Il y voit la conséquence possible de recommandations du Conseil canadien des responsables de la réglementation d’assurance (CCRRA).
Cet organisme, qui représente les positions des organismes de réglementation des 12 provinces et territoires canadiens, a récemment publié un énoncé de principes sur le commerce électronique des produits d’assurance (http://tinyurl.com/q7gcnf9).
«Le document ouvre la voie à la possibilité de vendre directement sur Internet des produits d’assurance de personnes, comme une temporaire simplifiée ou une vie entière, sans l’assistance d’un conseiller», dit Yves Millette.
Bien que les recommandations du CCRRA ne soient pas exécutoires, elles ne doivent pas être prises à la légère, étant donné l’influence des organismes concernés.
Conseils au besoin
D’emblée, le CCRRA constate que les courtiers et les intermédiaires sont «généralement d’avis qu’un représentant certifié devrait intervenir dans chaque transaction d’assurance».
Or, le document ne penche vraiment pas de ce côté. Le CCRRA croit plutôt que seuls «certains consommateurs peuvent avoir besoin de conseils». Et que ces conseils doivent être fournis «au besoin» et «selon la complexité du produit».
Pour Yves Millette, cela signifie qu’«un site transactionnel doit donner accès au conseil si le consommateur le demande. Par contre, si le consommateur veut acheter un produit sans conseil, en se croyant suffisamment renseigné, le site pourrait alors lui donner cette possibilité».
Deux tendances pointent d’ailleurs en direction du guichet «sans représentant», ajoute Yves Millette : les nouveaux régimes volontaires d’épargne-retraite (RVER) et l’attitude des jeunes consommateurs.
«L’article 42 de la Loi sur les régimes volontaires d’épargne-retraite autorise la distribution sans représentant lorsqu’aucun conseil n’est demandé», dit-il.
«De plus, les sondages de la LIMRA montrent que les membres des générations X et Y ne veulent pas qu’on leur impose des agents. Ils veulent avoir le choix de traiter avec un agent, mais sans y être obligés.»
Le président de la division Québec du Groupe Financier Horizons, James McMahon, s’insurge contre le scénario de vente directe sur Internet de produits d’assurance de personnes.
«Cette vision va totalement à l’encontre de ce que demande l’Autorité des marchés financiers (AMF) en matière d’analyse des besoins», affirme-t-il.
«Et cela va à l’encontre de la tendance que suit l’AMF depuis cinq ou dix ans, en imposant de plus en plus de normes afin de protéger les consommateurs. Ce qui permet par exemple d’éviter qu’un client n’achète une vie entière en pensant avoir compris le produit, mais sans que cela soit le cas», explique James McMahon.
«La réglementation est de plus en plus présente dans le travail des conseillers. Elle vise à assurer que les produits correspondent aux besoins et qu’ils sont compris pour ce qu’ils sont», souligne Pierre Sasseville, vice-président à la conformité chez Groupe Financier Horizons.
«J’ai beaucoup de peine à croire qu’on puisse acheter une vie entière sans l’aide du représentant, compte tenu de la nature du produit», dit-il.
Et attention ! Si les assureurs devaient emprunter cette voie, ils ne seraient pas seuls à occuper le terrain. «S’ils veulent faire de la vente directe sur Internet, nous en ferons aussi !» avertit James McMahon.
Pas pour demain
Toutefois, beaucoup de temps pourrait s’écouler avant que cela ne se réalise.
«Où sont les algorithmes qui permettront de déterminer avec certitude qu’un client s’assure suffisamment avec une vie entière achetée en ligne, compte tenu du fait qu’il en est à son deuxième mariage et qu’il a déjà accumulé un certain patrimoine financier ?» demande le consultant Robert Landry.
D’après l’ancien vice-président d’AXA Canada, nous sommes loin de cette possibilité.
De plus, les assureurs, prudents par nature, «ne prendront pas le risque de s’exposer à des poursuites judiciaires de clients mécontents d’avoir mal évalué leurs besoins».
C’est aussi le point de vue de Bruno Michaud, vice-président principal, administration et ventes chez Industrielle Alliance.
«Dans le courtage direct, on définit très finement son profil d’investisseur, explique-t-il. Les transactions contraires à son profil sont automatiquement bloquées par le système informatique. En assurance de personnes, nous n’avons pas la capacité de gérer ainsi les besoins de nos clients.»
Autre argument de poids : l’assurance de personnes se vend, elle ne s’achète pas.
«Sauf dans le cas de l’assurance automobile, qui est obligatoire, personne ne se lève un beau matin en se disant qu’il est temps d’acheter une bonne assurance vie. Le conseiller est réellement celui qui fait passer le consommateur à l’action», soutient Bruno Michaud.
«Convaincre les consommateurs d’aller sur Internet afin de se procurer une vie universelle entraînerait des coûts énormes sur le plan du marketing», ajoute Robert Landry.
Seuls des produits simples et bon marché pourraient, un jour, être vendus sans intermédiaire sur Internet, par exemple une assurance décès de 10 000 $ ou une T10 à émission simplifiée, croient Bruno Michaud et Robert Landry.
Aux États-Unis, on peut souscrire des produits bas de gamme sur Internet, signale Bruno Michaud.
Ce qui pourrait être la prochaine étape du déploiement sur Internet au Québec.
À l’AMF, «le projet continue de cheminer», indique le porte-parole Sylvain Théberge, qui souhaite attendre avant de s’exprimer sur le sujet.