Au total, les montants prêtés ne sont pas énormes : ils se chiffrent à près de 2 M$ US. C’est surtout la négligence dont semblent avoir fait preuve les dirigeants de Mizuho qui scandalise les médias japonais depuis plusieurs semaines.

Yakuza est un ensemble de petits, mais puissants groupes criminels rivaux qui existait déjà au 17e siècle. À l’époque, Yakuza servait d’arbitre dans des différends civils et s’assurait de maintenir l’ordre dans les rues des villes nipponnes.

Bien de son temps

Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, Yakuza opérait ouvertement et était généralement tolérée par le public, en plus d’être parfois utilisée par les politiciens et protégée par la police. Par exemple, dans les années 1950, les politiciens et les grands industriels utilisaient les services de Yakuza pour écraser les syndicats et les socialistes.

«Il y a très longtemps, Yakuza était utile à la société, mais maintenant le groupe a perdu de son esprit de samouraï pour se mettre à la recherche des profits», a expliqué un mafieux nippon retraité à The Economist.

Bien de son temps, Yakuza est soupçonnée, selon The Economist, d’avoir manipulé des premiers appels à l’épargne lors de la bulle technologique des années 2000. Plusieurs observateurs soulignent que cette diversification de leurs activités, autrefois centrées sur le commerce de la drogue, le jeu et la prostitution, est nécessaire, puisque les entreprises ne peuvent plus faire ouvertement des affaires avec des groupes criminels.

En effet, au contraire de beaucoup d’autres pays du monde, au Japon, le fait d’être membre d’un groupe criminel n’est pas illégal. Ce n’est que récemment que des lois interdisant de faire des affaires avec eux ont été adoptées.

Là où le bât blesse

C’est surtout la désinvolture avec laquelle les dirigeants de la banque Mizuho ont traité l’affaire des prêts à la mafia qui choque les Japonais.

La haute direction de Mizuho était au courant de l’affaire depuis 2010. Selon The Guardian, les dirigeants de la banque auraient tenté de faire croire que seuls les responsables de la conformité de l’institution étaient au courant de l’affaire avant d’avouer que les gestionnaires de haut niveau, y compris le président de la banque, Yasuhiro Sato, avaient aussi eu vent de l’histoire.

«Un rapport d’un groupe indépendant d’enquêteurs a déterminé que la haute direction de la banque n’avait pas agi lorsqu’elle avait appris que des prêts avaient été consentis à Yakuza, et ce, dès la fin de 2010, mais qu’elle n’avait pas non plus tenté de dissimuler l’affaire», écrit The Guardian. Le quotidien rappelle qu’en 1997, Mizuho avait acquis Dai-Ichi Bank, une autre institution financière nipponne connue pour ses liens avec le crime organisé.

La Japan Financial Service Agency (FSA) a déjà commencé à enquêter sur l’affaire. Elle aurait dans sa ligne de mire la banque Mizuho ainsi que deux autres grandes institutions financières nipponnes, soit Mitsubishi UFJ Financial Group et Sumitomo Mitsui Financial Group, première banque japonaise en termes d’actifs.

Le gendarme financier du Japon devrait s’attarder à des transactions passées, mais également aux mesures prises par les trois institutions financières pour éviter que de telles pratiques ne perdurent.

Des aveux

Puisque la transparence semble à la mode, une autre banque japonaise, Shinsei Bank, a récemment avoué qu’une de ses filiales avait trempé dans une autre affaire de prêts à la mafia nipponne. Dans les pages du Modern Tokyo Times, on a pu lire plusieurs commentaires de sceptiques qui soutenaient que la Shinsei Bank avait probablement décidé d’avouer avant d’être découverte par les autorités.

Les motifs de Shinsei Bank ne sont pas clairs, cependant, les médias japonais s’entendent sur le fait qu’au moins, elle ne ferme pas volontairement les yeux sur le problème, contrairement à d’autres institutions financières.

«L’explication de Mizuho était que sa haute direction n’était pas intéressée par ce problème, écrit le Modern Tokyo Times. S’ils ne s’intéressaient pas à la criminalité, pourquoi occupaient-ils des positions aussi importantes chez Mizuho ?»

Pour tenter de faire amende honorable, le président de Mizuho, Yasuhiro Sato, a décidé de renoncer à six mois de salaire, sans toutefois quitter son poste. Plus de 50 autres hauts dirigeants de l’entreprise ont aussi vu leur rémunération modifiée ou provisoirement suspendue. Aucune amende ni aucun licenciement ne sont prévus à la suite de cette affaire.

Une question demeure : qu’ont fait les mafieux de Yakuza des 2 M$ US empruntés ? Selon The Economist, ils se seraient acheté des frigidaires de luxe de près de 2 000 $ US chacun et se seraient procuré de flamboyantes voitures de sport d’occasion trop chères qui auraient presque immédiatement été revendues.