«Quand on a été remerciés, on ne cachait pas qu’on avait ces activités-là, assure Marc Dalpé, en téléconférence avec son partenaire Jean-Marc Milette et Les Affaires, chez son employeur actuel, Richardson GMP. Ce n’est pas vrai que Desjardins n’a jamais su ces affaires-là, qu’il n’y avait pas moyen de savoir…»

Ces informations n’ont pas été prouvées en cour. Mais les nouvelles pièces au dossier de Marc Dalpé et Jean-Marc Milette sont riches en détails compromettants, tant pour eux-mêmes que leur ancien employeur. Le dossier contient notamment une centaine de pages de courriels échangés entre les conseillers et leurs clients détenant des comptes non déclarés au Crédit agricole suisse (Bahamas). Une ordonnance de non-publication protège leur identité.

Desjardins a tenté de faire rejeter la poursuite de Marc Dalpé et Jean-Marc Milette. Le juge a refusé, et le mouvement coopératif a fait appel de la décision, le 4 février. Une semaine plus tard, la Cour d’appel rejetait la demande de VMD, et le procès allait de l’avant en Cour supérieure. Les deux conseillers demandent 6,2 M$ en salaires non versés et en dommages-intérêts punitifs.

Une banquière contact à Nassau

Parmi les courriels déposés en cour, un échange d’octobre 2009 laisse deviner une certaine méfiance chez Marc Dalpé et son client, un manufacturier de Saint-Bruno. En faisant référence à la banquière Felicia Mott, du Crédit agricole suisse (Bahamas), l’entrepreneur écrit qu’il «n’ose pas lui écrire directement». Il demande à son conseiller de lui «faire un forward» de son message et de lui demander de l’appeler «avant qu’elle soit à Montréal la prochaine fois». «Dis-lui aussi que j’aimerais qu’elle m’apporte une carte de crédit SVP», conclut-il.
Marc Dalpé répond que c’est une «bonne idée de ne pas utiliser le email» et lui communique le numéro direct de Felicia Mott à Nassau «pour références futures». Joint par Les Affaires, l’entrepreneur a refusé de nous parler et a raccroché.

Quant à la banquière Felicia Mott, elle travaille aujourd’hui pour la Société générale Private Banking, une filiale de l’institution financière française du même nom. Elle est mentionnée à trois reprises dans les courriels joints au dossier de Marc Dalpé et Jean-Marc Milette.

«J’ai envoyé une instruction à Felicia afin de ramasser un chèque de 17 500 $ US», mentionne par exemple un client à Marc Dalpé en novembre 2008.

Jointe par Les Affaires, la banquière assure cependant que ces clients «n’avaient rien à voir» avec elle. Elle affirme également qu’«il n’y pas de preuves» que les conseillers et leurs clients utilisaient des comptes du Crédit agricole suisse (Bahamas).

Là-dessus pourtant, Marc Dalpé, Jean-Marc Milette et VMD s’accordent : les clients détenaient bien des comptes dans cette institution financière. «Felicia Mott venait chez VMD ! Tout le monde la connaissait !» s’exclame Jean-Marc Milette.

Joint à Nassau, le Crédit agricole suisse (Bahamas) n’a pas voulu commenter, mais n’a pas nié avoir mis des comptes à la disposition des clients de VMD.

«Règle non écrite de silence»

Autres pièces majeures dans le dossier Marc Dalpé et Jean-Marc Milette contre VMD : les déclarations sous serment de deux anciens présidents de la firme de courtage, Jean-Pierre De Montigny et Germain Carrière. Ils décrivent le flou dans lequel évoluaient leurs employés quant aux comptes aux Bahamas.

«Lorsque je suis devenu président de VMD en septembre 2005, j’avais toutes les raisons de croire que plusieurs conseillers pouvaient encore avoir des clients qui détenaient des comptes auprès de banques étrangères et que la gestion de ces comptes par les conseillers ainsi que leur rémunération se faisaient hors des registres de la firme, déclare Germain Carrière. Toute autre approche aurait été irréaliste, compte tenu des objectifs possibles des clients pour détenir un tel compte.»

Plus loin, il ajoute que VMD n’a mis en place aucune «directive ou politique interdisant les activités hors registre pour les comptes existants». «La firme tolérait la situation et suivait plutôt une règle non écrite de silence vu la nature même des activités», écrit l’ancien patron.
Son prédécesseur, Jean-Pierre De Montigny, dit sensiblement la même chose dans sa propre déclaration.

Chez Desjardins, le porte-parole André Chapleau y va «d’une mise en garde». «Des allégations ne sont pas des faits avérés, et les affidavits déposés peuvent parfois prendre un autre sens, une fois la ou les personnes interrogées par les avocats de la défense, en l’occurrence ceux de VMD.» André Chapleau se fait avare de détails, car le dossier est devant les tribunaux.