«Ça a commencé il y a six mois. On a vu des compagnies d’assurance qui ont envoyé ces lettres. Il y a des AG qui veulent travailler seulement avec les 20 % [des plus importants producteurs] et ne veulent pas travailler avec les autres 80 % parce qu’il n’y a pas assez de volume d’affaires et que la conformité coûte cher», a-t-il déclaré lors de cet événement.
Invité à préciser sa pensée, Nabil Tarcha affirme par courriel «qu’en 2016, Great West et IVARI ont réduit de façon importante le nombre de conseillers, que ce soit par des fins d’emplois ou des changements dans leur contrat de service, alors qu’ils ne pouvaient plus vendre les produits de ces compagnies. Le nombre total de conseillers touchés a été estimé à environ 15 600 au Canada. Les agents généraux qui font affaire avec des sociétés telles que IVARI sont touchés par ces activités, puisque plusieurs contacts se font par leur intermédiaire.»
Différents facteurs expliquent ces élans de rationalisation, selon des membres de l’industrie. D’abord, pour un assureur et pour un AG, un conseiller représente bien sûr une source de revenus, mais aussi une source de coûts. Ceux-ci sont notamment de nature administrative et de conformité.
Or, l’arrivée dans le marché d’un nouveau logiciel de gestion de l’administration et de la conformité pour les assureurs et les AG, nommé APEXA, change un peu la donne.
Pour les AG, ce logiciel vise à simplifier le processus de mise sous contrat des représentants auprès des assureurs, la mise à jour des informations et du profil du représentant ainsi que la gestion des risques de conformité que présente ce conseiller. Pour les assureurs, ce logiciel vise à simplifier la mise sous contrat d’un conseiller, en partageant notamment avec toutes les compagnies d’assurance les résultats de l’enquête de crédit et des déclarations d’activités d’un conseiller.
«Mettre sous contrat des conseillers, c’est actuellement beaucoup de paperasse et énormément de délai. Pour le conseiller et l’agent général, c’est un peu ardu», atteste Caroline Thibeault, directrice générale du Groupe SFGT, à Coaticook. APEXA vise à simplifier ces processus, dit-elle, mais ce service ne sera pas gratuit.
«Si on informatise tout, on simplifie ces processus, mais ce système doit se payer quelque part. L’AG va payer un montant fixe par conseiller, explique Caroline Thibeault. Si un conseiller a un contrat rattaché et qu’il ne produit pas, il y a des frais annuels pour lesquels on n’a pas de revenu en échange.»
Caroline Thibeault n’envisage aucune rationalisation dans son équipe de quelque 70 conseillers, mais comprend que d’autres AG pourraient vouloir le faire en raison, entre autres, de ces frais récurrents.
D’éventuels changements réglementaires pourraient aussi pousser des AG à l’écrémage de leurs conseillers, notait Nabil Tarcha, en juin : «Les régulateurs sont actuellement en train d’évaluer l’option d’avoir un permis pour les agents généraux, étant donné que ce sont les AG qui connaissent le mieux les conseillers et qui peuvent s’assurer qu’ils travaillent bien, de manière éthique. Les AG deviendraient donc responsables des conseillers avec qui ils font affaire. L’AG va vouloir travailler uniquement avec les conseillers qui ont un volume d’affaires important.»
Gino Savard, président de MICA Cabinets de services financiers, anticipe aussi une vague de bouleversements réglementaires qui fera que les AG deviendraient responsables des représentants sur le plan de la conformité, à l’instar de l’encadrement qui prévaut en épargne collective. «Dans ce contexte, c’est de la clairvoyance de se demander avec qui on veut faire affaire», dit-il.
Pas si évident
Même si des AG souhaitent «se départir» de conseillers peu productifs, ce ne sera pas si évident que cela, dit Caroline Thibeault : «Si un conseiller a avec vous un contrat pour Empire Vie et que vous ne voulez plus faire affaire avec lui, il faut que le conseiller se trouve un autre agent général. On ne peut pas simplement rompre les liens d’affaires.»
À la fin des années 1990, Gino Savard a segmenté son bloc d’affaires en cessant d’accepter de nouvelles transactions pour 500 conseillers et en arrêtant de leur donner du service. Il confirme que le lien d’affaires est maintenu.
«Nous ne sommes pas capables de mettre dehors un représentant qui n’a pas beaucoup de volume. Ça ne se fait pas, explique Gino Savard. Son contrat restera codé chez nous et sera transféré sous un autre AG le jour où il refera une vente ou une transaction et que je refuserai de la traiter. Il devra appeler un autre AG et se coder avec lui.»
D’ici à ce que le conseiller soit transféré ailleurs, ce qui peut ne jamais se produire pour un conseiller qui a cessé de vendre, l’AG continuera de devoir donner du service au client, selon Gino Savard : «J’ai envoyé 500 lettres d’annulation, mais ça a pris des années avant de s’épurer.»
Une autre pratique d’affaires fait qu’il n’est pas évident que le conseiller invité à travailler ailleurs se retrouve un autre AG. Selon cette pratique, l’AG qui «acquiert» un nouveau représentant doit payer cinq fois les commissions de renouvellement annuelles. Cette pratique avait été mise en place par les assureurs pour éviter le roulement trop grand de conseillers découlant d’un maraudage des AG.
«Quand on « achète » un nouveau conseiller, ça peut prendre six ans avant de le rentabiliser s’il ne fait pas de nouvelle vente. Si c’est un conseiller de 72 ans, peut-être qu’on y pense à deux fois avant de le signer, à moins de vouloir acheter son « en-vigueur » pour un jeune conseiller au sein de notre groupe», note Caroline Thibeault.