«Le fractionnement du revenu est une bonne politique pour les aînés canadiens, et ce sera une bonne politique pour les familles canadiennes», répétait-il récemment.
En clair, le conjoint ayant le revenu le plus élevé pourrait attribuer jusqu’à 50 000 $ à celui qui a le revenu le plus faible pour diminuer l’impôt fédéral du couple.
Dans sa plateforme électorale, le Parti conservateur ne précise pas si ce revenu attribué ne donnerait droit à de nouveaux droits de cotisation au REER, ce qui est improbable, selon Dany Provost, directeur, planification financière et fiscale, Centre financier SFL, Cité de Montcalm.
Même s’il ignore les détails du projet conservateur, le fiscaliste anticipe que ce fractionnement serait permis uniquement avec un revenu de travail. Pour en profiter, un professionnel qui a incorporé sa pratique, par exemple, devrait donc se verser un salaire plutôt que de recevoir un dividende.
«Le salaire, ça donnerait un bon break fiscal», note Dany Provost.
Selon le Parti conservateur, cette mesure profiterait à 1,8 million de familles qui économiseraient en moyenne 1 300 $ par an.
Les grands gagnants de cette mesure seraient les couples dont un des conjoints gagne un revenu d’au moins 100 000 $ et l’autre conjoint ne dispose d’aucun revenu ou d’un faible revenu, selon Dany Provost.
Le fiscaliste a calculé l’impact de cette mesure en comparant deux couples québécois ayant un revenu familial annuel de 100 000 $ et un enfant de moins de six ans. Chez le premier, un conjoint gagne l’ensemble des revenus de la famille et l’autre conjoint reste à la maison pour s’occuper de l’enfant. Chez le second, les conjoints gagnent chacun la moitié du revenu familial et l’enfant est confié à un service de garde à contribution réduite de 7 $ par jour.
Alors que le second couple ne pourrait pas profiter de la mesure proposée, le premier couple augmenterait de 5 000 $ son revenu disponible, ce dernier serait supérieur de plus de 3 900 $ à celui du second couple.
C’est sans compter que les couples sans enfants, les familles monoparentales et les familles avec des enfants adultes ne pourraient pas profiter d’une telle mesure.
«Est-ce que qu’on veut encourager un des deux parents à rester à la maison ? Cela aurait un effet pervers sur l’économie. Ça va coûter plus cher que prévu si des gens profitent de cette mesure pour rester à la maison. De plus, en terme d’équité, on repassera», dit Dany Provost.
Statu quo pour 85 % des ménages
Depuis 2011, l’Institut C.D. Howe met en doute les avantages de cette promesse électorale.
«Environ 85 % des ménages ne gagneront rien», assure Jonathan Rhys Kesselman, titulaire de la Chaire de recherche en finances publiques et professeur à l’École de politique publique de l’Université Simon Fraser. Selon lui, près de la moitié des couples avec enfants n’en tireront pas d’avantages ou peu.
Environ 40 % des avantages iraient aux couples dont le revenu annuel dépasse 125 000 $. Les familles de la classe moyenne se partageraient les miettes.
La mesure coûtera 2,7 G$ au Trésor fédéral. Et si les provinces harmonisent leur politique avec celle d’Ottawa, la facture atteindra 4,4 G$ à l’échelle nationale.
Moins intéressant pour les Québécois
C’est là que les couples québécois risquent de perdre au change. Entre autres, c’est au Québec que les écarts de revenus entre hommes et femmes sont moins grands qu’ailleurs.
Ainsi, l’Institut Broadbent, a établi que 61,1 % des familles québécoises avec des enfants de moins de 18 ans ne bénéficieraient pas de la mesure fiscale. En Alberta, ce pourcentage ne sera que de 44,1 %.
Pour cette raison, l’Institut croit que loin de favoriser l’équité, le fractionnement «augmentera les inégalités» au pays.
À moins d’un an de la prochaine campagne électorale fédérale, l’opposition promet de se battre contre le fractionnement.
Les néo-démocrates y voient une nouvelle source «d’inégalité», et les libéraux, une manoeuvre purement «politique» pour courtiser le vote de certains groupes d’électeurs.
À Québec, on suit aussi l’affaire de près. Lors du dernier budget, le ministre des Finances, Carlos Leitao, a déjà resserré les règles du fractionnement pour les jeunes retraités.
Carlos Leitao préfère pour l’instant s’abstenir de tout «commentaire». Selon l’Institut C.D. Howe, l’harmonisation du fractionnement avec Ottawa entraînera une dépense fiscale de 200 M$ pour le Trésor québécois.