Après deux années consécutives de repli, le capital de risque au Canada reprend de la vigueur. En 2024, les investissements ont augmenté de 10 % pour atteindre 7,9 milliards de dollars (G$), selon le plus récent rapport de BDC Capital. Un sursaut qui s’explique principalement par la transaction de 1,24 G$ réalisée par Clio, une entreprise de technologie juridique basée à Vancouver — la plus importante ronde de financement jamais enregistrée au Canada.
Des investissements plus sélectifs
La reprise des investissements ne signifie pas un retour à l’euphorie. Le nombre de transactions a chuté de 13,6 % pour s’établir à 592, témoignant d’une sélection plus rigoureuse de la part des investisseurs. Ces derniers privilégient des entreprises à fort potentiel de croissance et à modèles d’affaires solides. Résultat : la valeur moyenne des transactions a bondi de 27 %, atteignant 13,3 millions de dollars.
Fait marquant, l’intelligence artificielle continue de dominer. En 2024, elle a capté 30 % des investissements en capital de risque, avec des entreprises comme Cohere et Tenstorrent en tête, toutes deux situées en Ontario. Les technologies de l’information et des communications (TIC) représentent encore plus de la moitié (57 %) des montants investis, loin devant les sciences de la vie (18 %) et les technologies propres (16 %).
Une dépendance accrue aux capitaux étrangers
Malgré ces avancées, l’écosystème canadien demeure largement tributaire des fonds étrangers. Les transactions impliquant des investisseurs non canadiens comptent pour 78 % de la valeur totale, bien que celles impliquant uniquement des investisseurs canadiens représentent 61 % du nombre d’opérations. En valeur, leur poids tombe à 22 %.
Les États-Unis jouent un rôle de premier plan. En 2024, leurs investisseurs ont participé à 32 % des transactions, représentant jusqu’à 40 % des montants investis — une hausse marquée par rapport à la période prépandémique.
« Il n’a jamais été aussi important de soutenir les entreprises canadiennes avec du capital canadien », souligne le rapport. Sans ce soutien, les entreprises à fort potentiel pourraient se relocaliser ou passer sous contrôle étranger.
Des sorties toujours difficiles
Les sorties d’investissement restent rares. En 2024, seulement 7 % des licornes canadiennes ont connu une sortie, principalement en raison d’un marché des premiers appels publics à l’épargne (PAPE) atone et d’un ralentissement des fusions et acquisitions. Cela pèse sur la liquidité des fonds et nuit à la capacité des gestionnaires à lever de nouveaux capitaux.
Le rendement net sur 10 ans du capital de risque canadien s’est établi à 10 %, en baisse de 210 points de base par rapport à l’an dernier. L’écart avec les États-Unis, où le rendement atteint 14,6 %, s’est ainsi accentué. Si cette tendance se maintient, les investisseurs institutionnels pourraient délaisser la classe d’actifs au profit de solutions plus lucratives.
Croissance régionale inégale
L’activité reste concentrée dans trois provinces : Ontario (32 % des montants investis), Colombie-Britannique (31 %) et Québec (25 %). L’Alberta se démarque dans les Prairies grâce à un TCAC de 40 % sur cinq ans, tandis que le Québec, après des pics en 2021 et 2022, stagne à 0,3 %.
À noter : les entreprises québécoises ont continué d’attirer des investissements dans les sciences de la vie, notamment dans les domaines de la biotechnologie et des soins de santé.
Un marché à surveiller
Avec 11,5 G$ de capital disponible, les gestionnaires canadiens disposent encore d’une marge de manœuvre raisonnable pour soutenir les entreprises à court terme. Toutefois, le marché reste vulnérable. La faiblesse des rendements, la rareté des sorties, et la lenteur des levées de fonds — en moyenne quatre ans — compliquent les perspectives de croissance.
BDC appelle à une mobilisation accrue des capitaux canadiens. « Il est de notre devoir d’encourager la culture de l’innovation au Canada, ici et maintenant », souligne Geneviève Bouthillier.
La dirigeante met en garde contre les risques géopolitiques : « Soyons réalistes : le risque d’un repli des capitaux étrangers sur fond d’incertitude à l’échelle mondiale est réel […], nous le ressentons déjà. »
L’écosystème dispose d’atouts : une forte concentration géographique (86 % de l’activité dans trois provinces), une dynamique positive des évaluations et un pipeline d’innovation solide, notamment dans l’IA. Mais la résilience face aux turbulences géopolitiques annoncées dépendra largement de la capacité des acteurs canadiens à intensifier leur soutien à l’innovation locale.
Dans ce contexte, BDC annonce un engagement supplémentaire de 1 G$ pour soutenir les entreprises aux stades avancé et de croissance, illustrant la nécessité d’une réponse coordonnée face aux défis à venir.