Louis Morisset rencontre régulièrement les représentants du Conseil des fonds d’investissement du Québec (CFIQ) et de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP), et siège à de nombreux conseils, dont celui de Finance Montréal.

De même, l’AMF a rencontré au printemps un groupe de 70 gestionnaires de portefeuille en émergence afin de démystifier leurs obligations en matière de réglementation.

Malgré ces efforts, les responsables de la conformité répondant au Pointage des régulateurs de Finance et Investissement accordent, chaque année, une faible note à l’AMF quant à sa sensibilité aux préoccupations des petits cabinets et sur sa capacité à tenir compte de l’impact financier de ses politiques sur l’industrie. La qualité des échanges entre celle-ci et l’AMF serait mauvaise, d’après des commentaires de répondants.

«Nous sommes à l’écoute et nous sommes ouverts, mais cela ne semble pas toujours être perçu par l’industrie, dit Louis Morisset. Nous ne ferons jamais l’unanimité, mais je suis convaincu que nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour être sensibles à la réalité de l’industrie.»

«Nous entendons les critiques en ce sens qu’elles reflètent une certaine réalité. Nul doute que dans la dernière décennie, et depuis la crise financière de 2007-2008, la réglementation s’est complexifiée et que son impact se révèle plus grand pour certains acteurs», estime Louis Morisset.

Attentes modulées

«C’est pourquoi notre encadrement, à bien des égards, en est un de principe. Lors de nos inspections, nous n’arrivons pas avec nos gros sabots dans une petite firme en nous attendant à ce que les mêmes mesures de contrôle, les politiques et les procédures soient les mêmes que dans une grande firme et en le demandant», ajoute Louis Morisset.

L’AMF applique la réglementation avec rigueur, mais aussi avec discernement, selon lui. Les attentes de l’AMF envers Banque Nationale ou Mouvement Desjardins ne sont pas les mêmes qu’envers une petite firme, illustre-t-il. Selon lui, la perspective de l’AMF est appropriée, et certains participants de l’industrie le constatent et l’apprécient.

«La réalité, c’est que la réglementation doit s’appliquer de façon uniforme, et c’est sur le terrain que les attentes sont modulées, notamment lorsque la situation n’est pas de nature à affecter le lien de confiance avec les investisseurs, ou l’intégrité des marchés», précise Louis Morisset.

À l’instar des autres régulateurs dans le monde, l’AMF est tenue de respecter les standards d’encadrement internationaux, rappelle Louis Morisset.

L’AMF supervise l’industrie, mais est également supervisée par le Fonds monétaire international (FMI), qui se présente au Canada tous les cinq ans afin d’évaluer sa capacité à mettre en oeuvre et à appliquer les principes d’encadrement internationaux.

Les conseillers ne sont toutefois pas les seuls à remettre en question certaines pratiques de l’AMF. Un article du Journal de Montréal publié en mars dernier, citant un rapport préparé par la firme de consultants KPMG en 2012 à la demande de l’AMF, faisait état d’une «mauvaise gestion dans les enquêtes» et du fait que «l’AMF peine à gérer sa chaîne de possession de la preuve».

Déplorant le ton alarmiste employé par le quotidien, Louis Morisset souligne que peu de régulateurs dans le monde possèdent un régime électronique en matière de preuve.

«Nos processus d’enquête sont robustes et n’ont jamais été mis en cause devant les tribunaux. Toutefois, l’AMF poursuit l’objectif de passer à l’ère électronique et c’est pour déterminer les éléments à travailler pour y parvenir qu’elle avait mandaté cette firme de consultants», rappelle Louis Morisset, qui a vu grandir l’AMF depuis sa création en 2004.

Influence nationale et internationale

Louis Morisset est diplômé en droit de l’Université de Montréal et membre du Barreau du Québec depuis 1996. Il a été associé près de 10 ans au cabinet Stikeman Elliott, où il s’est spécialisé en valeurs mobilières et en fusions et acquisitions d’entreprises.

Entré à l’AMF en mai 2006 comme surintendant des marchés de valeurs, il a notamment piloté les travaux qui ont conduit à l’approbation par l’AMF de l’acquisition du Groupe TMX, de la Caisse canadienne de dépôt de valeurs limitée (CDS) et d’Alpha Trading Systems par la Corporation d’acquisition Groupe Maple.

Louis Morisset est le troisième plus haut salarié parmi les quelque 350 hauts fonctionnaires de l’État québécois, avec un salaire annuel de 414 758 $ en 2014-2015, selon les informations rendues publiques par le Conseil exécutif. Michael Sabia, président et chef de la direction de la Caisse de dépôt et placement du Québec, reçoit le plus fort salaire (500 000 $).

En avril dernier, Louis Morisset a été nommé président des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) pour un mandat de deux ans. Sur le plan international, le patron de l’AMF siège notamment au conseil de l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV).

Entre 2007 et 2011, il y a présidé le Groupe de surveillance chargé de superviser la mise en oeuvre et l’application de l’Accord multilatéral de l’OICV portant sur la consultation, la coopération et l’échange d’information. Il a aussi codirigé, en 2010-2011, les travaux du Groupe de travail spécial de l’OICV chargé d’examiner le rôle des régulateurs de valeurs mobilières en matière de risques systémiques. Louis Morisset est l’actuel coordonnateur des travaux de l’OICV visant l’amélioration de la résilience des participants de marché face aux cyberattaques.

Pour former l’AMF en 2004, le gouvernement du Québec a fusionné cinq organismes; la mise en oeuvre de son plan stratégique est en voie de faire de l’Autorité un régulateur pleinement intégré, évoque Louis Morisset.

«J’ai mis beaucoup d’énergie, avec mon équipe, à consolider ce modèle au cours des deux premières années de mon mandat. Nous avons aussi cherché à nous démarquer de façon importante sur la scène nationale et internationale. J’ai été nommé récemment président des ACVM, alors qu’en parallèle, mon collègue Patrick Déry a été nommé président du Conseil canadien des responsables de la réglementation d’assurance (CCRRA). Cela fait partie de ma vision de camper l’Autorité comme un acteur influent sur la scène nationale», affirme-t-il.

Selon lui, cette stratégie a fait cheminer les idées de l’AMF dans tout le Canada, comme le consensus obtenu concernant l’encadrement des offres publiques d’achat hostiles et des mesures défensives.

«Dans le cas des assurances de remplacement, un régime a été mis en place au Québec en 2011, nous avons observé l’évolution de ce marché et nous avons jugé nécessaire d’intervenir. Cela fait partie de mon bilan quand je parle de notre influence. L’influence, ça se démontre dans l’action et au cours des deux dernières années, nous avons su concrétiser des réflexions en action», dit Louis Morisset.

Écart règlementaire examiné

L’AMF voit d’un bon oeil la révision prochaine de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF). Au fil des ans, le régulateur a émis des recommandations sur de nombreux sujets touchant la LDPSF, par exemple le fonds d’indemnisation, la distribution d’assurance par Internet et la distribution sans représentant.

«Depuis 1999, cette loi n’a pas évolué et elle doit maintenant être en accord avec la réalité, notamment la réalité technologique», mentionne Louis Morisset.

Au cours des prochains mois, l’AMF désire étudier l’écart de réglementation et d’information disponible pour les investisseurs, qui existe entre les fonds distincts et les fonds communs de placement.

«Il s’agit d’un dossier important et le Modèle de relation client-conseiller – phase 2 (MRCC 2) vient juste exacerber davantage les différences entre ces deux produits d’investissement, à la fois sur les modes de distribution et sur l’information qui est disponible aux investisseurs», avance Louis Morisset.

Louis Morisset est déterminé à comprendre pourquoi cet écart réglementaire existe. Lorsque les raisons qui l’expliquent ne seront pas valables, «il faudra avoir une harmonisation».

Selon lui, il y a actuellement plus d’informations transmises à l’égard des frais et du rendement des fonds d’investissement, et l’analyse devra déterminer si cette information peut aussi être valable pour les investisseurs en fonds distincts.

«Je ne présumerai pas de la conclusion de l’exercice qui sera fait, mais je ne nous verrais pas reculer sur notre approche en matière de fonds d’investissement, car ce serait difficile de remettre la pâte à dent dans le tube. Vraisemblablement, s’il y a une harmonisation, elle irait davantage dans le sens de l’importation des éléments de l’encadrement des fonds d’investissement vers les fonds distincts», analyse Louis Morisset.

Le patron de l’AMF observera avec intérêt l’évolution du projet de régime coopératif, qu’il qualifie «d’enjeu politique». Parmi ses collègues d’autres provinces, certains travaillent d’ailleurs avec le fédéral tout en poursuivant leur contribution aux ACVM.

«Nous avons un travail à faire sur le terrain malgré cette question qui est suspendue au-dessus de nos têtes. Cet organisme verra peut-être le jour, mais peut-être pas, alors mon rôle consiste à continuer de promouvoir l’important rôle que jouent les ACVM au Canada comme moyen de coopération qui a fait ses preuves et qui est efficace», mentionne Louis Morisset.

«Toutefois, le Québec ne sera pas dans quelque organisme que ce soit, alors un forum de coopération canadienne sera nécessaire, ça c’est certain», conclut-il. (Lire aussi «À l’industrie de démontrer sa valeur», en page 8.)