Et l’impact sera tellement important, selon lui, que ce sera un vrai chambardement.
«Les grandes institutions financières bâtiront leurs publicités comme s’il n’y avait plus de commissions. Ce qui attirera la clientèle, qui pensera payer moins cher. Par conséquent, le modèle du représentant salarié s’imposera. Mais ces salariés toucheront tout de même des commissions. Sauf qu’elles seront cachées, comme des allocations de déplacement et des allocations de marketing», appréhende Stéphane Rochon.
À titre d’ancien vice-président régional chez Empire Vie et d’ex-directeur général de l’agent général BBA Groupe Financier, Sylvain Gagné a vu de près le fonctionnement et le mode de pensée qui prévalent dans les réseaux de distribution. Ce qu’il voit poindre à l’horizon le rend plutôt pessimiste.
«En toute logique, on se dirige vers la divulgation. Mais je crains que la répercussion ne soit une concentration accrue des assureurs. En effet, si la rémunération est connue des consommateurs, les petits acteurs de l’industrie comme Empire Vie ne pourront plus espérer augmenter leurs parts de marché en proposant des commissions plus élevées que la moyenne. En définitive, la divulgation favorisera les grands acteurs établis», dit Sylvain Gagné.
Solide statu quo
Cependant, certains pensent que le vent de la divulgation ne soufflera pas assez fort pour abattre les barrières du statu quo en assurance de personnes.
C’est le cas de Flavio Vani, président de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF, anciennement RICIFQ), un organisme qui dit regrouper environ 500 membres.
«Les assureurs vont résister au mouvement de divulgation des commissions. Les fonds distincts sont trop différents des fonds communs. De plus, les produits complexes d’assurance de personnes, qui comportent 5 000 $ ou 10 000 $ de primes, sont très durs à vendre. Les assureurs ont besoin des intermédiaires», estime Flavio Vani, qui est également propriétaire de son propre cabinet Assurance et Produits Financiers Vani, situé à Kirkland, dans l’ouest de l’île de Montréal.
Yan Charbonneau, directeur général de l’agent général AFL Groupe Financier, partage l’opinion du président de l’APCSF.
«J’entends dire dans le marché qu’en matière de divulgation, les distributeurs de fonds communs n’ont pas porté le ballon. Et j’entends aussi dire que les assureurs et les agents généraux s’opposent à la divulgation, mais qu’ils ont l’intention d’agir. Ils pourraient peut-être s’accommoder de la divulgation en fonds distincts. Mais pas pour les contrats d’assurance de personnes, car les efforts de vente sont trop grands», note Yan Charbonneau.
Il ne pense pas, lui non plus, que les assureurs et les agents généraux regarderont le train passer sans réagir.
«Selon moi, nous ne sommes pas au même point de non-retour que l’industrie des fonds communs», remarque le dirigeant d’AFL Groupe Financier, un agent général qui rejoint quelque 1 000 conseillers.
Vague de fond ?
Aux yeux de Robert Landry, ancien vice-président exécutif chez AXA Canada et maintenant consultant, la divulgation des commissions est «inéluctable».
«Tout d’abord, les régulateurs pensent qu’il y a abus en matière de rémunération. Et qu’avec la transparence, ces abus disparaîtront d’eux-mêmes. Il est certain par exemple qu’un client doit recevoir davantage qu’une carte de Noël pour avoir l’impression que la commission de suivi est justifiée !» note-t-il.
Robert Landry avance une deuxième raison pour expliquer le caractère inexorable de la divulgation des commissions : «La vente de produits d’assurance de personnes sur Internet, par les assureurs directs, changera les règles du jeu. Puisque leurs charges seront moins élevées, il y aura de fortes pressions à la baisse sur les commissions, et même sur leur nivellement.»
Que devront faire les conseillers ? «Travailler sur les affaires en vigueur. Il faudra rencontrer périodiquement ses clients afin de faire des bilans de situations personnelles et familiales. Lorsqu’il y a des événements comme des naissances ou des mariages, des occasions de vente émergent. Les conseillers devront passer moins de temps au démarchage, et plus de temps à entretenir leurs relations avec les clients existants», répond-il.
De plus, les «petits produits de masse» auront de moins en moins d’importance dans les revenus des conseillers, car ils seront les premiers à être vendus sur Internet sans l’intervention obligatoire des conseillers.
«Je pense que ce qui s’est passé dans le monde de l’IARD (incendie, accidents, risques divers) avec l’arrivée des assureurs directs pourrait se reproduire en assurance de personnes. Les conseillers devront concentrer leurs énergies vers des besoins plus complexes», prévoit Robert Landry.