise en œuvre d’une charte des droits des acheteurs.

Le premier ministre Justin Trudeau et bon nombre de ses ministres avaient prévu le 2 avril dernier pas moins d’une dizaine de conférences de presse aux quatre coins du pays pour dévoiler ces mesures en matière de logement qu’ils entendent inscrire dans le prochain budget fédéral devant être déposé dans deux semaines.

L’autre grande mesure dévoilée est l’ajout de 400 millions de dollars supplémentaires dans le Fonds pour accélérer la construction de logements. Les sommes visent notamment à encourager les municipalités à « réduire leurs lourdeurs administratives » et à investir dans le logement abordable. Ottawa calcule que cela permettra d’« accélérer » la construction de 12 000 logements en trois ans.

Le ministre du Logement, Sean Fraser, a indiqué qu’Ottawa dévoilera « au cours des prochaines semaines » son plan pour s’attaquer à la crise du logement. Il aura trois piliers : construire plus de maisons, s’assurer de venir en aide aux plus vulnérables, et des mesures visant à ce qu’il soit plus facile de louer ou d’acheter une maison.

Dans le cadre de ces annonces prébudgétaires, Justin Trudeau avait dévoilé en grande pompe la veille que le prochain budget fédéral comprendra le financement d’un programme national d’alimentation scolaire qui visera à fournir des repas à 400 000 enfants de plus par an à travers le pays.

Tramway ou troisième lien ? 

Durant son annonce à Québec, Jean-Yves Duclos a indiqué que son gouvernement s’attendait à ce que les provinces et les municipalités densifient le logement dans les zones où il y a des infrastructures de transport collectif.

Or, le ministre n’a pas manqué de rappeler que « Québec a accumulé un retard par rapport à d’autres villes » en matière de transport collectif et que les priorités de son gouvernement au niveau du transport étaient « presque totalement tournées vers le transport collectif ».

« Tout ça devrait aider le gouvernement du Québec, à partir du rapport de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), à trouver la bonne formule de transport moderne pour la ville de Québec », a-t-il affirmé.

Il y a quelques mois, le gouvernement Legault a retiré le projet de tramway des mains de la Ville de Québec pour le confier à la CDPQ. Or, la Caisse se penche aussi sur les façons d’« améliorer la mobilité et la fluidité dans la Communauté métropolitaine de Québec, notamment entre les deux rives ». Selon le ministre Bernard Drainville, il est déjà acquis que la Caisse va présenter un projet de troisième lien en juin.

Le fédéral n’a jamais caché sa préférence pour le projet de tramway à celui du troisième lien.

« Véritable enfer »

Dans un communiqué, le Parti conservateur du Canada a déploré que les Canadiens vivent un « véritable enfer » en matière de logement « après huit ans sous Justin Trudeau ». Ils reprochent aux libéraux de persister avec des « politiques ratées » en annonçant des milliards pour « des séances de photos ».

Les troupes de Pierre Poilievre citent à l’appui une étude de la Banque Royale publiée le jour même qui démontre qu’un ménage qui gagne le revenu médian consacre 63,5 % de ses revenus au paiement des coûts pour posséder un logement moyen, contre 39,3 % lorsque les libéraux sont arrivés au pouvoir en octobre 2015.

Au Nouveau Parti démocratique, la porte-parole en matière de logement, Jenny Kwan, a non seulement blâmé les libéraux, mais aussi les conservateurs pour « ce gâchis » en « coupant dans le financement des logements sociaux et coopératifs et en confiant la gestion à des promoteurs privés qui achètent des logements abordables, augmentent les prix et expulsent les locataires pour cause de rénovation ».

« Bien qu’il prétende vouloir améliorer les choses, Pierre Poilievre a été au pouvoir pendant neuf ans et durant cette période, les gens ont perdu 800 000 logements abordables, a-t-elle envoyé. Ce chiffre a augmenté de 370 000 logements supplémentaires sous Justin Trudeau. »

Pour sa part, le Bloc québécois a affirmé qu’« encore une fois, le gouvernement de Justin Trudeau saute à pieds joints dans la compétence du Québec ».

« Ottawa doit transférer les sommes à Québec, sans conditions et rapidement, pour que l’on puisse construire des logements et infrastructures plutôt que de multiplier les programmes et embûches », a indiqué le député bloquiste Denis Trudel.