Banque du Canada: la grande surprise chez les économistes

Même son de cloche à Québec , où Clément Gignac, vice-président principal et économiste en chef de l’Industrielle Alliance, avoue également avoir été surpris par cette annonce.

« Ce serait prétentieux de dire que nous l’avions vu venir puisque aucun économiste dans les sondages ne l’avait prévu. Ça témoigne d’un niveau de nervosité important à Ottawa avec, notamment, le report du budget de deux mois annoncé la semaine prochaine. C’est donc plus compliqué que prévu d’équilibrer le budget.»

Cette baisse du taux directeur est liée de façon inhérente à la baisse importante des prix du pétrole des six derniers mois. Alors que le pétrole représente 20 % des exportations du Canada, la Banque aurait voulu prendre une « police d’assurance » contre une récession au pays, bien qu’un tel ralentissement soit «presque inévitable en Alberta», selon Clément Gignac.

Une autre baisse des taux n’est pas pour l’instant exclue par la Banque du Canada qui estime que le prix du baril de pétrole devrait remonter autour des 60 $ cette année alors qu’il varie actuellement entre 45 et 50 $.

« La Banque n’a pas exclu qu’on ait une deuxième baisse à la prochaine rencontre, mais après il ne lui restera pas beaucoup de marge de manœuvre et on devrait revenir au statut quo, note Benoit Durocher. Nous prévoyons actuellement une hausse des taux directeurs dans le coin de la mi-année 2016.»

Changement de régime pétrolier (la suite en page 2)

Changement de régime pétrolier

En abaissant son taux directeur, la Banque du Canada souhaite favoriser un transfert des pôles économiques de l’ouest vers l’est du pays. Un faible dollar canadien aura en effet une influence positive sur les exportations canadiennes, mais faut-il encore que les entreprises soient prêtes à emboîter le pas.

« Dans bien des cas les usines ne sont plus là ou sont fermées. Nos exportations vont augmenter, mais faut que les entreprises investissent et que des multinationales viennent ouvrir des usines chez nous, rappelle Clément Gignac. À moyen terme ça va nous améliorer et nous pousser à redevenir plus compétitifs. C’est notre modèle de prospérité économique qui est à revoir.»

D’ailleurs, l’impact de la chute du prix du pétrole sera aussi important sur la balance commerciale canadienne. Selon Clément Gignac, si on retire la portion attribuable aux exportations de pétrole de la balance commerciale, le Canada se retrouve en déficit plutôt qu’à l’équilibre.

Les effets de cette baisse du pétrole pourraient se faire ressentir encore longtemps au Canada, selon Clément Gignac.

«Les coûts de production les moins élevés sont chez les pays de l’Organisation des pays producteurs et exportateurs de pétrole (OPEP), pas au Canada et aux États-Unis, dit-il. S’ils décident qu’ils veulent éliminer la concurrence des pétroles non-conventionnels, ça veut dire qu’on vient de changer le régime pétrolier et ça sera très pénible pour le Canada non seulement dans les prochains trimestres, mais aussi dans les prochaines années puisque notre modèle de prospérité a été bâti autour du développement du pétrole dans l’Ouest canadien. »

L’industrie aurait besoin, selon lui, d’un baril de pétrole à un prix se situant entre 60 et 75 $ américains pour retrouver le chemin de la rentabilité.

« Il faut toutefois faire une différence entre les projets en cours et ceux à venir par rapport aux coûts de production actuels, indique Clément Gignac. Une fois tout mis en place et les dépenses d’investissements faites etc. dans les sables bitumineux, à 35 $ on est rentables, mais pour les nouveaux projets qui doivent respecter des normes environnementales plus sévères, des prix beaucoup plus élevés sont nécessaires.
 Photo Bloomberg